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Le tour du Monde de la politesse

Le quotidien Le Monde avait eu l’idée, en 2011, de demander à ses correspondants quelques articles sur les usages du savoir-vivre dans les différents pays qu’ils connaissaient bien. Ce sont 23 articles qui sont recueillis et édités, en collaboration avec Denoël. Parmi ces pays, le nôtre, en conclusion. Mais le maître du monde (évidemment les Etats-Unis) a droit à deux articles : c’est que l’est bostonien n’a rien à voir avec l’ouest californien.

Tout commence par l’ordre français, c’est-à-dire universitaire ou administratif : l’ordre alphabétique. Honneur à l’Allemagne, avant l’Autriche, puis le Brésil. Une autre façon, un peu moins technocratique, aurait été d’assembler les articles par continents, mais cela aurait pointé les manques – énormes ! – tels que la Suisse, l’Egypte, le Maroc, l’Indonésie, l’Islande, l’Arabie saoudite, le Nigeria et j’en passe. Car ce recueil est très incomplet, même s’il se lit avec bonheur.

Il ne manque en effet pas d’humour, y compris de cet humour particulier aux Français qu’est l’ironie. Je me permets de rappeler à ceux qui ont des doutes sur leur culture, que l’humour anglais contient une autodérision en même temps qu’une certaine tendresse pour ce dont on se moque, alors que l’ironie à la française, « voltairienne », contient une critique acerbe et argumentée en même temps qu’une certaine dose de méchanceté. Les pratiques de cour n’ont en effet pas été les mêmes d’un côté à l’autre de la Manche.

Ce qui explique aussi pourquoi le chapitre sur la politesse des Français commence par leur arrogance, leur radinerie et leur refus de parler une autre langue (par honte de leur accent et par misère de leur Education pourtant « nationale ») avant de terminer sur leur propreté et leur sens gourmet. Je l’ai souvent remarqué, à l’étranger les Français sont assez imbus d’eux-mêmes. Vaniteux, ils sont méfiants du regard des autres, ce qui les rend d’apparence arrogante – surtout quand ils ne font aucun effort pour dire bonjour ou merci dans la langue du pays, ce qui est un minimum.

A la lecture, les anecdotes tournent vite aux clichés : les Allemands sont ponctuels et exigent un regard franc et une poignée de main ferme ; les Espagnols sont systématiquement en retard et bordéliques et exigent l’abrazo viril sauf des dames. Les Japonais sont tout en nuances et courbettes mais veulent être écoutés et reconnus ; les Israéliens sont bruts de décoffrage comme dans l’égalitarisme des kibboutz et de l’armée où on ne s’embarrasse pas de fioritures. Les Russes ne sourient jamais à un inconnu, rançon de trois générations de socialisme où chacun surveillait tout le monde pour que l’Histoire s’accomplisse dans la Ligne. Les Polonais, en revanche, ont tout des mœurs inverses, russophobie ancestrale oblige. Quant aux Italiens, il suffit que vous portiez une cravate pour être honoré d’un sonore dottore, même si vous n’avez qu’un CAP. En Thaïlande et au Mexique, pas question de caresser la tête d’un enfant : cela porte malheur. En Grèce, se faire traiter de pousti (pédé) est une forme d’amitié entre hommes, sauf si c’est lors d’un accrochage en voiture où il s’agit d’une injure. En Mauritanie, les enfants sont bien élevés et prévenants, mais en Corée du sud, la complexité des rites et exigences fait que la jeunesse se comporte de plus en plus à l’américaine, c’est-à-dire de façon grossière et impolie.

Il manque beaucoup de peuples, même si ceux hantés par les touristes et hommes d’affaires ont été ici privilégiés. Mais 23 pays sur 195, avouons que c’est peu…

Le tour du Monde de la politesse, coédition Le Monde-Denoël, 2012, 140 pages, €13.00 occasion €2.98

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Dimitri Volkogonov, Le vrai Lénine

Une visite à Saint-Pétersbourg m’a fait m’intéresser une fois de plus à Lénine. Ce nihiliste froid est un utopiste sectaire de la race des Insectes futurs selon la typologie de Jünger. Le général Volkogonov, ancien directeur-adjoint à la propagande de l’Armée soviétique puis directeur de l’Institut d’histoire militaire, a été chargé par le président Eltsine en 1991 de superviser l’ensemble des archives du Parti et de l’État.

