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Jean Orieux, Souvenirs de campagnes

Décédé à 82 ans en 1990, Jean Orieux le biographe et romancier a chanté la province en cette fin des années 1970 nostalgiques. C’était l’époque du patrimoine, des lieux de mémoire, du retour sur le passé (qui ne passe pas), de la gauche avide d’arriver – au pouvoir et surtout aux « affaires ». Sa province, bien qu’ayant des origines bretonnes et ayant vécu son enfance à Duras puis à Bordeaux, est le Limousin. Il y a été inspecteur de l’enseignement primaire durant des années. Sa vie a pris ensuite d’autres voies, dont celle du professorat et de l’écriture. Il conte ici ces années Limousin, avant 1938 (et Munich) et après. Durant la drôle de guerre, qui a achevé d’effondrer la France dans l’attentisme et l’ennui, il avait 32 ans. De mauvaise santé, il a été réformé.

Avant 1938, le Limousin, c’était la campagne, le Moyen-Âge. Les gens vivaient renfermés dans d’épaisses fermes de granit (radioactif) et ne se lavaient presque jamais. Ils étaient toute l’année en sabots dans la boue et la bouse. Ils vivotaient d’un peu de maraîchage, d’un peu d’élevage, en saison de cueillette des pissenlits, des cèpes et des châtaignes. Ils restaient ignorants, n’allant à l’école que lorsque le foin ou les chèvres n’avaient pas besoin d’eux, et sortaient à 12 ans sans avoir toujours le niveau du certificat d’études. Ah, non, le monde agricole, « ce n’était pas mieux avant » ! Il peut aujourd’hui tenir salon, c’était avant-guerre le monde de l’autarcie, de la petite patrie, de l’horizon borné.

L’auteur est amoureux du paysage, si vert et vallonné, et du climat, tempéré même si les hivers sont glacials (-23° parfois !). Les gens lui plaisent aussi, hantés de croyances et usés aux coutumes ancestrales, mais conviviaux lors des fêtes et de la tue-cochon.

Dès 1938, chez ceux qui lisent, la guerre devait arriver à grands pas. C’est toute l’astuce de Hitler de n’avoir rien fait durant une année entière, après la « déclaration de guerre » des Français et des Anglais en 1939 : lui s’est préparé, les autres sont restés inertes. Tout comme aujourd’hui avec Poutine : lui attend (pour se renforcer), nous restons inertes (en croisant les doigts sans rien faire – sauf Macron qui se décarcasse). Le lourd germain Scholz tergiverse, consulte, hésite, ne dit rien, laisse aller. Il n’ose pas. A l’envers, son prénom fait falot.

Jean Orieux décrit les affres de la mobilisation, l’inaction délétère, les réfugiés alsaciens qui bouleversent les écoles et les communes. Puis le déclenchement de l’offensive en mai 1940, brutale, mécanique, préparée. Une Blitzkrieg efficace portée par la jeunesse, l’audace, les chars et les avions – ce que les badernes galonnées en France (sauf le colonel de Gaulle) avaient repoussé comme non conforme aux règles de 14-18, toujours en retard mental d’une génération. L’auteur raille la propagande inepte, d’un optimisme imbécile, du gouvernement de Paul Reynaud, « un petit politicien qui promettait la victoire sans avoir fait la guerre. »

L’auteur raille aussi la nomination comme généralissime des armées françaises de Gamelin, 68 ans, qui avait été blessé déjà sous Napoléon III. Intelligent, il manque cependant de fermeté et d’esprit de décision et sa stratégie purement défensive du front continu, appuyé sur la Ligne Maginot, fut un grave échec : les Allemands sont passés (comme d’habitude) là où on ne les attendait pas, débordant les fortifications et filant directement vers la mer pour encercler l’armée française presque tout entière en Belgique. La faute aux politiciens de gauche, analyse l’auteur : « J’eus l’occasion, bien des années après la guerre, de lier amitié avec un brave homme que la politique avait poussé dans ces temps reculés d’avant-guerre, à un poste très élevé. Je me permis de lui demander pourquoi le gouvernement d’alors, auquel il avait appartenu, avait choisi Gamelin. Il parut embarrassé et il y avait de quoi. « Que voulez-vous, me dit-il, nous sortions du Front populaire, tous ces militaires ne nous inspiraient pas confiance, alors nous avons choisi le plus inoffensif. » Un généralissime inoffensif en face d’Hitler ! De ces mots-là, un pays ne se remet jamais tout à fait » (La ferraille patriotique). Souhaitons que les temps aient changé…

