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Delphine Bell, Loterie

L’existence est faite de hasard et de nécessité : comme les individus. C’est ce que disait Démocrite, vieux Grec du IVe siècle avant : « Tout ce qui existe dans l’univers est le fruit du hasard et de la nécessité ». Et le biologiste moléculaire Jacques Monod, prix Nobel 1965, d’ajouter, en 1970 : « Le hasard pris sur l’aile, préservé, reproduit par la machinerie de l’invariance et ainsi converti en ordre, règle et nécessité. Un processus totalement aveugle peut par définition conduire à n’importe quoi ; il peut même conduire à la vision elle-même ». L’autrice, fille de son temps, réfléchit sur le concept de loterie – 46 ans en 2022 si l’on en croit son livre (de fait, elle est née en 1971 et se rajeunit un peu, sauf au chapitre 25).

Toute la vie est sans cesse, à chaque instant, une loterie : de gagner au loto ou subir un cancer, de tomber sur de bons parents qui s’aiment ou dans une famille toxique, d’avoir un frère à ses côtés qui organise ou personne, d’être marié à quelqu’un qui vous soutient ou qui vous bat. Tout ce livre égrène les divers moments de « loterie » : le passé, la solitude, la vison du monde, l’écriture, la jeunesse, un lieu, le développement personnel, les normalité, les petits triomphes, la paresse ou la volonté, les chiffres, l’héritage, la gentillesse, les lecteurs/lectrices, la cagnotte – et j’en passe : en tout 34 chapitres de loteries.

Il est écrit comme un journal intime au ton très familier, avec des fautes récurrentes, d’orthographe, d’accent, de majuscules, et des citations approximatives comme « vanita de vanitae » en place de « vanitas vanitatum et omnia vanitas » – un clic, et gogol permet de vérifier.

La littérature est, selon la conception de l’autrice, diplômée en Science politique, une quête qui mène vers son destin en retraçant sa généalogie. Après Roi et toisur son père, Dernière liberté sur sa mère, vient le temps de la famille : Loterie. « Peut-on vraiment tout revivre par l’écriture ? » p.11. N’est-ce pas une « illuscience » ? « L’écriture est une illusion, une uchronie d’un temps bien réel, une fouille de ce qui doit rester » p.36. Peut-on ainsi faire son deuil en faisant parler, sous forme de personnages fictifs, des fantômes ? « Le deuil est un non-reconcement, au fil du temps » p.150.

Être soi entre hasard et nécessité, loterie et stratégie ? Pas facile, en ce monde, en cette époque, en cette vie. Même l’argent, même la beauté, même la célébrité, ne vous mettent pas à l’abri. « Faire le job », disait sa mère comme un mantra. Ainsi Camus imaginait-il Sisyphe. « Elle esquivait les faibles, les idiots, les sans-cœur, les médiocres. Son objectif essentiel était sa famille, et cela lui suffisait », dit l’autrice de sa mère p.113. Telle était la nécessité personnelle qui la conduisait dans les hasards du monde et lui faisait éviter « la méchanceté ».

C’est peut-être une leçon.

Delphine Bell, Loterie, 2024, éditions du Flair, 191 pages, €12.00, e-book Kindle €10,99

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