Mais où est passé Denis ?

Le lendemain, il ne fait pas beau. Cela devient de la routine. Alors que durant les deux semaines précédentes selon Stéphane, le temps était resté au beau presque tout le temps. Nous semblons être définitivement entrés en automne cette année. La météo ne prévoit rien de bon avant le week-end prochain, dans quatre jours : pluie, vent fort, faible visibilité. Le programme est donc modifié. Nous restons ce soir encore à l’auberge. Nous ferons une balade pour la journée.

Ce sont à nouveau les prés, les tourbières et les landes. Nous marchons à grosses bottes dans une végétation craquante, gorgée d’eau, ivre de sucs. Curieuse impression de piétiner de vigoureuses chairs nues par terre. Culpabilité écologiste de qui se préoccupe de nature et des liens de l’homme avec ce qui l’entoure ? Fleurs et plantes sont les mêmes que dans nos campagnes. Elles me rappellent irrésistiblement depuis quelques jours les vacances de mon enfance dans les grasses plaines du nord. Mes grands-parents m’ont fait connaître l’odeur de l’herbe, des champs mouillés, du terreau des sous-bois. Ils m’ont appris à reconnaître les plantes des champs, celles dont les lapins étaient friands, et quelques arbres d’espèces communes dans « les bois de mon grand-père ». Tout cela me revient par bribes, lors de cette randonnée. Toujours la pluie, mais le soleil se montre de temps à autre. Alternances en quelques minutes d’un climat qui ne sait ce qu’il veut.

Nous passons une assez large rivière à gué sur des pierres glissantes. Amusements gamins, quelques pieds sont mouillés malgré les bottes, sanction des maladroits. A ce moment le soleil est apparu plus longuement, comme si notre manque d’équilibre le faisait rire. Au-delà, dans les champs tourbeux, des flaques d’eau croupie se cachent parmi les touffes d’herbes jaunes. C’est une terre éponge, un dense treillis de racines mortes, cette tourbe que l’on voit sécher dans les granges en briques taillées à la bêche pour les feux de l’hiver qui approche.

Nous déballons le pique-nique dans un pré fleuri de pissenlits. On parle des sujets qui rassemblent : la banalité des films récents, des feuilletons télé d’il y a longtemps (Le Prisonnier, Mission Impossible, Belle & Sébastien). Cette dernière série, sentimentale, séduisait beaucoup les filles. Le gamin, métis franco-marocain franc comme l’or et fils de prince, était un audacieux et sensuel petit mâle de la fin des années soixante tandis que le chien était une grosse boule de poil paternelle, fidèle comme un nounours. J’avais un ami de primaire qui était en classe avec lui au collège de Passy-Buzenval. Nous partageons les haricots verts vinaigrette mélangés de maquereaux en boite et d’oignons, nous coupons le pain. Il en reste, qui en veut encore ? Tiens, il faudrait en donner à Denis qui, hier, soir, avait grand appétit pour les saucisses.

Mais où est passé Denis ? Personne ne s’en est aperçu mais Denis n’est plus avec nous. Nino Ferer chantait Mirza, « Z’avez pas vu Mirza ? Oh la la la la la la, Où est donc passé ce chien, Je le cherche partout ! » Nous chantons le père Denis, dommage qu’il n’aboie pas, on l’entendrait de loin. Rançon de son effacement dans le groupe, ou image vraie de cet assemblage de médiocres fermés sans intérêt ? Il a dû manquer une bifurcation en allant pisser à moins que, lui aussi, n’ait trouvé son Emmanuelle ? Mais tout le monde féminin est là. Une chèvre peut-être ? Nous remballons tout, nous retournons à l’hôtel à pied. Il aura peut-être trouvé tout seul le chemin ? On le cherche un peu partout alentour. On finit par le retrouver, pas très loin. Il n’avait pas vu que nous passions la rivière à gué, étant en train de pisser – trop longuement – sans regarder au-dessus de son nombril.

Douche, bar, je goûte à la rousse. Non pas Emmanuelle, qui est fatiguée ce soir, mais à la bière, la Smithwick. Lecture, billard. Longue partie « où chacun tire son coup » (Bernadette). Stéphane prépare le repas de spaghetti bolognaise et de crème à la poudre de framboise (un délice anglais paraît-il). C’est une sorte de Jelly au goût chimique accentué, à l’acidulé artificiel, et dont je n’apprécie que la consistance mousseuse.

Catégories : Irlande, Voyages | Étiquettes : , , , , , , , , , , , ,

Navigation des articles

Les commentaires sont fermés.

%d blogueurs aiment cette page :