
Jules Verne avait été enchanté enfant par la lecture du Robinson suisse du pasteur bernois calviniste Wyss, écrit pour ses propres enfants et publié par son fils. Il a voulu achever l’odyssée de la famille Zermatt (Jules Verne invente ce nom qui restait non dit chez Wyss), les parents et quatre fils de 5 à 15 ans, jetée à la côte sur une île déserte au large de l‘Australie, et qui a su, par son industrie et son moral, reconstruire la civilisation dans une nouvelle patrie. La famille a peu à peu, en douze ans, établi des gîtes (d’hiver dans une grotte, d’été dans un arbre, de travail dans les champs), cultivé la terre (potager, champs de céréales et de cannes à sucre, arbres fruitiers), domestiqué des animaux (basse cour, vigognes et chèvres, animaux de traits et montures). Il s’agit, par le travail et par l’épargne de reconstruire le paradis perdu du Créateur.
L’auteur prend la suite en faisant découvrir la famille désormais adulte (16 à 25 ans pour les fils) par une corvette anglaise qui a dû relâcher dans une baie de l’île non portée sur les cartes, pour réparer des avaries dues à l’une des nombreuses tempêtes de la mauvaise saison. L’éditeur Hetzel avait demandé à Jules Verne d’améliorer la suite inventée par la traductrice en français du livre, Mme de Montolieu, puis celle tardive du fils de Wyss. Verne résumera brièvement l’histoire des Robinsons suisses en un chapitre pour ceux qui ne l’auraient pas lu.
Fritz, le fils aîné, chasseur invétéré, assomme un cormoran qui passait par là et découvre un message à sa patte : on demande du secours après naufrage sur l’île des Roches-fumantes, un volcan actif. Cette île n’est pas très loin de la Nouvelle-Suisse, l’île de la famille, et Fritz s’élance en yole pour y trouver Jenny, jeune fille de 17 ans seule rescapée d’une chaloupe renversée par la mer après que des mutins se soient emparés du navire qu’ils n’ont pas su manœuvrer. Enfin une fille dans cette bande de mâles ! Enfin une descendance assurée pour les vieux parents sur l’île déserte !
Voilà qui est nouveau – et moins intéressant. En effet, les préjugés sexistes du temps cantonnent les femmes aux travaux ménagers : lessive, couture, repas, conserves, potager. Seule Jenny, de par son jeune âge et son caractère décidé, « son éducation virile » due à son colonel de père l’élevant seul, est un peu du côté garçon ; elle s’est d’ailleurs habillée en jeune officier lorsqu’elle a dû quitter le bateau. Fritz est charmé, ils vont se marier sans jamais « tomber amoureux » dans les affres de la passion, car l’auteur veut éviter à son public à peine pubère toute inflammation de l’imagination et des sens…

Jules, en vieux routier de l’aventure, épice donc sa suite par de multiples péripéties. Le lecteur est plongé de suite dans l’action par ces mystérieux coups de canon tirés en réponse aux traditionnels deux coups qui saluent l’arrivée du printemps depuis douze ans sur l’île déserte. Y aurait-il un vaisseau ? Oui, il y a. C’est la corvette anglaise Licorne. Elle embarque Fritz et Jenny, qui veut revoir son père le colonel en Angleterre avant de revenir peut-être un an après, ainsi que François, le plus jeune des fils, qui veut voir le monde. Dans le même temps débarquent dans cette nouvelle Terre promise une famille, les Wolston, un couple mûr et leur fille de 14 ans Annah, qui veulent se poser et se reposer.
Lui est mécanicien charpentier, occasion de déployer toute son industrie, le fils Ernest intéressé tandis que l’autre fils, Jack, reste ce chasseur boute en train intrépide et un peu tête brûlée qu’il a toujours été. Les caractères sont bien dessinés, ayant chacun une part de l’âme des jeunes garçons qui lisent le roman. Les leçons sont tirées sans en avoir l’air : observer et étudier permet d’améliorer ses outils et son confort ; ne pas se précipiter tête baissée dans ses désirs de poursuite permet d’éviter le danger et d’inquiéter ses proches ; réfléchir avant d’agir permet une meilleure réussite.
La corvette doit revenir un an plus tard mais elle n’est toujours pas là. Changement de perspectives : nous sommes désormais dans une chaloupe jetée à la mer par des mutins, où se trouvent Fritz et Jenny, François, le bosseman (contremaître des équipements nautiques) et le capitaine Gould, James Wolston, sa nièce Dolly, sa femme et Bob, leur enfant de 5 ans. Ils dérivent, sans vent ni plus guère de provisions ; ils débarquent sur une côte inhospitalière, l’envers du décor de la Nouvelle-Suisse, en fait la même île mais sur sa côte opposée, ils ne le savent pas. Avant d’avoir gravi à grand peine le pic Jean-Zermatt, exploré par Wolston et les deux fils restés sur l’île.
La robinsonnade paradisiaque s’est inversée en une épreuve de foi et de courage stoïque. Que peut en effet l’ingéniosité humaine contre la nature indifférente et hostile ? Autre leçon en douche froide aux imaginations enfiévrées des jeunes garçons. Ce ne sera que par un hasard extraordinaire (et avicole) que les occupants de la chaloupe seront sauvés. La Licorne a subi des avaries à cause d’une tempête et doit réparer trois mois au Cap ; les huit passagers trop pressés d’arriver prennent place à bord du Flag, navire de commerce qui subit une mutinerie ; jetés dans une chaloupe avec peu de provisions, ils abordent une côte stérile; une nouvelle tempête écrase leur chaloupe restée à terre ; leur provision de varech sec pour le feu brûle à cause de la foudre ; le petit Bob se perd mais fait découvrir une grotte traversante qui permet l’accès au haut de la falaise, infranchissable depuis la plage ; ce n’est qu’un plateau aride et, à perte de vue, une terre sans végétation ; une fois rendus dans la Nouvelle-Suisse fertile, c’est pour découvrir qu’elle est infestée de sauvages et que les familles restées sur l’île ont disparu…
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Jules Verne, Voyages extraordinaires – L’école des Robinsons, Deux ans de vacances, Seconde patrie, Gallimard Pléiade 2024, 1216 pages, €69,00
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