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Stephen McAuley, Et qui va promener le chien ?

McCauley Et qui va promener le chien

Enseignant l’écriture à l’université de Cambridge, Massachusetts, l’auteur écrit aussi des romans. Stephen McCauley a publié en 1997 The man of the house, qui a été traduit en poche 10/18 sous ce titre heureux de : Et qui va promener le chien ? C’est bien en effet le chien qui apparaît comme le personnage central.

Ce chien est le symbole de chacun des personnages et il les relie, fragilement, entre eux. Ce « bâtard de 8 kg » (on aime la précision américaine), est recueilli sur une aire d’autoroute par une mère célibataire, accessoirement écrivain, Louise, et par son fils de 12 ans, Ben, qui n’a jamais connu son père. Le chien était attaché sous une table de pique-nique, laissé pour compte dans l’agitation des départs. C’est aussi le cas de chacun des protagonistes du roman : la vie va trop vite pour eux, ils se sentent largués. « Se sentent », pas « sont » – car chacun découvrira qu’il suffit de ne pas rêver d’une « autre » vie et de s’appliquer à vivre pleinement celle-ci pour trouver un apaisement très proche du bonheur.

Clyde, le narrateur, s’est lancé avec enthousiasme dans des études vaguement littéraires qui se sont enlisées en maîtrise, où il a tâté de tout avant de renoncer. Il donne de vague cours pour de vagues adultes à « l’Académie parallèle », tout un monde ! Mère morte, père égoïste, sœur hystérique peu sûre d’elle-même, Clyde se découvre homosexuel mais ne réussit à établir aucune liaison stable… sauf avec l’hétéro qui co-loue son appartement. Clyde est toujours à vouloir ce qui est justement hors de sa portée.

Ce colocataire, Marcus, est trop beau pour être vrai. En toute chose il a besoin de temps ; passif, il se laisse bercer. Il poursuit donc une thèse en psychologie sans jamais la rattraper depuis dix ans ; il poursuit le rêve d’un couple sans jamais se faire à l’idée du mariage ; il se découvre père de fait sans le savoir et sans se résoudre non plus à faire le point avec ce fils déjà adolescent tombé du ciel. Il vit toujours à côté.

A Boston, cité chic, ville universitaire de la côte est, Stephen McCauley donne à suivre un bon résumé des névroses de la société américaine. Le contraignant « tu dois » social se heurte à l’immaturité de la génération post-68 à l’égoïsme sacré. Velléitaire, bourré d’illusions sur sa personne et sur une existence « idéale » qui n’est jamais à portée, chacun est sa propre galaxie, entraînant dans son orbe divers personnages éphémères. Tous « font semblant », tant le milieu littéraire est laissé pour compte dans une société orientée d’abord vers la production et le commerce. Stephen McCauley a des phrases vengeresses, dont tout le plaisir vient de son acuité d’observation, sur cette société dont il mesure le vide.

Sur les cours pour adultes : « Un homme dont je n’avais jamais été capable de retenir le nom annonça qu’il était inscrit aux deux trimestres de « Transformations », le cours le plus recherché de l’école… » p.121

Sur la banlieue chic : « C’était un monde de vastes parkings reliés entre eux par des routes qui, pour cause d’engorgement de la circulation, ressemblaient souvent à de vastes parkings. Chaque motel chaque restaurant, chaque salon de coiffure pour chien, chaque salle, était le maillon d’une chaîne nationale, apportant à l’ensemble des lieux une atmosphère surréaliste, si bien qu’on avait l’impression d’être partout en général et nulle part en particulier. » p.132

Sur la sécurité des lotissements : « Tout le monde parlait de meurtriers qui s’introduisaient dans la résidence pour massacrer les habitants pendant leur sommeil. (…) Tandis que la communauté s’acharnait à se protéger de l’extérieur, plusieurs conflits domestiques avaient éclaté à l’intérieur, dégénérant en violences diverses, suicides et même, en une occasion, homicide. » p.298

Moins grinçants que Woody Allen mais tout aussi inadaptés, quêtant désespérément le « modèle » paternel ou autoritaire qui les recentrerait sur eux-mêmes, les zombies du roman sont, au demeurant, sympathiques. On ne s’ennuie jamais en leur compagnie même si, souvent, les « problèmes » dont ils se font une montagne apparaissent ridicules – rien qu’une bonne décision ne puisse effacer à l’instant. Mais cette décision, ils ne peuvent la prendre ; elle se prendra toute seule, par laisser-faire, car « il n’y a aucune question que le temps ne finisse par résoudre de lui-même », suivant l’adage bien connu des parlementaires de nos républiques monarchiques.

Voici une chronique de Boston moins savoureuse que celles de San Francisco, du célèbre Armistead Maupin, mais qui berce de sa petite musique, si pénétrante pour s’introduire dans une société qui parait proche – et qui est pourtant si loin de nous.

Stephen McCauley, Et qui va promener le chien ? 1997, 10/18 2004, 399 pages, €7.70

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