Il faudra un jour vérifier les sources qu’il cite, car elles sont encore largement non publiées et les talents d’historien d’un propagandiste, d’un militaire, d’un ex-croyant communiste, peuvent laisser dubitatif. Mais la richesse des documents de première main et le ressentiment de l’auteur gavé de catéchisme contre son dogme, parlent en sa faveur. Même si ce livre n’est peut-être pas encore la vérité sur Lénine, il y contribue en confirmant par des documents établis ce que l’on soupçonnait déjà, malgré les dénis des croyants communistes.

Nous apprenons sur le bolchevik des choses curieuses : que ses yeux ressemblaient furieusement à ceux d’un lémurien entrevu au zoo de Paris (A.I. Kouprine) ; pire, aux yeux mauvais d’un loup (A. Tyrhova). Il avait l’esprit puissant mais si dominateur qu’il étouffait toute compassion au profit de l’efficacité. Lénine n’avait qu’un but : le pouvoir. Il était prêt à tout pour l’obtenir. Les fins de la révolution pouvaient être nobles en dernier ressort, mais ces fins-là lui importaient peu. Ce qu’il voulait, c’était d’abord le pouvoir, ici et maintenant ; ensuite « on » verrait. Sûr de lui, arrogant et dominateur, extrême dans ses jugements et ses injures, Lénine était animé par la haine.

Ici, Volkogonov cite Richard Pipes. Lénine haïssait le tsarisme, qui a pendu pour terrorisme son frère aîné Alexandre, son idole ; les libéraux, lâches envers sa famille et intellectuellement peu cohérents ; la démocratie, dont il a vu dans ses exils le fonctionnement inefficace et l’hypocrite domination de la bourgeoisie sous le masque optimiste de la liberté ; ses camarades socialistes qui ne suivaient pas son chemin et se perdaient dans des pinaillages de chapelles. Cette haine constante fait de lui un fanatique qui prône « une lutte sans sentimentalité ». On voit comment Jean-Luc Mélenchon, qui révère Lénine, l’imite sans vergogne, parfois en se forçant un peu.

Cyclothymique – comme Hitler – grand nerveux (le son du violon lui mettait les nerfs à vifs, p.369), exalté puis abattu, il ne reculait devant aucune démagogie, aucun cynisme, pour acquérir puis conserver le pouvoir. Par-là, c’était un politique qui a su profiter des circonstances. Il excellait dans la destruction ; il a par contre été incapable de construire un monde neuf parce qu’il était trop méfiant, trop individualiste, trop hanté par les dérives « libérales ». Il voit dans « le libéralisme » – métaphore de psychopathe – le bacille bourgeois ressortir de son kyste. Il haïssait la liberté, il adorait la contrainte. Petit, Vladimir Ilitch était déjà le préféré de sa famille, le centre de l’attention. Son intolérance vient aussi de cette certitude enfantine d’être un génie.

Son pseudonyme vient de la Léna, la rivière qui coule en Sibérie (p.24). Malade physique ou mental, Lénine a toujours fait vieux, même à 25 ans. Son esprit ne fonctionnait bien que « contre ». L’un de ces mots préférés était « bagarre » (p.25). Son grand-père était tailleur, fils de serf ; son père était fonctionnaire aisé, devenu « noble héréditaire ». Sa mère était fille d’un médecin juif converti. Il avait donc des origines russes et kalmoukes par son père, juives, allemandes et suédoises par sa mère. On a longtemps caché cette ascendance allemande et surtout cette ascendance juive ; elles ne correspondaient pas au culte stalinien de Lénine. Culte que Lénine n’a pas encouragé, pas plus qu’il n’a tenté de dissimuler ses origines. Mais, déjà de son vivant, il a laissé ce culte se construire tout en s’en disant agacé. Staline a utilisé ce culte pour asseoir son pouvoir sur les âmes faibles, les petites brutes qui aimaient la violence et l’autorité que donne l’uniforme.

