Bernard Clavel, Le tambour du bief

C’est un grave sujet de société, dans son Jura natal, que Clavel nous conte à la fin des années soixante : l’euthanasie. Une vieille se meurt d’un cancer, elle souffre, elle est une charge pour sa fille et ses six enfants, elle empêche son mari ouvrier de trouver du travail. Que faire ?

Pour la famille : rien – ça ne se fait pas. La religion est prégnante et la société autoritaire : c’est interdit. Mais rien n’empêche d’y penser : ah, si Dieu daignait la rappeler à Lui ; pourquoi la faire souffrir encore et encore, en faisant souffrir aussi des enfants innocents ?

Pour Antoine, infirmier à l’hôpital : c’est possible. Difficilement imaginable mais possible. Allant piquer la vieille chaque jour contre la douleur, sur ordre du médecin, il lui suffirat d’injecter un certain produit à une certaine dose pour que la souffrance cesse et que la malade connaisse enfin la paix. Mais ce n’est pas dans la déontologie de celui qui soigne que de donner la mort, même si la vieille la réclame. Il faudra du temps – et des litrons – pour qu’Antoine accomplisse enfin le geste salvateur.

Il n’a d’ailleurs lui-même presque plus rien à perdre. Son métier l’ennuie, il est mis sur la touche par un docteur devant qui il a défendu son ami Emmanuel, père des six enfants, qui braconne du poisson la nuit parce que sans cesse au chômage. Le docteur, qui fraude le fisc « comme tout le monde » n’a pas supporté de se voir mis au rang d’un braconnier qui rosse les garde-pêches. Antoine a été muté au service des vieux crapotant dans une aile de l’hôpital. Il est encore à sept ans de la retraite (alors à 65 ans).

Chef tambour lors des joutes sur le Doubs, il est respecté mais souvent saoul. Il ne peut se retenir de picoler, et il est effarant de constater que la norme ouvrière des années soixante est encore de quatre litres de vin rouge par jour pour les hommes. Elevé par son oncle, gardien de la scierie au village voisin, après la mort de ses parents (le père à la guerre de 14), il a appris du vieux le tambour et en joue à la perfection, sachant tendre la peau pour qu’elle rende un son clair. Il est simple, il est bon, il ne comprend pas qu’on laisse souffrir un être humain et sa famille par la même occasion.

Après bien des hésitations, il va donc oser ce que nul n’ose, ni la vieille malade, ni sa famille, ni son médecin, ni la société : offrir la délivrance. Il pique une clé dans un bureau d’infirmière-chef, il ouvre l’armoire à drogues surveillées, il vole un flacon puis remet la clé où il l’a trouvé. Ni vu, ni connu. Seul le chirurgien qui devait réopérer la vieille, venu constater son décès et délivrant le permis d’inhumer, soupçonne que sa mort subite n’est pas dans l’ordre des choses. Il incite Antoine à demander sa retraite anticipée mais ne va pas plus loin, il le comprend.

Car chacun, humble ou savant, est devant sa propre conscience. Est-ce du courage ou un crime qu’offrir la délivrance à qui la demande parce que la vie lui est devenue un fardeau ? Qui peut le savoir ? Le curé ? le psy ? le médecin ? le gendarme ? Non, personne. Pas de grands principes invoqués mais, quand la loi interdit, il est parfois une autre loi, supérieure, qu’Antigone connaissait bien chez les Grecs et qu’Antoine retrouve tout seul au bord du Doubs.

Bernard Clavel, Le tambour du bief, 1970, J’ai lu 1973, 183 pages, €1.17 occasion


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