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Ségeste

La première journée nous voit quitter Palerme en bus pour aller à Ségeste, site grec antique. La cité fondée par les Elymes, peuple indigène de Sicile, et conservée par eux jusqu’à l’époque romaine. Elle est posée sur le mont Barbaro en trois plans : l’ancienne cité avec deux acropoles, plus bas un quartier populaire, puis le temple à l’écart.

Le Bouleutérion est l’assemblée des administrateurs de la cité, qu’il ne faut pas confondre avec l’Ecclesia qui était l’assemblée de tous les citoyens mâles. Le sol a brûlé en juillet dernier et les plantes sont roussies, les troncs des arbres noirs. Mais déjà des pousses vertes reviennent, notamment sur les palmiers. Je note des asphodèles, des mandragores, des férules. Cette dernière plante, à cause de sa tige très longue et assez rigide, servait au maître d’école a désigner les choses et à châtier les élèves turbulents.

Le théâtre grec en hémicycle est toujours bâti accueillant le paysage. Contrairement au théâtre romain, la scène n’est pas fermée mais ouverte sur la nature et l’horizon, jusqu’à la mer. Évidemment, ni le soleil ni le vent n’étaient pris en compte. Mais, s’il fait très chaud en cette saison, les spectacles avaient surtout lieu l’hiver, ce qui limitait l’exposition à la chaleur. Les gradins, en sept secteurs et d’un diamètre total de 63 m, ont été creusés directement dans le roc du mont Barbaro, à 305 mètres d’altitude et s’ouvrent sur le golfe de Castellamare. Comme les 3000 spectateurs antiques, nous nous sommes assis sur les gradins face aux vallonnements du panorama, avec la mer bleue azur en coin. Les genoux de ceux situés derrière calaient le dos de ceux situés devant. La partie haute du théâtre a été détruite pour bâtir le fort médiéval, mais l’ensemble est plutôt bien conservé et donne une idée précise du monument antique. Trois personnages seulement dans le théâtre grec : le chœur, le protagoniste, le devin. Tous les acteurs étaient mâles, même pour jouer des rôles féminins ; ils portaient des masques représentant leurs personnages. Seul les Romains ont fermé la scène par un proscenium, une avant-scène.

Le temple dorique aux six colonnes de face et quatorze de côté sur un soubassement de trois marches, en contrebas, n’est pas fini, juste le péristyle qui donne une vue d’ensemble et impressionne de loin. On aperçoit encore les tenons de bardage en U qui servaient à soulever et à transporter les blocs. Il a été bâti en 431 pour les ambassadeurs d’Athènes dont la cité de Ségeste convoitait l’assistance en vue d’une guerre prochaine. Une fois les émissaires repartis, plus besoin de terminer. D’où les colonnes sans stries et le temple sans naos ni décor. Mais ce cadre est imposant, dans ce paysage désertique, posé sur son mamelon. Maupassant, qui a voyagé au XIXe siècle, conte son passage à Ségeste et sa forte impression dans La vie errante. S’il devait y avoir temple, dit-il, il devait être là, et s’il devait être bâti, il devait l’être comme il est. Pas contrariant, Maupassant. Tout est au mieux dans le meilleur des mondes possibles.

Pourquoi les Grecs ont-ils colonisé en premier l’ouest de la Sicile ? Parce que les courants poussaient les navires depuis le Pont-Euxin vers les côtes libyennes, la Tunisie et le détroit de Sicile. Les Phéniciens, devenu Puniques (« c’est pareil » nous dit le guide), les Grecs de diverses cités, se sont ainsi installés sur cette côte à quelque 160 km de la Tunisie. Les Élymes se disaient selon Thucydide descendants des Troyens, une partie ayant gagné le site qui devait devenir Rome et l’autre s’étant établie en Sicile.

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Erevan, capitale d’Arménie le matin

Visite de la ville avec notre guide arménienne ce matin. Elle nous emmène sous « l’œil de Sauron », cette tour surmontée d’une feuille d’or ovale qui ressemble tant au maléfice du Seigneur des anneaux que je la surnomme ainsi. Je crois qu’il s’agit du monument aux 50 ans de l’Arménie soviétique…

De l’esplanade de béton en plein soleil, la canicule règne déjà à 10 h du matin. Nous apercevons les grues des quartiers en construction, la brume de la centrale thermique au loin. Plus près, la perspective en gradins souligne l’opéra, bâtiment rond et gris, puis la cathédrale saint Grégoire.

