Nathalie Ganem, Rendez-vous à l’Élysée

La France, nation de commandement disent les historiens. Et quoi de mieux que Napoléon 1er pour l’incarner ? Mais, en 1815 à Waterloo, « morne plaine », les armées impériales sont vaincues par une coalition de l’Europe entière, sous la houlette des Anglais. Et non sans quelques trahisons côté français… Car des collabos, il y en a toujours eu, il y en aura toujours. Par jalousie, envie, ressentiment – tous ces beaux sentiments de la Morale du Bien qui excuse tout, n’est-ce pas ?

La pièce de théâtre en trois actes de Nathalie Ganem met en scène le nœud de l’histoire. Napoléon 1er, vaincu après les Cent jours, revient à l’Élysée plutôt que de rester parmi son armée. Il se croit la France, comme d’autres avant et après lui. Démesure de l’orgueil : si les Français lors du retour de l’île d’Elbe l’ont acclamé sur la route, c’était parce qu’ils en avaient assez du « roi » sempiternel et du vieux Louis XVIII réactionnaire. La Révolution était passée et l’empereur, malgré tout, l’incarnait. Mais aussi, suggère Fouché, ministre de la Police, parce qu’ils avaient peur de l’armée.

Sauf qu’ils en ont désormais assez des batailles incessantes contre le monde entier, de croire avoir raison contre tous et de la saignée d’un million d’hommes sur 30 millions d’habitants à l’époque, qui allait affaiblir la France durablement face à la future Allemagne. Assez de guerres et de conquêtes, enfin la paix ! C’est ce que Napoléon n’a pas compris. Il espère l’union nationale mais les Chambres ne sont pas prêtes à le lui accorder, car le peuple qui vote n’est plus prêt à le suivre.

La mobilisation générale finit par fatiguer la jeunesse ; l’enthousiasme des passions n’a qu’un temps. Un temps court. Sur le temps long, ce qui importe est la paix, la vie paisible au travail, la prospérité, la famille et les enfants. Choc entre la gloire et la durée, entre la jeunesse et la maturité, entre la guerre et la paix (Tolstoï s’y essayera dans une œuvre célèbre). Le peuple choisit plutôt une vie longue et terne à une vie courte et brillante. Le peuple n’est pas Achille.

Fouché, fait duc d’Otrante en 1809, a manigancé l’abdication car il sent le peuple et suit tous les méandres de la chose du peuple, la république, par goût de la survie. Il a été et sera de tous les régimes et réchappera à tous. Joseph Fouché, né en 1759 en Bretagne et fils de matelot devenu capitaine, ami de Robespierre et franc-maçon, mitrailleur au canon des contre-révolutionnaires à Lyon (la guillotine allait trop lentement), est ministre de la Police sous le Directoire, le Consulat, l’Empire et la Seconde Restauration. Après l’abdication de Napoléon 1er en faveur de son fils Napoléon II (qui n’a que 5 ans), Fouché devient président du gouvernement provisoire et négocie avec l’Angleterre. Il remet sur le trône Louis XVIII et devient son ministre de la Police. Mais il a voté la mort de Louis XVI et finit par être rattrapé par son passé. Il mourra en exil en 1820 et brûlera ses archives, laissant des Mémoires arrangées.

Napoléon envisageait en 1815 un second coup d’État pour dissoudre les Chambres et instaurer une dictature temporaire en levant une nouvelle armée de 150 000 hommes. Mais à quel prix ? La France est exsangue et une guerre civile en plus de la guerre européenne la mettrait à genoux. Mieux vaut négocier avec l’ennemi avant d’être dominé (ce que tentera Pétain en 40).

Pour éviter l’affrontement de deux mâles dominants, l’autrice ajoute en féministe Hortense de Beauharnais, fille adoptive de Napoléon, qui lui conseille de négocier avec sa belle-famille de l’empire d’Autriche. Ce que le petit Corse parvenu refuse, comme de bien entendu. Sa femme et son fils sont réfugiés à Vienne, ils y restent.

Telle est l’histoire en trois actes du douloureux passage à la modernité. Elle est incarnée par le brillant dictateur et par le machiavélique ministre, chacun jouant son rôle, le premier de gloire et d’étendre les Lumières, le second de prospérité et des nécessaires adaptations. Hortense joue la Femme, celle qui incarne les valeurs de la famille et de la continuité. Mais ni l’un ni l’autre ne l’écoutent vraiment.

Cette pièce est un peu la suite du Souper, dont Édouard Molinaro a tiré un film d’une pièce de Jean-Claude Brisville qui met en scène Joseph Fouché et Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord en 1815 sur le retour du roi.

