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Daphné du Maurier, L’auberge de la Jamaïque

Qui se souvient que Dame Daphné du Maurier, épouse de général, mère de trois enfants, et bisexuelle en raison d’un père qui détestait les garçons, a été l’auteur de la nouvelle Les oiseaux dont Hitchcock a fait en 1963 un grand film ? C’est le même Hitchcock qui fit en 1939 un film de l’Auberge de la Jamaïque (La Taverne, en français), assez différent du livre, roman gothique très romanesque mais déjà féministe. Car Mary Yellan est une jeune fille orpheline, élevée en garçon dans une ferme auprès de sa mère, et qui n’a pas froid aux yeux, même si elle ne réfléchit pas souvent (elle est même un peu gourde, disons-le). Ce vieux roman d’avant-guerre se lit toujours très bien ; il donne du sentiment et de l’aventure, dans un paysage tourmenté de la côte anglaise de Cornouailles, l’extrême pointe sud-est de l’Angleterre, souvent battue par les tempêtes.

A 23 ans, sa mère morte, Mary ne peut plus tenir seule la petite ferme de Helford et vend pour rejoindre sa tante Patience, mariée à un aubergiste. L’auberge de la Jamaïque est un relais de poste sur la route qui mène à Penzance et elle a mauvaise réputation. Jadis brillante et animée, elle fait désormais peur et le cocher, qui dépose Mary et sa malle devant la porte du bâtiment isolé dans la lande parcourue par le vent, s’empresse de repartir. La jeune fille au prénom de vierge saura très vite pourquoi. A noter que l’auberge existe bien et qu’elle est désormais, après le roman et le film, un haut lieu du tourisme local. L’autrice y a séjourné l’année avant d’écrire son texte.

Joss Merlyn, le mari de la tante, est une brute aux mains curieusement délicates. Il est contrebandier, ce qui est de notoriété publique, et racole tout ce que la contrée peut contenir de malfrats, voleurs et criminels en fuite. La bande tâterait même de l’activité honnie de naufrageur, mais les preuves manquent. Mary affronte le monstre qui, curieusement, aime que les femmes lui tiennent tête et la respecte pour cela. Aujourd’hui, un auteur ferait inévitablement tomber la jeune fille dans le viol et les frasques sexuelles, mais pas en ce temps-là, ce pourquoi Daphné du Maurier est lue par les adolescents de tous sexes. Ils y trouvent l’aventure comme au début de L’île au trésor, le crime comme dans le film Les Contrebandiers de Moonfleet. Mary ressort blanche comme neige du monstre et de sa bande et le crime même ne l’atteint pas lorsqu’elle s’y trouve confrontée. Elle est forte.

Elle trouve sa tante complètement sous l’emprise de son mari, brisée comme une petite souris effrayée qui fait semblant de rien, bien loin de la jeune femme vive et enjouée dont elle se souvenait dix ans auparavant. Joss loge et nourrit Mary orpheline à condition qu’elle aide sa tante au ménage et à la cuisine, et qu’elle serve au bar. Où il n’y a d’ailleurs personne, sauf le samedi soir où la bande vient s’aviner et brailler jusque fort tard dans la nuit. Pour le reste, Mary doit être comme les trois petits singes : ne rien voir, ne rien écouter, ne rien dire. Car la contrebande est punie par la loi et le crime de naufrageur de la potence.

Mais Joss lui avoue, une nuit qu’il est saoul comme un cochon, qu’il a tué de ses mains les naufragés qui tentaient de s’agripper aux rochers, enfoncé à coups de pierre la tête d’une femme qui lui demandait de l’aide, brisé les poignets de son enfant… C’en est trop. Mary veut dénoncer le crime, sa conscience la tourmente, maintenant qu’elle sait. En suivant son oncle une après-midi dans la lande, elle le perd avant de se perdre dans le brouillard digne du Chien des Baskerville. Épuisée, trempée et encore loin de l’auberge, elle ne sait plus où elle est ni où elle en est lorsqu’elle rencontre sur la route le vicaire d’Altamun, un village à quelques milles. C’est un curieux ecclésiastique, albinos, aux yeux froids, et qui sonde les âmes. Elle se confie à lui..

Sans savoir qu’il est pour quelque chose dans tout ce qui arrive et qu’il pourrait bien connaître le chef de la bande de Joss. Mary risque sa vie pour fuir l’auberge par la fenêtre de sa chambre, où son oncle l’a enfermée à clé, songeant à partir dans la nuit parce que l’étau se resserre sur ses méfaits. Il a dépassé les bornes en enivrant sa bande de désaxés avant d’aller faire échouer et piller un navire pour son propre compte, sans voir le jour qui se levait et sans avoir le temps d’emporter grand-chose. Mais c’était le crime de trop, toute la contrée bruit déjà de rumeurs et le squire remue enfin son gros popotin pour faire quelque chose avant que les gens ne s’en mêlent eux-mêmes.

L’oncle est retrouvé mort dans sa propre maison, ainsi que sa femme, et c’est peut-être son frère Jem qui l’a fait pour sauver Mary – ou le vicaire, absent justement à ce moment-là. Lorsque la milice arrive, sous les ordres du squire, tout est accompli et Mary est libre. Mais que faire ? Retourner à Helford dans l’ouest de la Cornouailles, avec un climat plus doux, et reprendre une ferme ? Elle est secrètement tombée amoureuse du frère de Joss, mauvais garçon lui aussi mais pas criminel. Jem était le petit dernier et Joss le battait ; ils ne se sont jamais aimés mais Jem est plus intelligent, même rusé. Mary est bien tentée. Pour une fille-garçon comme elle, il lui faut un homme à poigne, qui la séduise et qui l’entraîne. Peut-être comme le général pour l’écrivaine.

Daphné du Maurier, L’auberge de la Jamaïque (Jamaica Inn), 1936, Livre de poche 1975, 313 pages, €7,70, e-book Kindle €7,49

DVD La taverne de la Jamaïque, Alfred Hitchcock, avec Alfred Hitchcock, Charles Laughton, Horace Hodges, Hay Petrie, Maureen O’Hara, Universal Pictures 2006 anglais et sous-titres français, 1h48, €8,99

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