C’est ensuite « la débâcle et ses épaves », « l’exode des balais », « enfin l’armistice ». Jamais Pétain ne fut plus populaire qu’en 1940, lorsqu’il se coucha devant l’envahisseur. Tous les petits garçons se prénommaient alors Philippe. Les Français ne voulaient pas faire la guerre, le commandement était stupide, l’organisation de l’armée et du pays bordélique – le vieux « vainqueur de Verdun » leur permettait de respirer dans le (dés)honneur. Il préparait l’expiation : la Révolution nationale.

RN, les lettres sont les mêmes – le programme aussi. Jugez-en sur l’affiche « monumentale », alors placardée sur les murs des communes de France, avec Révolution nationale en « lettres d’un demi-mètre ». C’est « une œuvre de rénovation » (Reconquête), « pour le travail », « pour la famille », « pour la patrie ».

Il s’agit de « renoncer à la facilité » (de la dette et de l’assistanat), « à la faiblesse des politiciens » (la chienlit Nupes à l’Assemblée), « de revaloriser la famille qui assure la continuation de la race », « en encourageant la natalité » (réarmement démographique de la France), « en rappelant l’existence de Dieu » (l’empire médiatique Bolloré, catho tradi), « en renforçant l’autorité des parents ».

Il s’agit « de rendre toute sa force au sentiment de la patrie et de l’unité française » (contre les communautarismes et les divisions partisanes), « en renforçant l’autorité du gouvernement », « en créant chez tous les Français l’esprit de discipline et d’entraide », de « maintenir et de rendre productif tout le patrimoine matériel et spirituel de la France », « en protégeant les traditions régionales et la culture classique nationale », « de redonner à la France le rang politique auquel son histoire lui donne droit ».

En bref la RN hier est la mère du programme du RN aujourd’hui. Il semble que les Français reviennent au pétainisme dans toutes les périodes de crise.

Jean Orieux évoque des anecdotes, Madame de Pourceaugnac la Résistante imprudente, les affaires de famille dans les fermes où les frères se disputent la même femme et les mêmes enfants avant d’être évincés… par un prisonnier allemand qui fait son nid, la sorcière chevrière devenue soudainement adulée pour avoir du ravitaillement, les cochons clandestins et le marché noir. C’est truculent, bien écrit, et donne l’état des campagnes durant l’Occupation.

Un livre de souvenirs à relire de nos jours alors que les mêmes craintes de guerre et de restrictions reviennent en force.

Jean Orieux, Souvenirs de campagnes, 1978, Livre de poche 1981, 477 pages, occasion €13,70

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Basil Liddell Hart, Les généraux allemands parlent

Le capitaine Liddell Hart, anglais né en 1895, est un expert en stratégie. Il n’aime pas Clausewitz mais préfère l’approche oblique de Napoléon à Austerlitz. Après la victoire de 1945, il passe son temps à interroger les généraux allemands incarcérés pour comprendre « de l’autre côté de la colline » comment on s’y est pris. Cela donne un livre intéressant, écrit de façon directe et sans jargon. Il se lit très bien et l’on en ressort avec quelques idées neuves.

Pour lui, Hitler a à la fois gagné les premières batailles et perdu la guerre. Tout est de son fait. Intuitif et amateur de livres tactiques, Hitler était passé maître dans l’audace et les effets de surprise. D’où le succès de l’invasion de la Pologne comme de l’URSS, le succès de la percée des Ardennes comme de la contre-offensive de 1944. Mais Hitler n’était pas stratège, méfiant et trop sûr de lui. Commandant en chambre, il ne connaissait pas le terrain ; soupçonneux envers les généraux et un brin paranoïaque, lui qui n’était que caporal, il préférait écouter les jeunes colonels, les fanatiques nazis, tous ceux qui faisaient échos à ce qu’il pensait. D’où ces fulgurances dans l’action vers l’avant et cette répugnance à toute retraite tactique pour consolider les positions. Il a donc gagné vite et perdu le long terme.

