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Musée de l’Ermitage

Le lendemain samedi, nous allons en visite nous-mêmes au musée de l’Ermitage, ancien palais d’Hiver d’Elisabeth 1ère achevé en 1762. L’ouverture est à 10h30.

Une exposition s’y tient, celle des « Trésors retrouvés » – il y en a 74. Les plus intéressants sont un Manet, « Portrait de Mademoiselle Lemonnier », de 1879, son beau visage songeur est à peine esquissé. De Renoir, « Dans le Jardin », de 1883, à l’atmosphère printanière, lumineuse, c’est l’amour. Les yeux bleus précis sont perdus dans un lointain. De Renoir encore « Roses et jasmin dans un vase de Delft », 1880. De Cézanne, l’une des « Montagne Sainte Victoire » de 1897 ; le tableau est très calme, apaisant, les couleurs pastels ajoutent à l’air serein du paysage. Van Gogh a échoué ici avec un « Paysage avec maison et paysan » de 1889, très coloré ; les figures montent vers la gauche, tout est mouvement. De Manet, « le jardin » de 1876 est un piquetage de touches lumineuses vertes d’une sérénité gaie, une jeune femme en blanc se tient sur la gauche dans une robe mousseline d’une séduisante transparence. Henri Fantin-Latour a peint des « Fleurs » sur quatre tableaux précis, lumineux et charnels. Camille Corot est ici pour son « Paysage avec garçon en chemise blanche » de 1855, que j’aime beaucoup ; le blanc éclate sur la poitrine du garçon, sur le bouleau et la maison, le vert et le sombre sont partout ailleurs ; une femme, cachée dans l’ombre, figure une apparition inquiétante. Empêche-t-elle de vivre tout ce qui luit, l’arbre, l’enfant, la maison ? Ou est-elle l’origine occulte de tout cela, la matrice de vie ?

Dans le reste du musée figurent trois Greuze pleins de vitalité dont un petit enfant aux joues rouges, aux mèches brunes et aux lèvres pulpeuses qui regarde le spectateur avec des yeux couleur biche ; il s’agit du comte P.A. Stroganov enfant, peint en 1778. Un Fragonard dessine le baiser volé, la fille effarouchée, délicieuse, sa commère aux cents coups. Je prends en photo un Pierre b ras droit du Christ, de Rubens, figuré en brave pêcheur rugueux, rougeaud. Et surtout « la jeune fille au chapeau », tableau ovale de Camille Joseph Roqueplan (1800-1855). Le sein gauche est offert aux bouffées de chaleur de l’été par le corsage défait, la fille semble surprise en pleine cueillette de fleurs des champs, au point d’offrir la sienne, nue, sous la jupe qui contient justement la récolte. Sa bouche pincée et son air pudique ne doivent pas tromper ; elle appelle les caresses et j’en suis très ému. Je la ravirais volontiers si elle était de chair. Las ! Pourquoi faut-il que les plus belles, les plus sensuelles, des jeunes filles désirées ne soient que pigments fixés sur une toile par l’imagination embellie ? Gérard de Lairesse (1641-1711) offre une autre désirable fille aux seins nus. Parmi les peintres français du 19ème, David a peint un très sensuel trio nu, Sapho, Phaon et l’Amour. La chair est lumineuse, les formes parfaites, le lit pareil à une nuée, les trois regards sur une même ligne comme si le désir amoureux élevait l’âme vers les hauteurs éthérées et égalait les hommes aux dieux pendant de brefs instants.

Dans la partie moderne, une gardienne me fait m’esclaffer. Cette fonctionnaire stricte, portant jupe longue noire, grosses chaussettes et chemisier blanc boutonné jusqu’au cou, s’est assise sous la vahiné langoureuse de Gauguin « Où vas-tu ? » de 1893, qui porte les seins nus et cueille les fruits (défendus) exotiques sur son île, endroit de paradis (réel et non socialiste) où l’on vit des fruits des arbres et de l’air du temps. Je peux réaliser la photo sans qu’aucune des deux femmes ainsi assemblées par le hasard, n’en rie. Dans le quartier des estampes, oh ! le beau chat noir et blanc japonais. Le peintre a saisi la bête en pleine action de guet, oreilles dressées et yeux attentifs, les pattes tendues. Les ombres noires portées au sol par les branches d’un buisson sont autant de griffes aiguës qui suggèrent la fulgurance cruelle du petit fauve et donnent son atmosphère inquiétante à la scène.

