Jirô Taniguchi, Elle s’appelait Tomoji

taniguchi elle s appelait tomoji
Un jeune homme de Tokyo vient photographier une grand-mère à la campagne ; il est le petit-fils de sa sœur. Une jeune fille vit avec la grand-mère dans cette campagne. Lui, Fumiaki, à 19 ans ; elle, Tomoji, 13. Nous sommes en 1925, dans cette période d’entre-deux qui sépare l’ère Meiji qui a ouvert le Japon sur le monde et l’ère militariste qui va le renfermer. Un moment de grâce où le Japon rural subsiste tandis que le Japon industriel prend son essor.

Avec minutie, le dessinateur recrée le bucolique, ces champs tracés au cordeau sous la protection paisible des monts Yatsugatake et Fuji, tels des grands frères qui veillent. Maisons de bois surélevées, pièces à tout faire garnies de nattes en paille de riz (les tatamis), boutique où s’entassent les marchandises. Dans un dessin sensible mais assez corseté, Taniguchi décrit la paisible vie de famille. Jusqu’aux drames : le père meurt d’appendicite aiguë et la mère doit partir travailler à l’usine, laissant ses deux petites filles et son beau-fils à la charge de la grand-mère.

Tomoji grandit dans la nature, entourée de ce reste de famille qui l’encourage. Elle va à l’école, aide à la boutique, aux champs ; est travailleuse, serviable, contemplative. Fumiaki, de son côté, devient ingénieur en aéronautique ; lors du grand tremblement de terre de Tokyo en 1923, il prend conscience de la précarité de l’existence et du terrible de la nature. Cette convergence des vues va rapprocher la fille et le garçon, par l’entremise des marieuses de la famille.

Fumiaki et Tomoji vont s’épouser et, à leur tour, reproduire une famille pour perpétuer le Japon de tradition. Le scénario est tiré d’une histoire vraie, celle de la fondatrice d’un temple bouddhiste qui s’appelait Tomoji.

Mais l’auteur s’attache à montrer comment une enfant de la campagne devient une adulte équilibrée, de l’ère rurale à l’ère industrielle, sans déroger. Une vie archétypale, dessinée et racontée avec le réalisme doux-amer propre aux littérateurs japonais. Peu de sensualité, un brin de nostalgie mais surtout le goût d’être précis et d’accepter ce qui vient – toujours.

Cette attitude devant la vie est proprement religieuse ; elle est la marque du bouddhisme japonais, à la fois ascétique et bienveillant, sensible à tous les êtres et aux grandeurs de la nature.

taniguchi photo

Jirô Taniguchi est peut-être le plus connu des auteurs de bandes dessinée japonaise en France. Il sera présent – comme son éditeur Rue de Sèvres – au 42ème festival international de la bande dessinée d’Angoulême qui se tiendra du 29 janvier au 1er février 2015.

Jirô Taniguchi, Elle s’appelait Tomoji, 2014, éditions Rue de Sèvres 2015, 174 pages, €17.00


En savoir plus sur argoul

Abonnez-vous pour recevoir les derniers articles par e-mail.

Catégories : Bande dessinée, Japon, Livres | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , , ,

Navigation des articles

2 réflexions sur “Jirô Taniguchi, Elle s’appelait Tomoji

  1. Merci d’apporter ces précisions. La note n’avait pas pour objectif l’histoire du Japon, d’où les raccourcis inévitables. Quant à la « fermeture » nationaliste, elle n’exclut en rien d’apprendre des autres pour assurer le progrès technique ni la puissance industrielle ! Le cas de la Chine contemporaine (qui accepte les joint-venture (…à condition que les Chinois gardent 51%) et pillent les technologies avancées (au mépris du « droit » d’auteur et des brevets) en est un exemple. Elle applique la maxime de Staline : « ce qui est à moi est à moi, ce qui est à vous est négociable ». Le Japon comme l’Allemagne dans les années 30 ont durement ressenti la crise mondiale de 29 mais, ayant peu de traditions libérales et démocratiques d’ouverture à l’autre et au libre commerce, ont eu une « réaction » identique : user de leur puissance militaire pour assurer leur « territoire » vital en matières premières et pour les voies de communication maritimes. Ce n’est pas vraiment ce que j’appelle une attitude ouverte, mais bien plutôt un égoïsme de prédation. Tomoji – fondatrice d’un monastère bouddhiste – échappe à ce tropisme social et politique. Elle incarne ce Japon traditionnel qui évolue avec l’histoire mais sans peser, tout de force intérieure.

    J’aime

  2. Très belle critique que j’ai bien envi de reprendre sur mon blog. J’y ferais tout de même deux rectificatif. C’est en 1923 que c’est fait le tournant du Japon vers un régime militariste et cela à l’occasion du grand tremblement de terre qui a dévasté Tokyo et toute la région du Kanto. Plus que le tremblement de terre c’est un gigantesque incendie qui a détruit Tokyo. Les militaristes en ont profité pour faire courir la rumeur que les responsables de ce gigantesque brasier étaient les coréens mais aussi les rouges. Ce subterfuge a permis de décapiter la gauche nippone, nombreux sont ses activistes qui ont été tués par la police ou lynchés par la foule. Cet affaiblissement important de leurs ennemi a permis aux militaristes de prendre progressivement les rênes du pouvoir.
    Autre point de désaccord avec votre texte, cette progressive militarisation du pouvoir n’a été en rien une fermeture du pays tout du moins pour l’industrie et l’économie. Bien au contraire c’est au milieu des années 20 qu’a augmenté « la curiosité » des japonais pour les techniques de l’occident et même sa culture. Ce que montre bien par exemple deux films le début de Lettre d’Iwo Jima de Clint Eastwood et Le vent se lève de Miyasaki. Il faut se souvenir qu’entre les deux guerre made in Japan était symbole de pacotille cette réputation a perduré bien après que ce soit devenu obsolète d’où la relative absence de méfiance des américains d’alors envers le Japon qui au début de la guerre du Pacifique possédait des bateaux et des avions plus élaborés techniquement que les américains (le chasseur zéro, le Yamato…).

    J’aime