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Annie Ernaux : un non-prix Nobel

Le Nobel apparaît comme le plus mou des consensus du politiquement correct international. Une bonne conscience de salon sans aucun talent ni piment, un ronron sans avenir.

Il « fallait » donner le prix littéraire cette année à la France (pourquoi la France ?). Salman Rushdie aurait été nettement plus représentatif des « valeurs » de liberté et de fraternité que l’âne IR-no, le R2D2 de la Guerre des étoiles littéraires contemporaines. Car Annie Ernaux n’existe pas : elle n’est que le « on » qui se laisse aller de la doxa, dans son siècle déboussolé, dans son pays moyen, dans sa province assoupie, dans sa famille traditionnelle et petite-bourgeois. Le triomphe du « on », de l’impersonnel fait de tout et de rien. Une non-existence qui plaît au globish anglo-saxon, lui qui n’a plus aucune véritable culture. Si c’est ça l’avenir vanté par le Nobel…

« Venger ma race et venger mon sexe », voilà ce à quoi se résume le discours Nobel de l’Annie errante. Race ? Sexe ? Des mots identitaires. A quoi cela sert-il de récompenser la liberté et la « paix » en encensant trois associations de droits de l’Homme en Russie, Ukraine et Biélorussie, si c’est pour se vautrer dans l’insignifiant en littérature ? Pourquoi pas alors Emmanuel Carrère, fils de Russe (géorgienne), si l’on veut faire encore plus plat et « moderne » ?

Car il faut que le prix aille au progressisme d’ambiance, à « la gauche » (d’on ne sait quoi, tant le monde entier se « droitise »), au féminisme de plus en plus revanchard et aberrant, à l’éveil minoritaire des petits egos sexualisés, racialisés, identifiés. Le triomphe du petit, du particulier, du médiocre. Le triomphe du « on » anonyme dans sa platitude sans intérêt. Une définition par l’époque et par « les choses ».

J’ai écrit en 2011 déjà, bien avant le Nobel et les polémiques d’extrême-droite, tout ce que je pense de cet auteur (« on » dit autrice désormais pour faire genre) en 2011 et je n’ai pas changé d’avis.

Quelle déception que ce prix Nobel ! Le Nobel de « La Honte » – un titre de l’Annie, pas le titre de l’année.

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Annie Ernaux, Les années

Article repris par Medium4You.

Une biographie impersonnelle est un étrange objet. L’auteur ne parle de lui qu’en creux, un Ça qui va, ballotté par le destin. Annie Ernaux se laisse vivre, ou plutôt on apprend qu’elle n’existe pas. Elle est dans le vent comme la poussière, feuille déjà morte en cours de voltige. Annie Ernaux n’est pas une femme mais une matrice, pas une mère mais une nourricière, pas une adulte inscrite dans l’histoire mais un objet posé là dans la mode du temps. Elle n’a rien à transmettre car elle n’existe pas. Relativiste bobo, de gauche – forcément de gauche – parce que c’est ce qui se fait, évidemment prof puisque c’est la pente confortable en État-providence. Donc écrit vaine.

Curieuse mémoire que celle qui n’a rien à dire. Son époque la traverse sans émouvoir quoi que ce soit en elle. Elle est neutre, elle ne juge rien, ne crée pas. Femme, elle intériorise la passivité matricielle qu’on croyait pourtant évacuée depuis la pilule et l’émancipation de 1945 (droit de vote) à 1974 (droit à l’avortement). Marxiste selon la doxa de son milieu intello, elle est faite par les causes, elle n’est pas elle-même en cause. Ce sont les conditions économiques qui lui permettent de faire des études et d’obtenir une position confortable dans la société. De vagues étapes sur papier glacé, celui des photos du temps, fixent des moments où, selon la vêture, « on » apparaît dans un rôle : fillette, collégienne, étudiante, amante, maman, professeur, mémère.

C’est le « on » intégral qui parle, pas une personne. Annie Ernaux incarne si bien la transparence qu’elle rend des mémoires vides. Elle n’est que temps qui passe. Tout l’indiffère ou presque. La France est un terrain de jeu, pas un pays dans le monde, ni une société où la politique façonne l’avenir. Même son métier, l’éducation, l’indiffère. Elle se met « hors classes » assez vite avant de jeter ses notes et cours la dernière année. Elle a voté Mitterrand avant de se dire entubée, comme tout le monde. Elle a voté Laguiller sans voir Le Pen en embuscade, a donc voté Chirac comme 80% des cons qui ont fait joujou avec le premier tour. Le mot est d’elle : « on avait pensé, les cons » p.272. On le sait depuis toujours : « on » est con – sagesse des nations. Ça confirme. Elle n’a pas voté Sarkozy mais n’aime pas la Royal, « sa façon molle et bien éduquée d’aligner des phrases creuses » p.240. Dommage car elle remet ça, la candidate. Dans ce monde des « choses » à la Georges Perec, le naming tient lieu d’histoire et les êtres se chosifient. « On » était là quand les biens matériels s’étalaient dans la société. « On » a participé à cette identification aux choses. « On » était de ce temps-là qui rêvait de libération avant de vieillir rencogné dans son petit cocon.

Cette non-présence écrase jusqu’à la petite musique qui charme. Car il reste un ton, anonyme, répétitif, indifférent, mais un ton. Peut-être ne faut-il lire de cet auteur que ce livre ? En 250 pages défilent soixante années du siècle. Chacun peut s’y reconnaître et c’est peut-être cela, le « roman moderne » : un texte caméléon où chacun met sa couleur, un supermarché de scènes où le lecteur pousse son caddy et pique ici ou là ce qu’il veut acheter. Nous savons, elle en a fait des romans, que son père petit-bourgeois a failli tuer sa mère quand elle était petite. Elle en a eu « honte » (titre d’un de ses livres), honte de ses origines, honte de sa classe sociale. Est-ce pour cela qu’Annie Ernaux se neutralise ? Elle ne s’évalue à rien, sortie de rien, n’allant vers rien. Elle embrasse l’époque comme la repentance blanche européenne tellement à la mode : coupable de tout, coupable d’être, no future. C’est un lent suicide qui passe de sa vie – ratée – à ce roman – qu’on n’a nulle envie de relire. Livre kleenex qui ne parle que des choses qui identifient, du temps qui passe et n’est que mode. Ni le siècle, ni l’auteur ne sont intéressants. Le lecteur n’a nulle envie d’aller aux autres œuvres, ces non-pensées de cette non-femme dans l’éternel présent. On se dit qu’elle ne marquera pas le siècle.

Mais il fallait ce roman de la durée (dont nous préférons les macarons) pour ravir la collection Folio : elle en a fait son numéro 5000…

Annie Ernaux, Les années, 2008, Folio, 254 pages, 6,27€

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