Vladimir Ilitch Oulianov étudie le droit à Saint-Pétersbourg, devient avocat à 22 ans, mais il n’exercera guère que deux ans à peine – dans des affaires qui n’ont marqué personne. Il lit sans arrêt ; il juge le marxisme trop « libéral » et n’en retient que ce qui lui plaît, notamment l’idée d’une lutte impitoyable des classes et d’une dictature du prolétariat indispensable pour la transition vers le communisme. Il est trop sûr de lui pour avoir du respect envers le débat et la recherche féconde de la vérité à plusieurs. Il n’aimera jamais personne, hors son grand frère pendu et sa maîtresse, Inessa Armand, qui lui a peut-être donné un fils illégitime, jamais reconnu. Il se marie par raison avec Kroupskaïa, mais le couple officiel restera stérile.

En 1917, à 47 ans, Lénine n’avait encore gagné sa vie que pendant deux ans. Pour le reste, il vivait des ressources de sa mère et d’un salaire que lui versait le Parti dont il s’était nommé trésorier. Jamais à court d’argent, même en exil, il vivait bien. L’Allemagne de Guillaume II, en guerre, a soutenu l’extrémisme russe pour affaiblir l’Alliance ; Lénine a été financé, comme d’autres, via Parvus (de son vrai nom Helphand) p.136. Outre cela, il est établi que le parti se finançait par captations d’héritage et hold-up, baptisés « expropriations prolétariennes ». Staline, apprenti pope défroqué, a fait le coup de main dans sa jeunesse pour braquer des banques.

Lénine a ramassé le pouvoir, tombé tout seul des mains débiles d’un tsar faible et de son entourage trop rigide, puis de celles de l’inefficace et brouillon socialiste-révolutionnaire Kerenski. Nulle alternative à Lénine n’existait de façon crédible. Selon Volkogonov, Lénine a établi la dictature pour trois raisons : 1/ il était débordé, sans habitudes de travail régulier, sans connaissance des problèmes russes, après dix-sept ans de vie de bohème en exil ; 2/ selon sa propre échelle de valeurs morales – les plus hautes vertus révolutionnaires sont pour lui l’absence complète de pitié, la haine de classe farouche, le machiavélisme – l’accouchement de l’Histoire doit justifier tous les moyens ; 3/ la peur comme arme politique.

Soucieux de « purifier la Russie » des anciennes classes dirigeantes, Lénine dresse lui-même des listes et surveille l’application des jugements. La guerre civile fournit une excuse pour exercer pleinement la dictature du parti, fraction proclamée « éclairée » de la classe prolétaire, accoucheuse dite « scientifique » de l’Histoire selon saint Marx. Le leader du parti, auquel celui-ci doit obéir, est le Bureau politique dans lequel Lénine, par sa force de volonté, la puissance de ses convictions et ses discours acharnés, est le maître. Toute la hiérarchie du parti aboutit à lui. Il est le détenteur du Dogme, le maître du Parti, le héraut du Prolétariat, l’accoucheur de l’Histoire. Il n’est pas Dieu, mais parce qu’il n’y croit pas : il est tout simplement l’Histoire en marche, son prophète.

Et c’est vrai qu’il y a quelque chose de coranique dans ses écrits, à la fois inspirés par le dogme et par les circonstances, par ses anathèmes contre ses ennemis et par son fanatisme, par le recueil sacré des œuvres comme des gloses que l’on a pu en faire après sa mort. Lénine, comme Mahomet, apparaît comme un prophète, sauf que c’est l’Histoire et non Dieu qui lui a murmuré à l’oreille. Selon Lénine, « la dictature signifie – notez-le fois pour toutes – un pouvoir sans retenue fondé sur la force, non sur la loi » (article du 2 novembre 1920 dans le journal Le communiste international) p.250. Le 20 avril 1921, le Politburo présidé par Lénine approuve la construction d’un camp de « rééducation par le travail » pour 10 à 20 000 personnes dans l’extrême nord sibérien. Des femmes et des enfants cosaques furent déportés et plusieurs milliers y moururent. Lénine le savait, le bénissait ; on n’accouche de l’histoire que par le viol et la violence.