Plusieurs représentations ont lieu à Paris, au théâtre de Nesle, 8 rue de Nesle dans le 6ème, les vendredis et samedis, du 2 décembre 2023 au 209 janvier 2024. Elles sont jouées par les acteurs Benjamin Arba, Sarah Denys, et en alternance, Blaise Le Boulanger et Jean-Charles Garcia, mise en en scène de Nathalie Ganem. Durée 1h20, prix €22.00, tarif réduit étudiants et ayant-droits, €16.00

Nathalie Ganem, Rendez-vous à l’Élysée, 2023, L’Harmattan Théâtres, 73 pages, €11,00

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com


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3 réflexions sur “Nathalie Ganem, Rendez-vous à l’Élysée

  1. Pingback: La suite du "Souper" selon Argoul, sur Nathalie Ganem "Rendez-vous à l'Elysée" - Guilaine Depis, attachée de presse (Balustrade)

  2. C’est toujours intéressant de débattre et de se pencher sur les précisions historiques.
    Vous avez raison dans les chiffres, mais leur interprétation peut être vue autrement.
    Si je lis l’encyclopédie des wikipèdes, « à partir de 1750 et durant tout le XIXe siècle et jusqu’en 1945, la France connut une très lente progression démographique due à son taux de natalité très faible, le plus bas d’Europe, alors que le reste du continent connaissait un véritable essor démographique ». Il s’agit donc d’un « ressenti » que la France était en déclin démographique et que la saignée d’un million d’hommes (en fait 806 000 https://www.persee.fr/doc/pop_0032-4663_1951_num_6_4_2611)n’était pas négligeable dans les mentalités.
    En 1815, 48% de la population seulement était en âge de se battre (20-59 ans), et nous devons considérer que la moitié seulement était des mâles. Donc 1 million sur 7 millions en âge de combattre (sur 30,3 millions d’habitants en 1815 -la pièce parle de seulement 28 millions), 1 sur 7 : cela fait beaucoup ! Plus que « décimer » la population mâle (1 sur 10 « seulement »).
    Et si en effet « l’Allemagne » n’existait pas en tant que telle encore, Napoléon 1er a accéléré son unification. Une fois de plus je cite les wikipèdes : « Après les batailles d’Austerlitz et d’Iéna, mis à part l’Autriche et la Prusse, tous les dirigeants des États allemands se retrouvent sous l’influence directe de la France : le 12 juillet 1806, seize États allemands signent le traité de la confédération du Rhin par lequel ils s’unissent et acceptent la France comme leur protecteur, en échange de quoi ils fournissent des troupes et fidélité. Le nombre des États membres passe plus tard à 35. » et enfin : « Le nationalisme allemand naît de la défaite française en Russie, même si la défaite prussienne d’Iéna l’avait déjà préparé en donnant lieu au Discours à la nation allemande de Fichte. » Cette perception par les Français d’une coalition en formation à l’est était aussi un « ressenti » qui allait contre la guerre à outrance.
    L’affaiblissement français était donc à mon avis bien réel dans les mentalités, à la fois biologiquement et géopolitiquement.
    C’est en tout cas le propos de la pièce de théâtre dont je rends compte et dont l’auteur femme n’est pas historienne.

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  3. Pascal ARNOUX

    « La saignée d’un million d’hommes sur 28 millions d’habitants à l’époque, qui allait affaiblir la France durablement face à l’Allemagne » : vous faites une confusion avec la France des années 1880-1914, où la natalité stagne à un inquiétant niveau.

    En 1815, la France a 30 millions d’habitants, et si sa natalité décline progressivement depuis le milieu du XVIIIe siècle, elle reste assez forte pour que le pays en ait 38 en 1870.
    La perte d’un million d’hommes sur vingt-trois ans (les guerres ont commencé en 1792), est relativement supportable, d’autant qu’il n’y a pas de mobilisation générale. C’est proportionnellement moins que durant la guerre de Succession d’Espagne.

    Il n’y a pas d’Allemagne en 1815, mais une Confédération germanique de 38 Etats, dont les plus puissants sont l’Empire d’Autriche (qui en fait partie jusqu’à la défaite de Sadowa en 1866) et la Prusse, les principaux autres étant les royaumes de Saxe, de Bavière et de Hanovre, les grands-duchés de Bade et de Wurtemberg.
    La population totale, inférieure à celle de la France, la rattrape en 1870, la Confédération de l’Allemagne du Nord et les Etats allemands du Sud alignant un peu plus de 36 millions d’habitants (cette fois sans l’Autriche, devenue Autriche-Hongrie en 1867). La crise de l’été 1870 et les manigances de Bismarck unissent ces deux confédérations jusqu’alors antagonistes.
    L’annexion de l’Alsace-Lorraine (1,5 million d’habitants) inverse les totaux de populations en faveur du nouvel Empire allemand : 38 millions contre 36,5 à la France en 1871.

    En 1914, la France a 39,8 millions d’habitants, l’Empire allemand 67 (plus 10 millions ayant émigré surtout aux Etats-Unis et en Amérique latine, montrant que l’Allemagne a doublé sa population depuis 1871). La Grande-Bretagne a triplé la sienne (de 15 à 45 millions), l’Italie aussi, la Russie également, et tous les pays européens ont une démographie galopante. Cela leur a permis de tenir deux guerres mondiales en dépit des pertes. Sauf la France : en 1914-1918, elle déplore 1,4 million de tués sur seulement quatre ans.. En 1939, elle n’en était pas encore remise.

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