Chenalho est un gros village comme les autres mais au bord d’un puissant rio. Les gens y sont plus libres et moins peureux que sur les hauteurs. Peut-être sont–ils moins isolés, reliés par une vraie route. Le saint patron est Pedro et un prêtre français a officié ici durant des années. Il s’agit du père Michel Chanteau qui a passé dans ce village plus de trente ans de sacerdoce après s’être embarqué sur le paquebot « France » le 17 décembre 1964. Il a joint l’Amérique latine via New York. Padre Miguel rencontre à son arrivée au Chiapas un jeune évêque, Samuel Ruiz, avec lequel il luttera contre l’injustice et pour la dignité des Indiens. Un jour de février 1998, quatre jours après sa dernière célébration pour les morts du massacre d’Acteal assassinés par des paramilitaires le 22 décembre 1997, il est transféré à Mexico et expulsé vers la France.
Au vu de la chaleur, Thomas part à la recherche d’une boutique pour acheter du Coca frais pour tout le monde. Il coûte 5 pesos le demi-litre ici, pour 3 ce matin à Santiago del Pinar et 15 en ville. Il y a bien cinq ans que je n’ai bu de ce concentré de sucre caféiné symbole des Etats-Unis, recommandé quand même par l’OMS pour la réhydratation des dysentériques. Je n’aime pas ce taux de sucre, 11 g par litre, ni la culture véhiculée par le produit. Mais j’apprécie aujourd’hui cet instant de fraîcheur revigorante après notre marche sous la forte chaleur.
Deux gaminos en vélo, dépenaillés mais vifs, s’arrêtent devant le bus qui attend. Leur intérêt porte surtout sur ces vélos tout-terrains qu’ils aperçoivent sur le toit. « C’est pour quoi faire, ces vélos ? » me demandent-ils. Eux-mêmes sur un VTT, ils sont curieux de ces nouvelles machines. Herberto a en effet emporté trois vélos qu’il a niché sur la galerie « si nous voulons faire un tour », nous a-t-il dit. Pour son premier groupe de marcheurs, il a bien fait les choses, apportant ici ou là une délicate touche d’attention, du vin rouge le soir, le yaourt ce matin, ces vélos sur le toit. Il a envie que les touristes reviennent et je le dis bien fort : « allez-y ». Ce pays, cette région, cette petite agence de trek le méritent ! Merci Herberto de nous faire connaître ce coin encore sauvage du Mexique avec ce soin attentif. Mais il m’est difficile d’expliquer tout cela aux gamins, en espagnol. Je me contente de leur dire que les vélos nous servent à nous promener dans la montagne et ils s’en contentent.
Un quart d’heure de bus plus loin et un demi-litre de Coca plus tard, nous sommes fin prêts pour aller explorer une grotte qui s’ouvre aux abords du rio. Nous n’avons pas besoin de sac ; presque tout le monde le prend, par habitude ou par peur de manquer d’une gourde, mais je viens de bien boire et la proximité du rio devrait nous promettre une atmosphère pas trop sèche dans l’heure à venir. Je fais bien.
Tout commence par une pente très raide dans un champ de bananiers où broute un cheval. Le sol plonge vers le rio bordé d’arbres. En remonte un jeune garçon portant un lance-pierres autour du cou. « C’est pour tirer les oiseaux ? » lui demandé-je ; « oui. – Et tu en as eu ? – non. – Tu n’es pas un bon chasseur, alors. » Geste désabusé du gamin : « oh, ils me repèrent, maintenant. » Avec son tee-shirt trop clair, il fait tache dans le paysage. Il devrait revoir la cassette de Rambo et, comme lui, retirer sa chemise et s’enduire de traits de boue pour se camoufler mieux. Il connaît Rambo, « c’est peut-être une bonne idée », convient-il.
La pente s’accentue dans la végétation bien verte qui surplombe la rive et dans laquelle nous passons souvent courbés. Nous longeons une falaise calcaire sur un sentier bien étroit. Au bout, une cascade surgit, rafraîchissante par la bruine qu’elle diffuse alentour et apaisante par son bruit. Nous faisons provision d’ions négatifs, si bienfaisants pour l’humeur, paraît-il.
Nous poursuivons un peu plus bas jusqu’à l’eau bouillonnante du rio qui s’élargit et s’apaise entre les rochers. Un gué nous permet de le traverser. Une rude montée dans la végétation grassement abreuvée nous attend. Quelques passages sont rendus glissants par cette humidité perpétuelle. Thomas fait installer une corde mais ce soutien est plus psychologique qu’efficace car une corde molle ne retient pas celui qui s’y agrippe. La corde volante est comme l’étoile pour le sage chinois : le touriste a la tête levée pour la contempler et ne voit plus le puits devant ses pieds. En se focalisant sur la corde pour « se retenir », on ne fait plus attention au terrain ni aux prises, on ne se soucie plus de son équilibre. Ce provisoire mal fixé rend maladroit. « C’est pour rassurer », dit Thomas. Mieux vaudrait carrément s’encorder. Tenus par la boucle autour de la taille, le mou rattrapé par celui qui contrôle, tout loisir serait au grimpeur de regarder ce qu’il fait et d’assurer ses prises.
Nous voici devant une large grotte. Elle est très vaste et sa gueule noire s’ouvre comme un bâillement dans la montagne. De la voûte tombent de courtes stalactites qui font comme des draperies. Les rochers qui s’étalent en chaos pentu dans la grotte sont humides et moussus. Le rio bouillonne bruyamment en contrebas avant de disparaître dans les profondeurs obscures de la montagne. Nous ne pouvons descendre le voir de plus près, le terrain est déjà difficile. Un tronc d’arbre ébranché, apporté jusqu’ici et planté verticalement, doit pouvoir servir d’échelle mais il faudrait être casse-cou pour y entraîner un groupe qui a déjà du mal à marcher debout sur des sentiers rocheux. Herberto prend force photos avec son Sony numérique. Elles sont destinées à son « site internet » qui assure la promotion de son agence de trek. Nous servons de cobayes pour le récit illustré qu’il compte mettre en ligne pour attirer des randonneurs dans sa région.
Carlos, le chauffeur, est resté près de son bus ; Hélène est restée avec lui. Nous lui montrerons sur les petits écrans des numériques les horreurs auxquelles elle a échappé. Tous les autres sont là, Miguel le guide Tzotzil du jour, Freddy l’aide-chauffeur à moustache qui étouffe aujourd’hui sous une chemise en jean – et le guide ultra local, du village voisin, en chemise bleue, pantalon et chaussures de ville, qui ne se salira pas une seule fois dans ce périple !
Nous remontons la pente, contents. Cette verdure et cette eau rugissante nous ont changé du cagnard depuis midi et cet exercice sans sac (pour moi au moins) a modifié les perspectives du jour sur la randonnée.
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