Dimitri Lioubov, Immersion d’un attaché culturel russe à Paris

Ainsi que la citation en tête l’indique, il s’agit d’un roman crypté, une parodie d’espionnage. Dimitri Lioubov, soupçonne-t-on, ne s’appelle pas ainsi de son vrai nom, et il n’est pas plus espion ou russe que vous et moi (enfin vous, je ne sais pas). Son style à la foi direct et parodique rappelle celui de « Max Milan », du même éditeur. Peut-être un unique auteur caméléon qui prend plusieurs formes ? Peut-être l’éditeur lui-même ? (Jusqu’où va la paranoïa quand on lit à vocation de chroniquer)…

L’action se situe en 1984, ce qui n’est pas non plus par hasard, tant le roman 1984 de George Orwell est la quintessence du formatage d’Etat sur les populations. L’an 1984, c’est la gauche au pouvoir en France, avec les résultats politiques, économiques et sociaux lamentables que l’on sait – même l’idéologie socialiste a pris un coup dans l’aile. C’est dire si l’intervention finale d’un « membre du Parti communiste » est bouffonne, faisant comme si…

Mais reprenons au début. L’espion Dimitri (c’est lui qui raconte), « attaché culturel » soviétique à Paris – ce qui veut dire espion du KGB – « habillé d’un imperméable mastic » (comme dans les romans de gare) et d’un sac à dos noir (hip-hop à la Mitterrand) est en mission au Musée des Arts & Métiers. Son objectif ? Pénétrer les secrets du sous-marin nucléaire Redoutable dont la partie avant se trouve déjà exposée au musée.

Profitant d’un moment d’inattention générale, l’espion plonge dans la coque par la tourelle, ni vu, ni connu. Cette performance athlétique accomplie grâce à son entraînement spécial dans les écoles d’espionnage, il constate avec stupeur – et un brin désabusé – que la bureaucratie moscovite l’a abusé : la coque est vide. Aucun matériel sensible n’est contenu dans son enveloppe.

Il lui faut donc ressortir, tout aussi ni vu, ni connu, pour rendre compte de sa mission méticuleuse à sa hiérarchie. Mais là, problème : soit il n’ose pas, soit il ne réfléchit pas, soit il n’a pas été correctement entraîné : il ne peut pas sortir sans se faire repérer. Et c’est le défilé cocasse des classes de gosses, émerveillés de la puissance de destruction que vante l’instit enfiévré, des groupes de touristes guidés par des gardiens mis en verve par lesdits instits, des vieilles qui viennent se mirer en sa coque comme en leur miroir pour se refaire de pulpeuses babines…

Des expéditions la nuit aux toilettes, tandis que les deux gardiens quasi retraités sont captivés par leur film porno, permettent de satisfaire aux besoins de la nature et de remplir d’eau la thermos. Mais les jours passent ! Cette inaction, malgré l’entraînement commando, a quelque chose de bouffon elle aussi : il aurait été si simple de se planquer aux toilettes avant l’ouverture, puis de ressortir comme un badaud moyen sans se faire remarquer. Mais ce « plan B » (cher à tous nos gauchistes alter d’aujourd’hui) n’effleure l’esprit de notre guébiste que fort tard dans l’action, et sans qu’il le mette en œuvre.

Car l’élite soviétique, soigneusement sélectionnée, a les tares de toute consanguinité trop poussée. « L’Empire est le modèle du réseau, il se compose d’une classe supérieure étanche à toute autre. De là proviennent les plus hauts gradés dans tous les domaines » p.45. Les mélenchonistes et autres souteneurs du si pittoresque PC, devraient savoir à quoi s’attendre.

Je ne vous dirai pas comment il va s’en sortir, mais ni la profession, ni le savoir-faire ne se montrent grandis. En russo-soviétique, l’approbation se dit « da », en général doublé : « da ! da ! ». Le lecteur l’aura peut-être compris, Dada est peut-être la clé de l’énigme. Car l’absurde idéologique poussé à espionner le rien que contient une maquette, les ordres impératifs de la bureaucratie centrale pour faire agir leur agent pour rien, l’entraînement intensif pour se trouver piégé comme rien, dépeignent cet absurde que le mouvement né en 1916 a révélé.

Le plus absurde étant la prise de conscience écologique et la montée de misanthropie de cet élève zélé des collectivistes productivistes.

Ce qui n’empêche pas notre individu de se livrer à de réjouissantes critiques à la « Max Milan » de notre société parisienne contemporaine si contente de soi et de sa mission universelle. « A combien de spectacles d’avant-garde ai-je dû assister ? Longues soirées de bavardage autour du sexe des anges, le formalisme théorique a englouti les dernières capacités réflexives de ces artistes subventionnés. Ils se qualifient de dérangeant. Que dérangent-ils en racontant des histoires petites-bourgeoises de mœurs aussi tarabiscotées qu’invraisemblables, de conflits familiaux de de révélation sexuelle sans intérêt ? » p.71. L’avant-garde était réputée « scientifique » dans le marxisme selon Lénine, fraction éclairée du Prolétariat qui doit mener les masses vers la lumière. Elle s’est bien dévoyée chez nos intellos à la mode… Ils se montrent « capables de gloser comme aiment le faire les Français sur un sujet dont ils ne connaissent que les commentaires », ajoute l’auteur p.104.

A lire cum grano salis, comme on disait jadis dans les classes où l’on apprenait encore quelque chose.

Dimitri Lioubov, Immersion d’un attaché culturel russe à Paris, 2017 PhB éditions, 110 pages, €9.00


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