Pour Liddell Hart, les généraux allemands étaient les meilleurs professionnels de leur temps ; Hitler a su pousser les plus ardents au nom de la volonté, mais n’a pas su voir les réalités matérielles alors que le temps passait et que les divisions étaient usées. La volonté est nécessaire, mais si la raison froide ne vient pas l’épauler, elle s’efforce en vain. La défense élastique aurait mieux réussi en Russie comme en France, lors des offensives alliées, que la résistance à tout prix. Il y a des obstinations absurdes.

Mais il y a des intuitions fulgurantes de la modernité. Comme ce combiné des panzers et des avions en piqué, idée de Seekt réalisée par Guderian, qui fit merveille en France en mai 1940. L’erreur stratégique de Gamelin fut d’avoir placé les meilleurs éléments de l’armée française en Belgique, croyant à tort que la ligne Maginot interdirait toute action allemande sur le flanc. Le déni de mécanique a disséminé les blindés français dans des unités d’infanterie au lieu de les grouper en divisions. L’absence de réserves a empêché toute contre-attaque de flanc. C’est en revanche le refus d’Hitler de choisir de viser Moscou plutôt que de se disperser entre Léningrad et Stalingrad, qui a coûté la victoire en URSS.

Contrairement à la légende complaisante des vainqueurs, ce ne sont pas les réflexions sur les blindés du général de Gaulle qui ont attiré l’attention des Allemands avant la guerre sur les nouvelles tactiques, mais les expériences de la première brigade de chars britanniques créée dès 1931. Liddell Hart interroge le général allemand von Thoma : « Je lui demandais si les doctrines relatives aux chars allemands avaient subi l’influence du livre bien connu du général de Gaulle, comme on l’a souvent prétendu. Sa réponse fut : « Non, nous n’y prêtâmes pas grande attention, car nous le trouvions plutôt ‘extravagant’. Il ne donnait guère de conseils tactiques et planait dans les nuages. D’ailleurs, il fut de beaucoup postérieur aux démonstrations britanniques » p.151. Mais dès 1943 la Résistance française, une fois unifiée grâce à de Gaulle, devint un instrument important de la victoire des Alliés (p.456).

La bravoure des combattants a été mal servie par des chefs sclérosés et sans volonté. Le général allemand Blumentritt déclare à l’auteur : « Durant la campagne de 1940, les Français combattirent bravement, mais ce n’étaient plus ceux de 1914-18, ceux de Verdun et de la Somme. (…) Nous avions une aviation plus forte et des chars plus modernes que les Français. Nos chars étaient surtout plus mobiles, plus rapides, supérieurs dans les corps à corps. (…) Les Français (…) ni leur commandement ni leurs liaison radio n’étaient à la page » p.253. Les Russes ont eu, en revanche, d’excellents chars, robustes, simples à réparer et rapides. Un peu sous-armés au début mais le char Staline était « le meilleur de son temps », plus rapide que le Tigre.

Au total, voici un livre sur la période qui se dévore facilement et qui apprend comment le commandement allemand a vécu la guerre, entre le terrain et les lubies du dictateur. Beaucoup de noms nous sont presque inconnus, ignorés des manuels scolaires : Seeckt, von Brauchitsch, Runstedt, Warlimont, von Thoma… Rommel est remis à sa juste place, héros médiatique de la propagande mais guère instruit. Qui s’intéresse au sujet hors de l’hagiographie habituelle lira cette synthèse de témoignages qui a mis des décennies à être enfin traduite en français !

Basil Liddell Hart, Les généraux allemands parlent (The Other Side of the Hill), 1948, Prrin poche Tempus mars 2011, 552 pages + 4 cartes, €9.50

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