Par sa façon de faire, Lénine a formé Staline au comportement qui fut ensuite le sien. Malgré les crimes de Iossif Vissarionovitch Djougachvili (parce qu’il a duré plus longtemps), Lénine ne peut en rien être exonéré de l’application monstrueuse du marxisme converti par sa pratique en socialisme réel.

Dimitri Volkogonov, Le vrai Lénine d’après les archives secrètes soviétiques, 1994, Robert Laffont 1995, 465 pages, €7.09

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Conséquences de la guerre de 14-18 sur la civilisation

Dans ses Mémoires d’un européen intitulé Le monde d’hier, paru après sa mort en 1942, Stefan Zweig mesure avec le recul combien la guerre imbécile des nationalismes balkaniques, qui a entraîné les patriotards européens, a été dommageable pour le processus même de civilisation. La guerre de 14 a renversé toutes les valeurs, dévalorisé toute autorité, à commencer par celle de l’État. La guerre de 14 – « commémorée » par des ignares qui se font mousser politiquement sur le dos des victimes – a rendu méfiant le citoyen, l’individu et même l’enfant.

stefan zweig

« Pour autant qu’il avait les yeux ouverts, le monde sut qu’on l’avait trompé. Trompées les mères qui avaient sacrifié leurs enfants, trompés, les soldats qui revenaient chez eux en mendiants, trompés tous ceux qui avaient souscrit à l’emprunt de guerre par patriotisme, trompé quiconque s’était fié aux promesses de l’État, trompés nous tous qui avions rêvé d’un monde nouveau, d’un ordre meilleur, et qui voyions à présent que le vieux jeu, dans lequel notre existence, notre bonheur, notre temps et nos biens servaient de mise, était recommencé par les mêmes ou par de nouveaux aventuriers. Comment s’étonner que toute une jeune génération jette un regard amer et méprisant sur ses pères, qui s’étaient fait d’abord voler la victoire et ensuite la paix ? Qui avaient tout faux, qui n’avaient rien vu venir et s’étaient toujours trompés dans leurs calculs ?

« N’était-il pas compréhensible que toute forme de respect disparût dans la jeune génération ? Toute une jeunesse nouvelle ne croyait plus ni les parents, ni les hommes politiques, ni les maîtres ; tout décret, toute proclamation de l’État étaient lus d’un œil critique. D’un coup, la génération d’après-guerre s’émancipait brutalement de tout ce qui avait prévalu jusque-là et tournait le dos à toute tradition, résolue à prendre elle-même son destin en main, se détournant des vieilleries du passé et sautant d’un seul élan dans l’avenir.

« C’était un monde absolument nouveau, un ordre absolument différent qui devait commencer avec elle ; et bien entendu, tout cela commença par de furieux excès. Tous ceux ou tout ce qui n’était pas du même âge passait pour périmé. Au lieu de partir comme avant avec leurs parents, on voyait des enfants de onze, douze ans organisés en groupes de Wandervögel, ayant reçu une éducation sexuelle exhaustive, sillonner le pays et aller même jusqu’en Italie ou à la mer du Nord. Dans les écoles, on mit en place, sur le modèle russe, des conseils d’élèves qui surveillaient les professeurs, le ‘programme’ fut aboli, car les enfants ne devaient et ne voulaient apprendre que ce qui leur plaisait. On se révoltait contre toute forme établie par pur plaisir de la révolte, y compris contre la volonté de la nature, contre l’éternelle polarité des sexes.