La sculpture est largement présente avec des œuvres des 18ème et 19ème siècles. Le buste de Voltaire par Houdon grimace ses sarcasmes depuis son fauteuil en pointant le bras de l’autre côté de la frontière suisse sur laquelle il s’est prudemment réfugié. L’Amour de Falconet pose son doigt sur ses lèvres mutines, tandis qu’Amour et Psyché, peaux lisses et corps délicieux, se pâment sous le ciseau de Bernozzi. Une fille de Goethe. L’Eros d’Emil Wolf est un garçonnet précieux de 7 ans au corps fin qui promet. Le petit fouleur de raisins de Lorenzo Bertolini n’est guère plus âgé mais a déjà les muscles exercés par le travail ; les boucles de sa chevelure luxuriante sont comme autant de grains de raisins sur sa tête. Le vin pressé aura-t-il autant de corps ?

Le même sculpteur a aussi dégagé du marbre une jeune fille dont la rêveuse nudité est surprise à la toilette, son ventre et ses seins sont régulièrement frottés par des mains subreptices des collégiens russes, à ce qu’il semble. De Thorvaldsen, un jeune garçon sur ses coudes est un parfait 13 ans athlétique au torse bien dessiné, à la chevelure énergique. Du même est un joli Ganymède échanson. De Dupré, un enfant. Abel gît un peu plus loin, admirable cadavre terrestre oublié de Dieu qui n’a pas reconnu les offrandes de viandes de son frère, pourtant bien respectueux lui aussi avant de devenir meurtrier par (légitime ?) jalousie. Une jeune fille semble prier, à deux genoux, avec la seule beauté de son jeune corps fragile, encore vierge, en offrande. J’ai toujours aimé cette Russie immense, énergique et affective.

La peinture à l’Ermitage est un vaste département, il est difficile de décrire tout ce qui séduit. Je note des Matisse, quelques Gauguin, presque tous les Derain, et un Bernard Buffet représentant des poissons, malheureusement exilé dans un couloir au-dessus d’un escalier. En peinture classique il y a de tout : des paysages romantiques de Corot, Ruysdaël, très peu de peinture religieuse, l’Annonciation de Filipino Lippi et une du Corregiano. Les portraits sont en grand nombre, témoignant peut-être du goût affectif des russes qui préfèrent le visage au paysage, avides de l’humain plutôt que des immensités. Le paysage russe est fait de steppes et de grandes étendues et ce qui séduit est l’humain, tout au contraire de nos contrées denses et civilisées, les villes italiennes, les villages français, les capitales régionales allemandes, les campagnes anglaises. Il y a des Van Eyck, des Greuze, quelques Renoir, des Rembrandt (ou « attribués à »).

Nous passons vite les salles de vaisselles, d’armures et d’archéologie scythe ou égyptienne. Il n’y a presque rien sur les Grecs, hors des copies de sculpture, souvent romaines, dont un torse de jeune homme à la courbure élancée. Nous passons rapidement aussi les intérieurs reconstitués, vivants mais clinquants. En fait, seule la peinture (et quelques sculptures pour ceux qui l’aiment) mérite à mes yeux le détour. Mais elle est mal présentée. Des vitres font reflet sur les toiles, les éclairages sont placés de façon scolaire et sont trop directs. En revanche, l’étendue du musée empêche qu’il y ait trop de monde dans les salles et l’on a le temps de contempler les œuvres.

Passent bien sûr des groupes, des Italiens, quelques Français, des Russes évidemment, mais nombre de visiteurs sont individuels, souvent accompagnés d’enfants en ce long week-end. L’été ouvre les cols, les petites filles sont croquignolettes, déguisées comme au ballet. Les parents prennent plaisir à les habiller de couleurs vives et de costumes très typés qui sont charmants. Les garçons sont considérés comme des sauvages qu’il faut laisser courir et se battre, vêtus à la diable ; ils sont plus ternes et n’ont pour eux que leur vigueur ou leur teint.

