
Franquin est connu pour Gaston Lagaffe et le Marsupilami. Dans ce recueil de planches pour les fanzines des années 1970, il révèle les dessous de notre civilisation : le nucléaire, la peine de mort, la guerre, la chasse, le fric. C’est parfois de l’humour, surtout de l’ironie. Parce que Franquin le dépressif n’est pas tendre avec les humains.
Le chasseur est un gros beauf qui adore tuer – et Franquin invente la cartouche qui part à l’envers ; le propriétaire du cheval de course est un gros con qui ne pense qu’à la course, il achève bien les chevaux lorsqu’ils ont la patte cassée – Franquin invente le cheval qui vient achever le jockey. L’amoureux prédateur aime tant la fille qu’il embrasse qu’il voudrait la dévorer – Franquin le prend au mot et le beau se rassasie. Le vendeur d’armes fait inventer divers types de missiles qui réussissent tout – même à faire sauter le gros con de général qui allume un faux cigare, missile en réduction posé sur le bureau. Quiconque a tué volontairement aura la tête tranchée – beau principe, que Franquin prend tel qu’il est en faisant trancher la tête de chacun des bourreaux à son tour. Le pasionné de bonzaï, qui torture se splantes pour les faire pousser petites et tordues, élève ses enfants pareil. Le capitaliste qui serre les coûts invente le boulon en carton, avec 10 % seulement d’acier – imparable ! Son avion part en morceaux. Même les survivants d’un holocauste nucléaire, presque nus, réinventent la civilisation en choquant deux cailloux pour faire du feu – mais ce sont des grenades abandonnées par la civilisation détruite. Et ainsi de suite…

C’est drôle, c’est désabusé, en phase avec le no future des années 70 et 80 chez les hippies laissés pour compte par le mouvement général du monde. « Je ne suis pas un humoriste, dit-il en interview en début de volume. Je suis un con, tout à fait normal, qui essaie de rigoler parce qu’il en a besoin (… et) parce que je suis né dans une famille qui ne rigolait pas du tout. »
Il ne faut pas être dupe – jamais. Le chien fidèle qui hurle à la mort parce qu’on enterre son maître reste sur la tombe à pleurer… mais sur sa baballe qu’on a mis dans le cercueil.

Un dessin bien noir pour des idées noires, autre façon de célébrer le vrai, « l’authentique » comme disait Pagnol. Nietzsche pensait qu’il n’y a rien de plus cruel que la vérité nue – non pas la Vérité platonicienne ou divine, mais la sincérité personnelle et l’honnêteté intellectuelle qui font voir les choses sans fioritures. Apollon, le dieu solaire, tranchait de même l’obscurité par ses rayons implacables. En disant vrai, l’individu se libère de l’hypocrisie sociale admise et établit son moi véritable – l’inverse du garçon de café sartrien qui joue un rôle. Ce pourquoi la plupart des gens préfèrent se faire leur cinéma et chérissent leurs illusions, comme une drogue qui endort et leur fait voir la vie en rose.
La vérité est que la chasse est un passe-temps de sadique entre mâles, prétexte à se bourrer la gueule et à comparer qui a la plus grosse – le fusil Pandan Lagl est-il meilleur que le Gastinne Renette ? La vérité est que le hippisme est un « sport » où le cheval fait tout et l’homme pas grand-chose. La vérité est que « l’amour » est rarement équilibré, l’un ou l’une voulant bouffer l’autre, en fusionnel, par ingérence physique et intégration morale sans merci. Et même le désespéré du climat qui s’inonde d’essence en bidon pour en finir gaspille la planète et concourt au réchauffement climatique. Le con.
Tout cela est vrai. Tout cela est cruel. Surtout quand on ne veut pas l’entendre.
Franquin, Idées noires – L’intégrale complète, Fluide glacial 2020, 80 pages, €17,90, e-book Kindle €8,99
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