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Pearl Buck, Vent d’est, vent d’ouest

Pearl Buck, prix Nobel de littérature 1938, est une Américaine mariée à un Américain qui a vécu en Chine de 1917 à 1927. Son premier roman ne peut que porter sur l’acculturation rapide d’une Chine restée féodale et patriarcale à cause de l’ouverture au monde apportée par le commerce occidental durant la Première république, de 1912 à 1949. Le vent d’est rencontre le vent d’ouest et le climat entre en turbulences.

Kwein-Lan est une jeune fille de Chine traditionnelle, au mariage arrangé alors qu’elle n’était pas encore née avec un fils d’une famille amie qui avait déjà 6 ans. La cérémonie n’a eu lieu qu’après les études du jeune homme, d’abord à Pékin, puis aux États-Unis où il est devenu médecin. Il a découvert la science, répudié les superstitions ; il a goûté aux mœurs libres américaines, considéré la femme égale à l’homme. Lorsqu’il revient dans sa famille restée conservatrice, c’est le choc des cultures.

Sa jeune épouse, éduquée à le servir et à se taire, à obéir en tout à sa belle-mère puisqu’elle a été « vendue » à sa nouvelle famille, est désorientée. Rien de ce qu’elle fait bien n’est bien aux yeux de son mari féru de nouvelles mœurs. Ce sera une lente rééducation qu’il lui imposera, dans la douceur, en commençant par déménager pour ne plus vivre dans sa famille élargie mais en couple avec leur enfant, un fils vigoureux qui fait le bonheur de sa mère et la fierté de sa grand-mère paternelle, puis en l’aidant à débander ses pieds. L’amour naît entre eux naturellement, ce qui n’était pas évident.

Cette jeune fille qui raconte de façon ingénue et naïve son expérience au jour le jour à « une amie » qui pourrait être l’autrice, fait le charme du livre.

Dans le même temps, autre combinaison : Kwein-Lan a un frère aîné qu’elle aime, mais dont elle a été séparée lorsque le garçon avait 9 ans pour qu’il vive du côté des hommes de la maison traditionnelle. Il est fin et obstiné comme sa mère, la Première épouse, mais aime le sexe comme son père riche qui accumule les concubines. Il le convainc d’aller étudier lui aussi aux États-Unis, comme c’est la mode dans la nouvelle République. Mais il informe sa famille, au bout de quelques années, qu’il est tombé amoureux là-bas d’une Américaine, et qu’ils se sont mariés.

Drame en Chine. Les parents avaient, comme il se doit, arrangé un mariage avec une fille de la famille Li et c’est perdre la face que de rompre le contrat. Certes, la fille n’est pas belle, mais on ne pouvait le savoir à sa naissance ; elle est surtout d’une famille honorable et riche, du même rang que le fils aîné.

Rien à faire : le frère de Kwein-Lan est amoureux et rien ne le fera changer d’avis. Il en a assez de la lourde tutelle des traditions immuables et de l’autoritarisme de sa mère. Il n’en fera qu’à sa tête. Pour convaincre ses parents, lui et sa femme Mary font le voyage en Chine et se présentent à la famille. C’est toute une diplomatie des petits pas pour aborder les choses en douceur : habiter dans un premier temps avec sa sœur, aller voir sa mère tout seul, puis en couple, y retourner lorsque le père, parti vagabonder pour éviter les ennuis, est de retour, habiter la maison familiale mais dans une aile à part, sans jamais se mélanger aux autres, tomber enceinte d’un fils – que la belle-mère refuse, n’étant pas du sang ancestral.

La Première épouse meurt, de chagrin de cette « souillure du sang », et sans petit-fils digne de continuer la lignée des ancêtres (la Chine féodale est raciste, la nouvelle se veut seulement « patriotique »). Le père, qui en discute avec le clan familial mâle (les femmes n’ont pas droit à la parole), exige de son fils aîné qu’il répudie Mary et la renvoie en Amérique avec son rejeton et une belle somme, puis qu’il épouse la fille Li comme prévu. Pas question : le fils préfère être déshérité et poursuivre la vie commune avec sa femme américaine. Ils resteront en Chine si possible, habiteront une petite maison comme sa sœur et son mari médecin, lui travaillera comme professeur, sinon, ils iront aux États-Unis. Le temps n’est plus à l’obéissance aveugle aux rites antiques, inadaptés au monde nouveau

Ce roman d’un cœur simple, confronté aux bouleversements du temps, en dit beaucoup sur une Chine passée en un siècle des mœurs féodales aux mœurs modernes, l’individualisme à l’américaine ayant laissé la place, dès 1949 avec Mao, au collectivisme patriotique, avant un retour de balancier vers l’initiative individuelle de Deng Xiaoping à partir de 1978.

Pearl Buck, Vent d’est, vent d’ouest (East Wind : West Wind), 1930, Livre de poche 1972, 250 pages, €8,40

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