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Claire Etcherelli, Élise ou la vraie vie

Premier roman, gros succès. Nous sommes en 1967 et l’autrice décrit une vie de pauvres en 1957, douze ans après la guerre. La France se reconstruit, dans les errements politicards de la IVe République et les affres de la décolonisation, en Indochine, puis en Algérie. Mais « l’Algérie c’est la France », comme le disait François Mitterrand, ministre de l’Intérieur en 1954. Aussi nombre d’Algériens viennent travailler sur les chaînes de production automobile autour de Paris. Pas besoin de visa, le département français d’Algérie forme une sorte d’espace Schengen avec la métropole.

Claire Etcherelli a passé son enfance à Bordeaux comme Élise ; elle a subi l’écart de classe et a refusé de passer son bac comme son jeune frère Lucien ; elle est montée à Paris en 1957 pour y travailler comme contrôleuse sur une chaîne de fabrication Citroën comme Élise et Lucien. Elle a donc vécu ce qu’elle écrit. Sa plume alerte décrit fluide la robotisation du corps humain par la chaîne, la fatigue le soir qui fait sombrer dans le sommeil sans se laver, les relations furtives avec les autres si elles ne sont pas encadrées par un syndicat ou un parti, le racisme ordinaire du populo qui voit en les Algériens des « crouillats ». Le peuple n’est pas bon, généreux, ouvert ; le peuple est tout le contraire, mauvais par ressentiment, égoïste sur les salaires et les femmes, méfiant envers les autres, surtout les étrangers et les non-blancs. Les populismes d’aujourd’hui le marquent bien, après des siècles de propagande chrétienne où l’on est « tous frères », et de formatage marxiste selon lequel l’Histoire ne connaît pas de races.

Élise est fan de son frère Lucien, de sept ans plus jeune qu’elle. Ils sont tous deux orphelins et elle l’a toujours couvé comme une quasi maman, jusqu’à 14 ans où il a trouvé un ami de 17 ans, Henri, et a secoué la tutelle familiale de la grand-mère et de la grande-sœur. Mais Henri est l’intello qu’il ne sera jamais ; il veut l’éblouir en se musclant pour le seconder en sport, mais Henri choisit un autre camarade à la fête gymnique du collège. Lucien s’expose volontairement pour faire échouer l’autre. Il se casse la jambe et reste plusieurs mois à l’hôpital, où il lit assidûment. Mais Henri ne vient pas le voir, le délaisse. Déçu, Lucien se laisse aller ; il ne passera pas son examen, vivra aux crochets de sa sœur ; fera quelques heures de petit boulot comme pion.

Il croit que le mariage va le délivrer de sa mouise et il épouse une voisine béate devant lui et bien sage, Marie-Louise ; il lui fait une petite Marie. Mais il ne s’émancipe pas. Il rencontre Anna, avec qui il peut discuter, et en fait sa maîtresse. Lorsque Marie-Louise tombe malade, lui part à Paris avec Anna, pour travailler en usine. Il a renoué avec Henri, qui fait son droit et milite au Parti communiste. Henri le manipule pour qu’il lui donne matière à écrire des articles sur les ouvriers, mais dédaigne l’activité de colleur d’affiches de Lucien. Élise, décidément accrochée, le rejoint à Paris. Elle trouve du travail à la chaîne automobile, où elle contrôle les ouvriers, la plupart algériens. Sociable, elle tombe amoureuse d’Arezki, sous le regard réprobateur de ses collègues blancs, hommes et femmes. Les rafles policières dans un Paris que le FLN terrorise par ses bombes, la xénophobie accentuée par la guerre dans les Aurès, les taudis dortoirs de la périphérie et le bidonville dans la boue de Nanterre, l’espoir de « révolution » aussi bien chez les ouvriers blancs que chez les Algériens en France, sont décrits au ras de la vie quotidienne.

Lucien est tué dans un accident de la route en solex volé pour participer à une manif ; Arezki, renvoyé de l’usine et sans fiche de paie, est interpellé par la police ; Anna devient amante d’Henri. Élise quitte Paris pour rentrer à Bordeaux. Elle a cru à « la vraie vie » – et ne l’a pas trouvée auprès des hommes. Claude Lanzmann dans Elle, et Simone de Beauvoir dans Le Nouvel Observateur encensent ce roman qui va selon leurs vues de gauche communiste. L’autrice est lancée ; le roman se vend par centaines de milliers. Consécration, il est adapté au cinéma en 1970 par Michel Drach. Il ne semble pas y avoir de DVD disponible.

Une histoire datée, publiée l’année avant « les événements » de mai 68, mais qui se lit bien tant l’écriture est soignée et rapide. Un document d’époque.

Prix Femina 1967.

Claire Etcherelli, Élise ou la vraie vie, 1967, Folio 1973, 277 pages, €8,50, e-book Kindle €34,81 (!)

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