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Victor Hugo vu par Jules Vallès

Les 150 ans de la Commune de Paris sont l’occasion de relire Jules Vallès, et pour moi de lire pour la première fois ses œuvres d’avant 1870. Dans un article de son journal La Rue du 29 juin 1867, à l’occasion d’une reprise au théâtre d’Hernani, la pièce romantique de Victor Hugo qui fit scandale, Vallès s’insurge contre le culte au grand homme.

« Ne confondons pas faiseur d’antithèses et meneur de peuples, peintre et tribun !

Il est venu au monde, la tête et la poitrine vides, sans cerveau ni cœur ; mais, comme ce Memnon dont il parle, il chante dès qu’un rayon le touche, rayon de soleil ou de gloire, feu d’église ou éclair d’épée, flamme qui jaillit de la couronne d’un roi, ou du fusil d’un émeutier !

Il fut le Memnon de beaucoup de gens et de bien des choses : de Napoléon 1er, de Charles X, de Louis-Philippe, le sous-Memnon du Président, et le voilà redevenu le Memnon en chef de la liberté. »

Rappelons que Memnon est la statue de sphinx égyptien près de Thèbes que les écarts de température font « chanter », notamment au lever du soleil.

« Qu’il soit cela : une statue creuse que quelques-uns planteront comme le dieu de la défaite, où l’on accrochera des ex-voto et sur laquelle on frappera, comme les paysans sur les casseroles, pour rappeler ou maudire les abeilles ! Cela, et rien de plus !

Il espère davantage et on veut mieux pour lui ; je le sais, et c’est bien pourquoi j’écris qu’il n’est qu’un prétexte et qu’on ne doit pas se tromper sur le triomphe qu’on lui a fait !

Fils d’une mère catholique, M. Hugo a dans le sang l’amour des tiares et des diadèmes, comme un nègre a l’amour du clinquant et des verroteries ; il aime les pèlerins, les moines, découper dans l’air des cathédrales, et je parie qu’il croit aux revenants !

Fils d’un père soldat, il a chanté la guerre, la guerre horrible, d’où les tyrans sortent éperonnés, bottés, en criant : la Patrie, c’est moi !

Ses souffrances, qu’il a de quoi consoler, ne me font pas lui pardonner celles qui n’ont ni consolation, ni remède ! Il est pour moitié avec un autre poète, Béranger, dans notre malheur ! Je préfère sans doute son exil là-bas, aux funérailles de l’autre, entre des haies de sergents de ville qui saluaient. Mais n’oublions rien : et n’écrivons pas que Hernani est un chef-d’œuvre – ce qui serait une sottise – ni que M. Victor Hugo est un révolutionnaire ! – ce qui serait un mensonge et un danger ! » Pléiade p.951.

Jules Vallès aime en imprécateur les points d’exclamation ; il est rempli de passion. Mais ce qu’il dit est juste : M. Victor-Marie, comte Hugo, est une enflure. C’est une statue de carton-pâte qui a beaucoup changé d’avis et retourné sa veste, ce pourquoi il est et restera « populaire » auprès de ceux qui ont toujours raison.

Le ViH, intello engagé, a été prolifique autant que Protée. Il a tout embrassé, du dessin au théâtre en passant par la poésie, le roman et la photo. Il a fait de la politique, il a fait tourner des tables. Royaliste durant sa jeunesse, il devient louis-philippard et pair de France, puis député républicain en 1848 avant de soutenir Louis-Napoléon Bonaparte, mais se fâcher avec lui à cause du Pape et s’incarner comme résistant durant l’exil à Bruxelles, Jersey et Guernesey. Lorsqu’il retourne en France, en 1870, c’est pour soutenir le gouvernement national du général Trochu puis réprouver la répression des Communards, mais il est sénateur en 1876 et obtiendra des obsèques nationales au Panthéon à sa mort en 1885.

Alors oui, Victor Hugo est un faiseur parce qu’il a beaucoup fait, une icône pour tous parce qu’il a beaucoup changé d’idées, une statue du Commandeur pour la morale nationale républicaine qui a souvent tendance à dévier. Il a beaucoup dit et peu agit, comme tous les Français, toujours donné des leçons de haute morale romantique et d’émotion misérabiliste. Il a beaucoup, beaucoup écrit : ses Œuvres complètes au Club Français du livre ne couvrent pas moins de dix-huit tomes de 1400 pages chacun et le premier, qui s’arrête à 1821, rassemble ses œuvres écrites avant d’avoir 20 ans !

Alors oui, il faut démonter les idoles et révéler le tigre de papier. Victor Hugo est épique et théâtral, il joue sur l’émotion plus que sur la raison ; il n’est fidèle que selon les apparences et républicain parce que c’est la mode. Il est dans le vent, le grand vent qui passe. Pas plus fiable, pas plus digne, pas plus humain. Une sorte de Mitterrand, au fond. Vallès l’a percé à jour, ce qui n’est pas rien à son époque de héros et de révolutions.

Jules Vallès, Œuvres tome 1, Gallimard Pléiade 1975, 1856 pages, €68.00

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