torse nu Pierre Joubert

« Les filles se faisaient couper les cheveux, et si courts qu’avec leur coiffure ‘à la garçonne’ on ne parvenait plus à les distinguer des vrais garçons, les jeunes gens, de leur côté, se faisaient raser la barbe pour paraître plus féminins, l’homosexualité et le lesbianisme devinrent la grande mode, non par penchant intime mais pour protester contre les formes traditionnelles, légales, normales de l’amour. Tout mode d’expression de l’existence s’efforçait de jouer la carte de l’extrémisme et de la révolution, l’art comme les autres, bien entendu. (…) Partout, on proscrivait l’intelligibilité, la mélodie en musique, la ressemblance dans le portrait, la clarté dans la langue. (…)

« Mais au milieu de ce carnaval effréné, rien ne m’offrit un spectacle plus tragi-comique que de voir tant d’intellectuels de l’ancienne génération pris d’une peur panique à l’idée d’être ‘dépassés’ et jugés inactuels, se maquiller en faux sauvages avec la rage du désespoir et tenter de suivre discrètement les égarements les plus manifestes d’un pas lourd et claudiquant. (…) Les anciens, égarés, couraient partout après la dernière mode ; on n’avait plus soudain, comme ambition que celle d’être ‘jeune’ et d’inventer promptement, après celle qui, hier encore, était actuelle, une tendance encore plus actuelle, encore plus radicale, encore jamais vue. »

Zweig continue sur les excès qui aboutiront aux tyrannies fascistes et communistes, tout en célébrant cependant l’« élan orgiastique » qui purifie l’air anémié de la tradition.

La lecture d’un texte d’il y a plus de 70 ans montre combien :

  • Rien de ce qui est humain n’est nouveau sous le soleil
  • La civilisation, que nous croyons bien établie, est fragile par-dessus la sauvagerie primitive
  • Toute contrainte qui échoue par rigidité engendre une révolution totale et totalitaire
  • Mai 68 en France n’a pas été « l’an 01 » mais un remake du déjà-vu des années folles
  • Les intellos, ces donneurs de leçons permanents, sont mus bien plus par le snobisme de leur statut que par leurs idées neuves.
  • Les grandes idées d’égalitarisme et de non-discrimination des sexes, des âges, des formes et des pensées sont en fait des prétextes à faire autrement qu’avant, pas des valeurs en soi – juste pour se distinguer, par narcissisme égoïste – bien loin de l’universalisme généreux affiché…

Un texte sans nul doute à méditer en nos temps de doutes…

Stefan Zweig, Romans, nouvelles et récits tome 2, Gallimard Pléiade 2013, 1584 pages, €61.75

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Georges Coulonges, La terre et le moulin

georges coulonges la terre et le moulin pocket

Qui se souvient de Georges Coulonges ? Né dans le Médoc, cet homme de radio et de télé a écrit pourtant le téléfilm Pause-café, et la chanson Potemkine chantée par Jean Ferrat. Romancier du temps, de ces années 1980 à la modernité nostalgique, à la paysannerie fantasmée en régionalisme, au socialisme du terroir, à la trilogie chèvre chaud en salade, sabots suédois, poutres apparentes…

Il conte ici l’histoire d’une terre, de l’atavisme où pousse l’authentique. Marie-Paule, descendante de fermière, ne veut pas lâcher son lopin de 30 hectares et hésite donc à épouser son Pierre. Si elle mariait Raymond, cela ajouterait 25 hectares mitoyens. Et ce pigeonnier symbole de seigneurie que son père déjà avait voulu bâtir. Entre bêtes à mener au pré, tracteur à labours, fêtes de village et messes où tout le monde se regarde, la vie aux champs est la vie traditionnelle, à peine bouleversée par la télévision. La prédation des écrevisses, des goujons et des fruits commence dès l’enfance, comme le sexe avec les copains du bourg d’une centaine d’habitants. C’est qu’il s’agit de prendre et de produire, de profiter et reproduire. « Ceux qui cultivent la terre : sans qu’ils le sache, la terre les cultive » p.330. La personne n’existe pas (sauf les fous, comme Aline), n’existent que la lignée, le devoir, le statut à maintenir sous le regard de la famille et des voisins. Une France de notaires, pas d’entrepreneurs.