C’est l’endroit idéal pour mesurer la ville, enserrée entre ses collines de terre beige, desséchées par l’été. La coulée de verdure paysagère plonge vers le centre-ville, ornée d’œuvres d’art, hommage de ses fils à la capitale du pays. Nous descendrons lentement les degrés, très larges, dans la vaste lumière d’un ciel sans nuages. Peu de peuple sur ce monument; il s’agit d’un symbole, pas d’un endroit où l’on vit.

Nous descendons le jardin suspendu. Des statues contemporaines peuplent gradins et perspectives en bas. Les Trois plongeurs de Marc Waller, anglais, 1957, alignent leurs acrobaties au-dessus d’un bassin d’eau immobile, les muscles de métal luisant, les traits impassibles des techniciens de l’industrie.

Plus bas, A group of Three de la collection Cafesjian, deux statues mafflues de Botero, le chat de 1999 et le Romain de 1986 au petit zizi en tuyau malgré ses gros pectoraux, deux de Barry Flanagan, les Acrobates de 1988 (des lièvres) et Hare on bell de 1983, enfin les Stairs de Lynn Chadwick de 1991.

Les rues ombrées se peuplent de mères avec enfant. Les petits en débardeur, chemisette ouverte ou tee-shirt ont l’air apaisés de la promenade, ils sont aimés.

Nos pas nous mènent au Musée des manuscrits anciens, le Matenadaran. Devant la façade trône une statue éloquente du créateur de l’alphabet arménien en 405 de notre ère, le moine Mesrob Machdotz, inventeur des 36 lettres portées à 39. Une phrase écrite dans cette langue nous est traduite par notre guide arménienne. Elle signifie : « connaître la sagesse et l’instruction, comprendre les paroles de l’intelligence ». Édité sur quatre colonnes, l’alphabet fait correspondre à chaque lettre un chiffre : la première ligne donne les unités, la deuxième les dizaines, la troisième les centaines, la quatrième les milliers. Les chiffres arabes, utilisés aujourd’hui, seront adoptés plus tard.

A l’intérieur, une conférencière francophone nous débite d’une voix monocorde et avec des mots fleuris l’histoire de chaque manuscrit présenté en vitrine. Il y en a de très anciens qui ont échappé aux hordes mongoles, aux chrétiens, aux arabes, aux turcs… Il en reste quand même 17 500 si l’on en croit la notice de présentation. Toujours la mode des records : « le plus gros » manuscrit pèse 28 kg, rescapé du génocide en deux parties, il s’agit de l’Homélie des Mush de 1200-1202. Le « plus petit » est un calendrier religieux de 9 g datant de 1435. C’est en 1512 que paraît le premier livre en arménien, imprimé à Venise où vit une petite communauté. Ce n’est qu’en 1772 que le premier livre arménien sera imprimé en Arménie.

Certains manuscrits de l’antiquité grecque n’existent aujourd’hui qu’en traduction arménienne, les autres ont été soigneusement détruits par les barbares chrétiens pour qui Dieu expliquait tout sans besoin de connaître. Des manuscrits de sciences exactes datent du VIIe siècle. Le savoir est resté révéré dans le pays, en témoigne cette miniature de 1417 montrant des élèves du primaire à l’étude. Un manuscrit original du poète Sayat Nova date de 1766. Nous verrons la statue blanche du troubadour sur une place de la ville.

Sur un Évangile du 13ème siècle, une miniature d’Ovanes représente le Paradis comme un jardin entouré d’une frise carrée, dans lequel Adam et Ève tournent la tête, attentifs, au diable serpent qui toque au mur, côté oreille d’Ève. Deux diablotins noirs et nus complotent sous la frise. L’Évangile Echmiadzen de 939, relié d’ivoire, présente une Annonciation. Mais c’est sur un Évangile du VIIe siècle que le Président de la République élu en Arménie prête serment.

Photos interdites dans le musée.

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