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Qatar, les secrets du coffre-fort

christian chesnot et georges malbrunot quatar les secrets du coffre fort

Le président François en revient, occasion de lire un livre d’actualité. Christian Chesnot & Georges Malbrunot, le duo de journalistes ex-otages en Irak, se lancent sur le Qatar bashing : la crainte française de la nouvelle puissance de ce pays lilliputien comptant 180 000 natifs. Ces affairistes bédouins, désormais élevés dans les universités américaines, achètent les codes occidentaux à coups de milliards tirés de la manne gazière. Ils possèdent ainsi Les joueurs de cartes de Cézanne, « le » tableau à 250 millions de dollars, mais aussi le Paris Saint-Germain, club de foot parisien mais pas cher, et de nombreux hôtels de luxe. Leur tentative de prise de participation dans EADS a mobilisé contre eux les souverainistes et autres antimondialistes, tandis que leur fonds pour les banlieues en pleine campagne présidentielle a suscité la colère de tous les islamophobes.

Bien que le lecteur ait souvent l’impression que deux ragots recoupés forment une « information », ce livre qui se lit vite résume tout ce que « les médias » peuvent savoir sur le Qatar : les frasques de Rachida Dati et de sa famille, le clan féodal qatari, les luttes entre tribus, la confusion du patrimoine entre le pays et la famille régnante, le clientélisme avec l’argent du gaz, la politique de « l’État c’est moi ». Avec une rencontre privilégiée des intérêts sous Nicolas Sarkozy : « Entre le Président français et le Premier ministre qatarien, le courant est vite passé : même sens de l’opportunité, même absence de complexes face à l’argent et même quête de coups politiques » p.221.

qatar carte d

Mais il s’agit d’actualités, pas d’approfondissement. Ce livre est un objet « jetable », obsolète dans un ou deux ans. Les journalistes ont dépouillé la presse et interrogé quelques témoins, ils n’ont lu aucune recherche universitaire ni de science politique semble-t-il. Ne comptez donc pas en savoir plus que le titre accrocheur « les secrets du coffre-fort ».

En fait de secret, il s’agit d’un comportement clanique de nouveaux riches, où la puissance financière se double d’achats par pulsions. Le fonds souverain qatari pour l’avenir, QIA (Qatar Investment Authority), dispose chaque année de 30 milliards de dollars à dépenser, il faut bien trouver où ! La vague stratégie poursuivie est industrielle, immobilière et diplomatique : l’argent sert à créer des liens.

Les participations industrielles visent à sécuriser l’accès au savoir-faire qui intéresse le Qatar (exploration pétrolière Total 3.8%, Shell 3% ; infrastructures Vinci 5.8% ; traitement de l’eau Véolia 5% ; voitures de luxe Porsche-Volkswagen 10% ; communications Lagardère 12.8%, Vivendi 2%, France télécoms 1%).

L’immobilier, principalement à Londres et à Paris, servent à dégager des plus-values (exonérées d’ISF sous Sarkozy comme sous Hollande), tandis que l’art participe au prestige tout en assurant un investissement.

La diplomatie du carnet de chèque permet l’intermédiation dans l’armement (la guerre en Libye, le combat contre Bachar El-Assad), l’islamisme « modéré » (la chaîne Al-Jazeera) et le sport (l’achat de la FIFA pour obtenir la coupe du monde de foot en 2022 et du PSG pour se faire connaître d’ici-là).

Chacun peut lire ce livre comme un long article superficiel mais qui fait le point si l’on n’y connait rien, sans attendre ni révélation ni compréhension véritable du pays. Une sorte de fiche Wikipedia à la mode du temps diluée en 300 pages écrit gros, suite de points sans structure (13 « chapitres » !) juste pour faire le tour de ce qui se dit. Il n’y a même pas une carte pour situer ce confetti dans le monde. On ne s’ennuie pas, on n’apprend guère, et c’est bien trop long et pas assez croustillant pour ceux qui n’aiment pas lire. Décevant…

Christian Chesnot & Georges Malbrunot, Qatar les secrets du coffre-fort, mars 2013, édition Michel Lafon, 334 pages, €17.05 (format Kindle €12.99)

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