Nous sommes dans ces années 1980 où la France commence à changer autant qu’en un siècle. Les ruraux sont depuis devenus citadins ou rurbains ; le « retour » à la terre a été fuite du béton ou obligation du chômage ; l’écologie est devenue cet autre nom du savoir paysan. La France garde dans sa culture cet atavisme méfiant, comptable, amasseur ; fermé, peu curieux, lent à agir ; attaché à la terre, aimant les héritiers plus que les enfants, proche de la bête plus que de la nature.

On aimerait bien que ce leg quitte enfin l’esprit. Le monde a changé et change encore, tandis que la France éternelle reste accrochée aux conservatismes et à l’esprit étroit du terroir au lieu de s’ouvrir sur le monde et d’oser entreprendre.

C’est cette France là que nous conte Coulonges dans un beau roman du Quercy écrit sec, au temps où la mode à peine en naissait. Le temps du Cheval d’orgueil et de Chemin faisant où la France paysanne ne s’essayait à la modernité que sous la houlette de l’État après celle du curé : on ne quitte la polyculture autarcique que sous appellation contrôlée pour le vin ou le pruneau, on ne pratique le tabac que sous la SEITA. Récit symbolique d’une France déjà archaïque, radicale, gaulliste de la dernière heure, socialiste des copains – et seulement de la génération d’avant.

Georges Coulonges, La terre et le moulin, 1984, Pocket 2003, 332 pages, €6.36

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Gamins de Paris

Les gamins sont comme les moineaux, piaillards et envolés, anarchiques et sympathiques. Ils manqueraient à la ville s’ils ne couraient les rues une fois le printemps revenu.

gamins des rues Paris

Le Parisien est triste, bourgeois compassé voulant avoir l’air de son statut revendiqué, en général plus haut que le vrai. Le Parisien est méfiant et sourit rarement. Frôlez-le seulement, il vous jettera un regard indigné, comme si vous aviez violé son intimité. Ce pourquoi les visages sont floutés.

maman enfants Paris

Pas les enfants, exubérants et libres plus qu’ailleurs. Ils donnent de la gaieté à la rue en rose et pistache.

gamins-rose-et-jaune-paris

Ils sont rêveurs, adossés aux grilles du Luxembourg.

gamin de Paris au printemps

Ou bien souvent ils vont y jouer, après l’école ou quand il n’y en a pas. Ils n’hésitent pas à ôter ce qui les gêne pour mieux profiter de cette rare liberté impossible ailleurs en ville.

chaud gamin luxembourg Paris

Même tout petit, encore en poussette, ils n’hésitent pas à se débarrasser des contraintes. L’aisance s’acquiert dès le berceau à Paris.

chaud luxembourg Paris

Et puis c’est le jeu. Partout, avec rien, jamais tout seul.

bateau bassin du luxembourg Paris

D’un bassin grand siècle, ils font une aire de course à la voile.

couple gamins Paris

D’un carré d’herbe ils font un lieu de pique-nique avec leur meilleur copain.

gamin blond

Attentifs, tout à leur affaire, entiers dans le présent, la frange blonde tombant sur la chemise défaite.

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Basil Liddell Hart, Les généraux allemands parlent

Le capitaine Liddell Hart, anglais né en 1895, est un expert en stratégie. Il n’aime pas Clausewitz mais préfère l’approche oblique de Napoléon à Austerlitz. Après la victoire de 1945, il passe son temps à interroger les généraux allemands incarcérés pour comprendre « de l’autre côté de la colline » comment on s’y est pris. Cela donne un livre intéressant, écrit de façon directe et sans jargon. Il se lit très bien et l’on en ressort avec quelques idées neuves.

Pour lui, Hitler a à la fois gagné les premières batailles et perdu la guerre. Tout est de son fait. Intuitif et amateur de livres tactiques, Hitler était passé maître dans l’audace et les effets de surprise. D’où le succès de l’invasion de la Pologne comme de l’URSS, le succès de la percée des Ardennes comme de la contre-offensive de 1944. Mais Hitler n’était pas stratège, méfiant et trop sûr de lui. Commandant en chambre, il ne connaissait pas le terrain ; soupçonneux envers les généraux et un brin paranoïaque, lui qui n’était que caporal, il préférait écouter les jeunes colonels, les fanatiques nazis, tous ceux qui faisaient échos à ce qu’il pensait. D’où ces fulgurances dans l’action vers l’avant et cette répugnance à toute retraite tactique pour consolider les positions. Il a donc gagné vite et perdu le long terme.

