
Comment faire lorsque l’écriture est votre vie et que vous n’écrivez que sur elle ? Vivre n’est pas si simple car il faut se renouveler. Surtout après le prix Goncourt, le septième ciel des écrivains français. Arthur, fils d’immigrés italiens à Marmande, monté à Paris, est devenu célèbre, mais tout cela l’ennuie : l’empêche de vivre. Il ne voulait pas devenir comme eux, comme « un psy, un type connu qui faisait partie de la célèbre tribu parisienne des gens intelligents, des gus dont les noms traînaient un peu partout dans les gazettes et sur Internet. Normal : ils signaient des pétitions à tour de bras. C’était un clan où l’on se sentait bien au chaud. Et puis, ça rendait fort d’être entouré, comme ça, de mecs ou de nanas qui pensaient comme vous, sans trop se poser de questions. »
Son ex-femme, une à particule de la haute, lui a donné un fils qu’il a appelé Robert-Louis, comme Stevenson dont L’île au trésor fut sa lecture de chevet, et celle qu’il a faite au gamin avant de le quitter. Car il a été forcé au divorce à cause de son alcoolisme croissant, remède à un désespoir de vivre.
Trotte dans sa tête « la phrase de Jack London : On ne peut pas attendre que l’inspiration vienne. Il faut courir après avec une massue ». Il court, il court, donc loin et longtemps, jusqu’à Sumatra en Indonésie, à l’opposé du globe. Il va rejoindre un vague cousin, Giovanni, devenu représentant d’une ONG militant contre l’huile de palme et pour la protection des orang-outan. Le dépaysement l’inspire, le remet à zéro. Il renaît.
Il rencontre Stavros, un gros Grec qui se déprave moralement. Non seulement il produit cette huile de palme riche en acides gras saturés qui favorise l’obésité et qui encourage la déforestation parce qu’elle n’est pas chère, mais il a tué par inadvertance son fils de 11 ans à la chasse au tigre. Sa femme, Lamia dite la Tigresse, lui en veut et, depuis ce jour, refuse qu’il la touche. Mais elle aime le sexe ; elle jette donc son dévolu sur Arthur, jeune écrivain qui, dès lors, renonce à s’alcooliser, en ayant perdu les raisons. Dans la mythologie grecque, Lamia serait une créature devenue monstrueuse par désespoir. Diodore de Sicile raconte qu’elle était princesse de Libye, fille du roi Bélos. Parce que devenue l’amante de Zeus, l’épouse bafouée Héra tue tous les enfants de Lamia. Par vengeance et désespoir, elle s’est alors attaquée aux enfants pubères des autres pour les enlever, en jouir et les anéantir.
Lamia est dans ce roman donnée en version positive, bénéfique ; elle s’attache. Stavros va-t-il récupérer sa femme, partie avec Arthur ? Il s’adjoint l’aide de son ami Sutan, des services secrets indonésiens devenus puissants depuis que la Chine lorgne un espace vital accru autour des îles à gisements de gaz. Mais la nature s’en mêle…
L’auteur de ce roman d’aventures tisse une toile chatoyante d’amours torrides, de désespoirs surmontés, de tendresse filiale, de plats exotiques et de paysages luxuriants, sans en omettre aucun détail. Son histoire nous fait voyager, non sans humour, comme par exemple cette observation sociologique sur une réserve d’hominoïdes dans le sud de la France : « au Cap Nègre, une sorte de zoo privé pour industriels friqués où l’on se reconnaissait les yeux fermés, rien qu’à l’odorat. »
Patrice Montagu-Williams, La tigresse de Sumatra, 2024, Aesa éditions, collection Filles d’Eve, 185 pages, €17,00, e-book Kindle €7,99
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Les romans de Patrice Montagu-Williams déjà chroniqués sur ce blog
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