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26 Vers Tartu

Départ à sept heures en ce lundi matin sans petit-déjeuner ; nous avons juste le temps de prendre un café au distributeur installé sur le comptoir. Il coûte généralement un euro, mais il est gratuit pour nous ce matin, avec le sac que nous emportons qui comprend un sandwich, une pomme et un chausson aux pommes.

Nous avons des Arabes, ils ont des arbres, trois milliards en Estonie. Les pins rouges ont des troncs droits qui étaient très utiles aux mâts des navires à voile. Aujourd’hui, ils servent à la construction et à l’ameublement. La forêt est de part et d’autre de la route du Nord.

Selon le guide, les Estoniens sont réputés pour leur lenteur. Deux amis marchent depuis un moment, quand soudain l’un d’eux se retourne et écrase un escargot. – Mais pourquoi tu as écrasé cet escargot ? – Je n’aime pas ça, cela fait trois heures qui nous suit !

De Riga à Tartu, nous avons 250 km en bus à parcourir. Les forêts du parc national sont peuplées de lynx, d’élans, de loups, d’ours bruns, de castors, de tétras, de cigognes, de grues. Les rivières ont servi aux vikings à pénétrer à l’intérieur du pays tout comme aux croisés teutoniques à envahir la contrée. Forêts, marécages, lacs, blocs de grès, tel est le paysage sous un ciel bas.

Nous passons devant la réserve de gaz centralisée du pays dont la concession a été confiée… à Gazprom, le maître russe ! Le premier ministre était corrompu. Le pays est donc sous dépendance ; c’est en train de changer, lentement.

La femme de Pierre le Grand est née ici. C’était une paysanne de Livonie, la province suédoise qui regroupait Lettonie et Lituanie. Orpheline, elle a été recueillie par un pasteur puis enlevée très jeune par le général Menchikov qui l’a emmenée à Moscou. Il l’a prise comme amante puis Pierre le Grand la vue et la prise à son tour avant qu’il la trouve assez forte pour devenir sa femme. D’esclave, elle est devenue tsarine et a régné deux ans sous le nom de Catherine Ire. Elle vivait à la dure, couchait par terre, montait à cheval, buvait beaucoup, tout comme son mari à la guerre. C’est pourquoi il l’aimait bien. Intelligente, elle avait du bon sens et complétait son esprit. Elle était plutôt occidentaliste et moderne, au contraire du fils de Pierre le Grand qui était slavophile et plutôt traditionaliste conservateur.

Nous traversons le village de Ragana. Il y avait auparavant une auberge où servait une très belle femme qui ne voulait pas se marier. Tous les jeunes gens du pays la courtisaient mais elle refusait toujours. Un jour, on l’a vue accompagnée d’un homme à barbiche, portant un haut de forme. Un coup de vent a fait s’envoler le chapeau et on aurait aperçu, dit-on, les deux cornes du diable.

Pause-café à la ville forteresse de Valka, 1,3 millions d’habitants dont 0,8 sont partis en Finlande. La politique d’ouverture du finlandais Kekkonen, du temps de l’Union soviétique, a permis beaucoup de contacts entre l’Estonie et la Finlande. La nouvelle génération de 1991 a été formée en Finlande et le pays a adopté l’euro dès 2011. 25 % de la population estonienne est russophone, ce qui ne veut pas dire pro-Poutine. Les salaires sont plus élevés en Finlande d’où l’émigration. L’alcoolisme règne à la campagne.

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24 Églises de Riga

L’église Saint-Jacques, où est venu le pape, est en restauration. Une messe se termine à l’intérieur en ce dimanche, et deux écrans permettent de suivre le prêtre donnant la communion dans le chœur. Nous entrons et ressortons avec discrétion.

Dans une rue, les maisons des Trois frères, appelées ainsi car elles sont côte à côte et de même style.

Nous déjeunons au restaurant Milnzis Kiploks – « à l’ail noir » – qui est très bon. Nous avons une soupe au chou-fleur et bouillon de poulet à la crème, du filet de poisson vapeur avec une purée verte de pommes de terre courgettes et salade, une meringue italienne sur un roulé de génoise.

La Doma est la cathédrale de Riga. Elle est luthérienne. La chaire est faible, les pierres tombaltes, mais il nous faut faire retour vers l’autel pour le concert d’orgue de 1880 par l’organiste Aigars Reinis qui interprète le prélude en mi mineur BWV 548 de Bach, puis le prélude chorale BWV 639, l’idylle du monastère d’Alfred Kalnins (que j’ai beaucoup aimé), enfin de Charles–Marie Widor, compositeur pour orgue français du début du XXe siècle, le final de sa sixième symphonie pour orgue. Reinis est le directeur de la musique de la cathédrale de Riga. Il a été pendant des années choriste et soliste avec le chœur de la radio lettone et membre de la Scola Cantorum de Riga. Il a reçu en 2019 le Grand prix de musique lettone pour l’ensemble de son œuvre. Nous avons beaucoup apprécié cet intermède musical qui nous changeait des musées et des vieilles pierres. Un jeune homme blond aux traits nordiques accusés, mais beau, assistait tout seul sur un banc au concert. Parmi les touristes, à part nous, seulement quelques Asiatiques.

Sur les vitraux subsistants de la cathédrale, l’homme en noir est le roi de Suède. Il possédait une armée faible en nombre mais puissante. On n’y voit la croix de fer allemande créée en 1813 pour récompenser les soldats contre Napoléon. Son origine est la croix des Teutoniques.

