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Françoise Sagan, Bonjour tristesse

Pourquoi relire le premier roman d’une jeune fille peu rangée de 19 ans au milieu des années cinquante ? Peut-être pour mesurer combien les premiers romans d’aujourd’hui apparaissent moins bien écrits ; peut-être pour se rappeler que cette bluette a été lancée à grand renfort de pub et que « le génie » tient surtout, auprès des foules, à la quantité de commentaires qu’il suscite ; peut-être pour mesurer combien « la jeunesse » des années passées est aussi vide que la nôtre, cette période de l’adolescence n’étant « difficile » que parce que les enfants sont maintenus hors de la société, en état de minorité et sans tâche utile à accomplir.

Françoise Quoirez, dite Sagan, n’a rien à dire mais elle le dit avec une petite musique qui fait passer le temps. Elle se présente telle qu’elle est, à 17 ans, ayant échoué au bac et orpheline de mère, avec un papa viveur qui a loué une ville sur la Côte. Whisky, bagnoles (on la laisse conduire !), clopes, boites, trompent l’ennui. Ainsi que le sexe, mais avec précaution, c’était avant la pilule et la capote, et sous l’œil de la Morale sourcilleuse de tous. La jeune Cécile s’amuse : elle boit, elle nage, elle drague. Elle ne se fait baiser qu’aux deux-tiers du livre, sans émoi particulier mais avec un certain plaisir. Elle jettera son Cyril brun et robuste une fois rentrée à Paris.

C’est qu’elle y retrouve Papa et leur vie bohème à deux. Elle a réussi à l’arracher à force d’intrigues, aux griffes d’une Anne de 40 ans qui visait le mariage. Papa, veuf depuis ses 25 ans, a beaucoup séduit et roulé d’une femme à l’autre, la dernière, Elsa, étant une jeune rousse de l’âge de Cyril. Mais elle ne fait pas le poids face à une Anne épanouie en sa maturité, directrice de mode parisienne et sûre d’elle-même. Cécile prend peur : cette marâtre va-t-elle jouer de son autorité sur elle ? Ses façons de voir vont-elles changer la vie fantasque de Papa et fifille ?

Pas de ça chez nous ! L’adolescente monte une intrigue digne des Liaisons dangereuses avec Elsa et Cyril en instruments. Il faut que ces deux-là aient l’air de s’aimer (au sens charnel) pour que Papa soit jaloux et veuille reconquérir Elsa, ce qui mettra en fureur Anne et la poussera à rompre avec ce viveur décidément irréformable. Quant à Cyril, il « aime » Cécile (ou du moins son corps dont il jouit) mais Anne a décidé que ce n’était pas un garçon pour elle et quelle ferait mieux de réviser son bac pour les épreuves de septembre. Quant à Cécile, le garçon n’est un boy toy comme on dira plus tard, un godemiché de muscles mais sans avenir.

Ce qui devait arriver arrive – et le roman se clôt sur un « retour à ». Papa et fifille sont à nouveaux unis comme avant, Papa frivole allant de femme en femme jusqu’à l’impuissance, fifille picolant et s’amusant en boite et poursuivant de vagues études en profitant du nid et de l’aisance dans l’indépendance.

Peut-être aussi faut-il se souvenir de la mode de l’époque qui était à la littérature « engagée », froncements de sourcils et sort de l’humanité en jeu à chaque page ? Françoise Sagan a voulu briser cette dépendance malsaine de son style direct et par la désinvolture de sa fureur de vivre version bourgeoise.

Françoise Sagan, Bonjour tristesse, 1954, Pocket 2009, 160 pages, €4.95 e-book Kindle €5.99

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