Jules Verne, L’école des Robinsons

Ce n’est pas l’un des meilleurs Jules Verne mais un roman distrayant d’aventures. Les Robinsons sont en effet adultes, un jeune homme de 22 ans, neveu d’un milliardaire de San Francisco, et son précepteur professeur de danse et de maintien T. Artelett, dans les 40 ans. Godfrey a fini ses études mais rêve encore comme s’il était enfant. Il a lu et adoré, comme Jules Verne (et comme moi aussi) non seulement le Robinson Crusoé de Daniel Defoe, mais encore Le Robinson suisse de Wyss, et rêve de vivre des aventures semblables. Il est voué à épouser la pupille de l’oncle, la belle Phina de 16 ans, mais ne se sent pas prêt ; il veut d’abord voir le monde, dans la tradition du Grand tour initié par les Anglais.

Qu’à cela ne tienne, il partira ! Foi de l’oncle William W. Kolderup. Lequel est si riche qu’il vient d’acheter une île au large de San Francisco pour son plaisir, et pour damer le pion à son rival moins riche que lui et qui le hait, Taskinar. Il affrète donc l’un de ses navires de commerce à voile et à vapeur, le Dream, au nom prédestiné… pour emporter Godfrey et ses rêves de voyage.

Pris dans une brume épaisse, le navire a sans doute touché des récifs car, une nuit, il est prêt de couler. Le capitaine jette alors à la mer le jeune Godfrey et son précepteur Tartelett (nanti d’une veste de sauvetage). Godfrey nage jusqu’à un rocher où il attend le jour. Il ne retrouve le professeur que le lendemain, échoué comme une baleine sur le sable mais vivant. Les deux hommes vont alors devoir survivre. Ils sont seuls.

Godfrey, actif, ne tarde pas à explorer l’endroit et à grimper sur le plus haut sommet. Il s’aperçoit qu’ils sont dans une île. Il faut dès lors trouver un abri, à manger et du feu pour cuire le principal des aliments. Un sequoia géant au tronc évidé fournit le gîte, les moules, huîtres et œufs d’oiseaux de mer la première nourriture ; elle sera suivie de pommes sauvages et de fruits d’arbre à pain. Mais le feu… La théorie, c’est bien, la pratique, c’est nul. Frottez deux bouts de bois et vous vous efforcerez en vain, n’enflammant que votre front, pas le bois ; tentez l’amadou avec de vieux champignons, de la mousse sèche ou d’autres inventions et rien ne prend. Ce n’est guère que la foudre qui, comme aux premiers hommes, vous permettra le premier brandon qu’il faudra entretenir constamment, comme dans La guerre du feu.

La survie dans une nature indifférente est donc une rude école pour le jeune homme ; cela le transforme, le mûrit. Il se révèle. A l’inverse de son précepteur, qui s’avère complètement inadapté en milieu hostile. Ses manières « civilisées » font bien dans les salons mais sont inutiles, voire contre-productives dans la nature. Il est maladroit, peureux, casanier alors qu’il faudrait être fort, courageux et entreprenant. Le professeur s’inverse alors en élève et l’élève en professeur. Godfrey nourrit et protège ; Tartelett mijote le pot-au-feu à la maison.

Inexplicablement, une fumée paraît parfois au loin, mais il n’y a rien lorsqu’on va voir. Sauf une bande de sauvages à demi-nègres, mais vraisemblablement plus près des Polynésiens, qui arrivent en prao pour faire rôtir un prisonnier quasi nu. Comme Robinson Crusoé, Godfrey Morgan délivre le malheureux, qui se précipite reconnaissant pour lui faire allégeance. Il est vigoureux, habile, apprend vite, sauf inexplicablement l’anglais qu’il semble ne pouvoir parler. Il déclare s’appeler Carèfinotu et fait un compagnon appréciable pour compenser le boulet Tartelett.

Tout pourrait bien aller dans l’île, si ce n’est que l’on rencontre parfois de loin un ours ou un tigre, que Godfrey descend d’une balle et que Carèfinotu achève au couteau, mais Godfrey ne peut s’en approcher, soit éloigné par le Noir pour le protéger, soit le cadavre soit emporté par le courant du rio. Encore un mystère. De plus, inexplicablement, des fauves et des serpents sont rencontrés de plus en plus nombreux dans l’île, même un crocodile qui a failli bouffer Tartelett ! Pourtant, dans les débuts, il n’y en avait pas…

Toutes ces énigmes trouveront leur solution en temps et en heure. Car la robinsonnade est une mystification imaginée par l’oncle pour former le neveu, le faire passer de la fiction d’enfance à la réalité adulte. Nombre d’ados d’aujourd’hui, englués dans les jeux vidéo, devraient faire un stage à cette école de la vie, ils ne s’en porteraient que mieux. Godfrey, amer : « Ah ! Il fallait en rabattre de cette existence des Robinsons, dont son imagination d’enfant s’était fait un idéal ! Maintenant, il se voyait aux prises avec la réalité ! » p.190 Pléiade. Le marin Selkirk, modèle de Robinson Crusoé, avait passé 5 ans sur son île ; Godfrey Morgan y passera 5 mois. A l’issue, le bateau de l’oncle viendra le récupérer et il découvrira la supercherie. Le Polynésien Carèfinotu n’était que le nègre Jup, attaché au service de l’oncle. Même les fauves et le crocodile trouveront leur explication… par une étiquette sous le ventre.

Tout était donc illusion ? Oui et non : le mythe est certes ramené à sa dimension réelle, mais surtout l’expérience est vraie. Une école de la vie, de la survie en temps réel avec sa bite (Jules Verne ne l’évoque pas) et son couteau (il en met un bon dans la poche de Godfrey).

Jules Verne, L’école des Robinsons, 1882, Livre de poche 2013, 288 pages, €6,90, e-book Kindle gratuit

Jules Verne, Voyages extraordinaires – L’école des Robinsons, Deux ans de vacances, Seconde patrie, Gallimard Pléiade 2024, 1216 pages, €69,00

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