Pour Liddell Hart, les généraux allemands étaient les meilleurs professionnels de leur temps ; Hitler a su pousser les plus ardents au nom de la volonté, mais n’a pas su voir les réalités matérielles alors que le temps passait et que les divisions étaient usées. La volonté est nécessaire, mais si la raison froide ne vient pas l’épauler, elle s’efforce en vain. La défense élastique aurait mieux réussi en Russie comme en France, lors des offensives alliées, que la résistance à tout prix. Il y a des obstinations absurdes.

Mais il y a des intuitions fulgurantes de la modernité. Comme ce combiné des panzers et des avions en piqué, idée de Seekt réalisée par Guderian, qui fit merveille en France en mai 1940. L’erreur stratégique de Gamelin fut d’avoir placé les meilleurs éléments de l’armée française en Belgique, croyant à tort que la ligne Maginot interdirait toute action allemande sur le flanc. Le déni de mécanique a disséminé les blindés français dans des unités d’infanterie au lieu de les grouper en divisions. L’absence de réserves a empêché toute contre-attaque de flanc. C’est en revanche le refus d’Hitler de choisir de viser Moscou plutôt que de se disperser entre Léningrad et Stalingrad, qui a coûté la victoire en URSS.

Contrairement à la légende complaisante des vainqueurs, ce ne sont pas les réflexions sur les blindés du général de Gaulle qui ont attiré l’attention des Allemands avant la guerre sur les nouvelles tactiques, mais les expériences de la première brigade de chars britanniques créée dès 1931. Liddell Hart interroge le général allemand von Thoma : « Je lui demandais si les doctrines relatives aux chars allemands avaient subi l’influence du livre bien connu du général de Gaulle, comme on l’a souvent prétendu. Sa réponse fut : « Non, nous n’y prêtâmes pas grande attention, car nous le trouvions plutôt ‘extravagant’. Il ne donnait guère de conseils tactiques et planait dans les nuages. D’ailleurs, il fut de beaucoup postérieur aux démonstrations britanniques » p.151. Mais dès 1943 la Résistance française, une fois unifiée grâce à de Gaulle, devint un instrument important de la victoire des Alliés (p.456).

La bravoure des combattants a été mal servie par des chefs sclérosés et sans volonté. Le général allemand Blumentritt déclare à l’auteur : « Durant la campagne de 1940, les Français combattirent bravement, mais ce n’étaient plus ceux de 1914-18, ceux de Verdun et de la Somme. (…) Nous avions une aviation plus forte et des chars plus modernes que les Français. Nos chars étaient surtout plus mobiles, plus rapides, supérieurs dans les corps à corps. (…) Les Français (…) ni leur commandement ni leurs liaison radio n’étaient à la page » p.253. Les Russes ont eu, en revanche, d’excellents chars, robustes, simples à réparer et rapides. Un peu sous-armés au début mais le char Staline était « le meilleur de son temps », plus rapide que le Tigre.

Au total, voici un livre sur la période qui se dévore facilement et qui apprend comment le commandement allemand a vécu la guerre, entre le terrain et les lubies du dictateur. Beaucoup de noms nous sont presque inconnus, ignorés des manuels scolaires : Seeckt, von Brauchitsch, Runstedt, Warlimont, von Thoma… Rommel est remis à sa juste place, héros médiatique de la propagande mais guère instruit. Qui s’intéresse au sujet hors de l’hagiographie habituelle lira cette synthèse de témoignages qui a mis des décennies à être enfin traduite en français !

Basil Liddell Hart, Les généraux allemands parlent (The Other Side of the Hill), 1948, Prrin poche Tempus mars 2011, 552 pages + 4 cartes, €9.50

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