
Holmes et Watson s’affinent sous la plume de l’auteur ; ils en deviennent plus humains, plus étoffés. Sherlock commence, dans ce livre, par s’injecter de la cocaïne dans le bras, comme un vulgaire junkie. De quoi faire « interdire » le roman par les trompistes aux USA régressifs. Mais ce n’était pas une drogue interdite à l’époque, et il était de bon ton, parmi les milieux intellos, de tenter des « expériences » de décentrement de tous les sens (voir Charles Baudelaire, Thomas de Quincey, Théophile Gautier). Selon Holmes, la drogue aiguise son esprit, et surtout le désennuie. Il a besoin d’activité, et rester oisif n’est pas dans sa nature – il déprime.
Ce pourquoi, lorsqu’une jeune Mary se présente au 221b Baker Street et lui demande son aide, il saute sur l’occasion, sa raison en est avide ; Watson, quant à lui, saute sur la jeune fille, son cœur s’en éprend. Son père a disparu ! Bon, c’était il y a onze ans, mais une lettre mystérieuse vient de lui parvenir, avec en cadeau une perle de grand prix. La sixième perle depuis quelques années. Cette fois, est jointe une invitation pressante à venir à un rendez-vous, accompagnée si elle veut, mais surtout pas par la police. De quoi allécher Holmes et Watson, qui s’y rendent derechef avec elle.
Commence alors une invraisemblable histoire de corruption et d’exotisme, de trésor et de trahison. Même schéma que dans Étude en rouge, un meurtre au présent à Londres fait remonter tout un passé dans l’empire. Un homme est tué dans sa chambre, porte et fenêtre fermées de l’intérieur, sans blessure apparente. Il est le jumeau de celui qui a convoqué Mary, fils d’un major des Indes revenu avec un trésor volé. Les Quatre veulent se venger. Ce sont eux qui ont pris le trésor d’Agra, lors de la révolte des Cipayes, et ont juré de se le partager une fois libres. Mais ils ont été arrêtés pour meurtre (en temps de guerre…) et envoyés au bagne dans les îles Andaman, dont les indigènes sont des pygmées. Ils ont soudoyé deux officiers pour obtenir de quoi s’évader, mais l’un d’eux a trahi et a volé tout le butin, au mépris de sa parole : celui qui vient de mourir.
Holmes est aux anges, une bonne énigme à résoudre, avec peu d’indices ; Watson est aux anges, une bonne fille à aimer, malgré l’obstacle de sa subite richesse. Laquelle va s’évaporer en conclusion, le coffre étant vide et les pierres précieuses semées dans la Tamise. Mais c’est moral. L’atmosphère grise et brumeuse de Londres, le labyrinthe de ses ruelles mal famées, la respiration des bateaux sur le grand fleuve, le drame gothique de l’avarice, la vengeance et l’amour, rendent ce roman policier captivant.
Sherlock, véritable « machine arithmétique » comme le dit son compère, va-t-il perdre Watson, en passe de convoler en justes noces ? Le solitaire n’aime pas être isolé, sa raison a besoin de stimulants humains. La candeur de Watson, la bêtise des policiers, les yeux aigus et fureteurs des gamins des rues pieds nus et en loques qui lui servent d’espions pour quelques shillings, sa logeuse aux petits soins – tout cela lui est indispensable. Il n’est pas un robot, même s‘il a hypertrophié le cérébral. Au détriment du physique, mais qu’il a développé adolescent, en témoigne un ancien champion de boxe qui le reconnaît pour avoir combattu contre lui, et il se défendait vaillamment. L’idéal (issu des Grecs et des Romains) du « gentleman » harmonieusement cultivé par un esprit sain dans un corps sain est réaffirmé, pendant à la sportivité populaire. Même si Watson apparaît plus équilibré, malgré sa blessure de guerre qui le diminue, les deux se complètent.
Sir Arthur Conan Doyle, Le signe des Quatre, 1890, Livre de poche 2015, 150 pages, €4,90, e-book Kindle €0,99
Sir Arthur Conan Doyle, Sherlock Holmes coffret tome I et II, Gallimard Pléiade 2025, 2320 pages, €124,00
(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés par amazon.fr)
En savoir plus sur argoul
Abonnez-vous pour recevoir les derniers articles par e-mail.
Alain Morvan à la barre pour La Pléiade. Du costaud, du solide.
J’aimeJ’aime