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Donna Leon, Les masques éphémères

Le commissaire Brunetti de Venise touche cette fois une réalité nouvelle du crime italien : la mafia à Venise. Il s’agit de la nigériane qui trafique divers marchandises telles de la drogue ou des femelles. Les ripoux sont par nature intéressés et créent des entreprises de couverture. Mais des drames se produisent, des femmes noires jetées en mer pour échapper aux garde-côtes. C’est inhumain, bien loin de l’humanisme qui a fait la réputation de l’Italie dans l’histoire.

Donna Leon renouvelle son inspiration tout en conservant ce qui fait le charme de ses romans policiers : le côte humain. Brunetti est un philosophe qui relit les classiques romains et discute avec sa femme, professeur de littérature anglaise à l’université, et ses enfants, Raphi le beau jeune homme qui pense par lui-même et Chiara qui réagit en ado, aux extrêmes. Patta le vice-questeur apparaît peu en cet opus, de même qu’Elettra la secrétaire hackeuse, mais la commissaire Griffoni, napolitaine, l’accompagne.

Un soir, deux filles américaines ont été déposées sur le quai devant l’hôpital. Elles sont blessées, l’une d’elle dans le coma. Alerté, le commissaire Brunetti enquête. La vidéo surveillance montre deux hommes déposer en bateau les filles avant de repartir. S’agit-il d’un crime ? D’un flirt qui a mal tourné ? Aucune des filles n’a été violée et celle en état de parler déclare qu’elles ont fait la connaissance en soirée de deux jeunes sur le Campo Santa Margherita, lieu habituel de réunion étudiante. Ils ont proposé de faire un tour dans Venise en bateau et tout s’est bien passé. Mais le pilote a mis le cap sur la lagune et augmenté la vitesse. Soudain, le choc, le bateau a heurté un pilotis dérivant. Après, elle ne se souvient de rien.

L’enquête retrouve la trace des deux jeunes. Ce sont des hommes insérés dans la vie, l’un avocat stagiaire et l’autre pilote pour son oncle qui possède une entreprise de transport en bateaux sur la lagune. Aucun des deux n’est criminel, le pilote a lui-même été blessé aux côtes et l’autre a appuyé sur le bouton d’appel des urgences de l’hôpital avant de partir. Sauf que – nous sommes en Italie – ce bouton a été désactivé depuis quelques mois et ne fonctionne pas. Ce n’est que parce qu’un infirmier est venu fumer une cigarette sur le quai que les deux jeunes filles ont pu être prises en charge rapidement.

Que se passe-t-il avec Marcello le jeune pilote ? Pourquoi a-t-il peur des foudres de son oncle ? Pourquoi celui-ci -t-il disparu cinq ans avant de revenir à Venise avec assez d’argent pour monter cette compagnie de bateaux ? Qu’est-ce qui lie Marcello l’ouvrier musculeux qui n’a pas fait d’études avec Duso, jeune homme fin, avocat fils d’avocat ? Ce serait en dire trop que d’aller plus loin. Le titre anglais « désirs passagers » en dit un peu plus que l’énigmatique titre choisi en français.

Donna Leon excelle dans la description concrète et imagée de la mentalité italienne. A État défaillant, débrouille clientéliste ; à administration bornée et tentaculaire, passe-droits et transgressions. « Les moulins à prière tournent avec une extrême lenteur, mais ceux de la bureaucratie italienne sont capables d’atteindre une vitesse vertigineuse, selon la main qui les actionne. Dans le cas d’un avocat spécialisé dans le droit maritime, frère d’un marchese lui-même proche d’un ou deux amiraux – dont un avait fait monter en grade le capitano Alaimo – demander une faveur à ce capitaine revenait à donner un ordre » p.126. Au fond, les mafias n’ont pas d’autres causes que la défaillance de l’État et l’absurdité des administrations. C’est vrai en Italie comme en Russie, ou dans les pays arabes ou le bakchich remplace le droit. Lire les enquêtes du commissaire Brunetti est instructif.

Donna Leon, Les masques éphémères (Transient Desires), 2021, Points 2023, 330 pages, €8,50 e-book Kindle €8,99

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