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Henry Bogdan, Les chevaliers teutoniques

La chevalerie fait rêver depuis que l’athéisme s’est répandu en Occident ; la croisade teutonique fait rêver depuis que les nationalismes sont revenus en force dans une Europe en perte de vitesse dans le monde. Ce petit livre, écrit à la fin du siècle dernier, survole l’histoire de l’Ordre des chevaliers teutoniques depuis ses origines jusqu’à nos jours. Il est évidemment incomplet, donc frustrant pour ceux qui veulent des détails, mais remarquablement construit pour ce qui veulent connaître cet ordre chevaleresque.

L’Ordre de Sainte-Marie des Allemands, appelé des chevaliers teutoniques, est né des croisades. Un moment rattaché à l’Ordre des Hospitaliers de Saint-Jean, il est devenu un ordre papal à part entière en 1191. Il avait pour mission la protection des chrétiens en Terre Sainte et le soin aux blessés des guerres incessantes contre les musulmans. Les chevaliers sont à la fois militaires et moines, ce qui allie la guerre à la spiritualité, tout comme le kibboutz, le communisme ou le scoutisme. Il ne faut pas négliger cette aspiration totale qui anime les humains à servir dans une communauté. Comme moines, les chevaliers et les frères soignent les blessés tout en accomplissant les rites chrétiens comme des prêtres ; comme guerriers, ils luttent contre les païens et les infidèles.

Beaucoup de livres ont été écrits sur les chicayas des chevaliers des nations occidentales en Terre Sainte, et surtout sur l’intransigeance orgueilleuse et inepte de la papauté en ces lieux qu’elle ne connaissait que de loin. C’est plutôt la diplomatie des Grands-maîtres qui a permis de conserver quelques dizaines d’années supplémentaires Jérusalem et la côte aux mains des chrétiens. Mais la poussée de l’islam était trop forte et toute présence occidentale a été éradiquée de Terre Sainte.

Les chevaliers teutoniques se sont alors repliés sur l’Europe, où il possédait des commanderies dans divers pays. C’est la Pologne qui leur a demandé d’aller évangéliser les confins de la mer Baltique et d’y établir des forteresses pour protéger les chrétiens. Ce sera dès lors une lutte constante entre les Vieux-Prussiens et les Lituaniens tous deux païens, les Russes et les Polonais tous deux chrétiens, aidés parfois par les Allemands. Les Grands-Maîtres teutoniques s’y useront et nombre de chevaliers de l’Ordre périront dans des guerres meurtrières. C’est cependant l’Ordre teutonique qui fondera l’État prussien et bâtira les villes de Königsberg, Dantzig et Marienburg.

« Le système hiérarchique de l’ordre reposait sur l’existence d’une élite, les frères–chevaliers, encadrant militairement les hommes levés dans les campagnes, renforcés par des croisés appelés à l’occasion. Ce système a bien fonctionné jusqu’à la fin du XIVe siècle. » p.174. Ensuite, ce fut le déclin. Le recrutement des frères-chevaliers s’est fait plus rare car l’esprit de croisade avait disparu du fait que les populations étaient désormais chrétiennes. L’activité consistait plus qu’à administrer les provinces et à faire de la politique avec les féodaux alentour qu’à évangéliser. Le recours à des mercenaires payés s’est fait plus nombreux, engendrant des tensions avec les chevaliers, jusqu’à leur humiliation dans la forteresse de Marienburg. Le recours à l’impôt pour lever ces mercenaires a suscité une opposition grandissante des sujets de l’Ordre tandis que les intérêts commerciaux des Polonais a entraîné de constantes querelles sur l’accès à la mer Baltique depuis l’intérieur du continent et a poussé aux guerres.

Le schisme protestant a affaibli le pape tandis que la guerre de Trente ans a affaibli l’empereur germanique au profit des nations qui commençaient à émerger dans les pays allemands. L’ordre s’est sécularisé en Prusse orientale devant l’annexion par la Pologne de la Prusse occidentale et le Grand-Maître s’est rallié à la réforme protestante. Au XVIIIe siècle tous les Grands-Maîtres appartiendront à la maison d’Autriche et l’empereur Napoléon Ier a dissout l’ordre en 1808. Il est né à nouveau en 1834 comme institution religieuse et militaire dans les États autrichiens, avant d’être une fois de plus dissous par les nazis en 1938. Il a été autorisé par les puissances occidentales d’occupation après 1945 comme organisation caritative. Aujourd’hui, l’Ordre effectue des actions sanitaires et hospitalières, et assiste les personnes âgées et handicapées.

L’Ordre des chevaliers teutoniques n’a pas été une institution ésotérique, même si certains Grands-Maîtres frayèrent avec la Franc-maçonnerie à l’époque des lumières. Il n’a pas été non plus la pointe avancée du nationalisme germanique comme certains nazis l’ont pensé pour servir leur idéologie, mais a été appelé par les Polonais contre les païens qui les menaçaient au bord de la Baltique.

Au total, l’Ordre teutonique a été original parmi les ordres nés des croisades siècle, bien que moins important que les Templiers et les Hospitaliers. Quiconque effectue un voyage dans les pays baltes se doit de connaître cette histoire qui a fondé l’Etat prussien contre la Lettonie, la Lituanie et l’Estonie.

Henry Bogdan, Les chevaliers teutoniques, 1995, Tempus Perrin 2002, 227 pages, €8.50

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