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Gabriel Garcia Marquez, Cent ans de solitude

gabriel garcia marquez cent ans de solitude
L’auteur, colombien qui vient de disparaître, nous livre l’âme de l’Amérique latine dans ce livre qui tient du bouillon de culture, de la soupe de sorcière et de l’élixir de longue vie : irracontable, la genèse de ce petit village de Macondo ; truculente, violente, passionnée – et dérisoire – la vie ardente de la dynastie Buendia (bonjour).

Un fondateur de village, mystique, alchimiste et rêveur, un colonel de guerre civile plusieurs fois condamné, un pape manqué, une amoureuse consumée, une musicienne viveuse et d’autres encore, mâles et femelles, qui naissent comme des portées de chats et poussent comme du chiendent. La grande maison grouille d’enfants nés de passions robustes et éduqués fort librement. Les générations s’entremêlent et l’on confond les prénoms et les caractères, buissonnants et semblables. La maison est un vivier d’amour et d’extravagance, un refuge et un socle d’où essaimer et bâtir. Mais que reste-t-il, enfin, de l’énergie dissipée, de la semence prodiguée, de l’amour donné ? – Rien.

La dynastie s’éteint, le village vivote et la révolution est toujours à refaire. Il ne reste rien mais ce « rien » est la clé de ces pages qui vont comme un torrent intarissable – et qui soudain se dessèchent au seuil du désert.

Cruelle vanité des hommes. Esprit bâtisseur, patriotisme, goût de la justice, joie de connaître, soif d’apprendre, rigorisme moral, débauche effrénée, inculture féroce : que vaut donc tout cela, puisque le temps passe et efface ? Les arbres les plus grands s’effeuillent à l’automne. Le monde est un théâtre de fous ; les êtres sont des marionnettes actionnées par des mythes en grosse ficelle. Les fils ressemblent aux pères ou aux oncles, les filles aux mères ou aux tantes. Rien ne s’apprend ni ne se retient. Les enfants répètent les erreurs des aïeuls, revivent leur folie, gaspillent de la même façon leur énergie. Aucun progrès sous le soleil, comme si le destin était, indéfiniment, de revivre ce qui fut. Symboles, les prénoms se transmettent à l’identique, d’une génération à l’autre. Le temps roule comme une balle et la mémoire embrumée de l’ancêtre ne sait plus ce qui est présent ou passé, de qui tiennent les enfants. Le souvenir se perd à mesure que la vie se déroule, sans cesse autre et toujours même.

Cent ans d’isolement font un village sans histoire, fermé, inespéré et sans espoir. Le microcosme de ces pays d’Amérique latine qui s’agitent et fermentent sans jamais éclater, et dont le devenir est si lent qu’ils restent en sempiternel sous-développement.

Mais, après tout, le changement n’est-il pas vain ? L’humeur espagnole et le fatalisme indien se heurtent en violents contrastes que le temps équilibre. Chaque fils est un nouveau conquérant, mais tout reste toujours à conquérir.

Gabriel Garcia Marquez, Cent ans de solitude, 1967, Points Seuil 1995, 460 pages, €7.60

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