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Ruth Rendell, Rottweiler

Ruth Rendell a le chic pour créer des personnages et analyser la société britannique de son époque. Non sans une cruelle ironie. Inez, veuve de son second mari Martin dont elle est inconsolable regarde chaque soir les cassettes vidéo de la série où il jouait pour le voir bouger et l’entendre encore parler. Elle possède un immeuble dans Star Street à Londres dont elle habite le premier étage. Le rez-de-chaussée est sa boutique de Star Antiques, bric-à-brac victorien où des clients viennent chercher un cadeau pour un proche ou de quoi décorer leur intérieur et où travaille comme vendeuse la jeune Zeinab. Les autres étages sont loués à Jeremy, Will et Ludmila, laquelle vit après quatre ou cinq mariages avec Freddy.

L’ironie est que tout ce petit monde est un microcosme des minorités de l’ex-empire, enkystées dans Londres et désormais représentatives du britannique moyen. Dans tout l’immeuble, seules trois personnes sont d’origine : la tenancière, un débile léger prénommé Will, c’est-à-dire Guillaume (ô dérision) et qui ressemble à un David Beckham en plus massif mais avec plusieurs cases en moins, et un tueur en série. Zeinab est pakistanaise, Freddy Noir de la Barbade, Ludmila d’Europe centrale ou plus à l’est. Tout ce petit monde grenouille et s’entend comme larrons en foire. Sauf qu’il y a crimes.

Des jeunes filles sont étranglées régulièrement sans raison le soir dans les rues de Londres. A chaque fois le tueur emporte un petit objet en souvenir : un briquet gravé, un collier, des boucles d’oreille, un porte-clé en onyx. Comme la première victime avait une morsure au cou, la presse de caniveau à appelé le tueur Rottweiler, au grand dam des propriétaires de cette race de chien qui vantent à l’inverse leur sociabilité (trait d’humour tout britannique…). Et comme l’un de ces objets fétiches est retrouvé un peu plus tard dans la boutique d’Inez, les soupçons se portent sur les locataires et les clients réguliers.

Un certain Morton, la soixantaine, vient en effet faire la cour à Zeinab, qui l’éblouit par sa jeunesse et sa beauté ; il est riche, il offre des parures en diamant et en émeraude. Mais Zeinab argue toujours d’un père sévère et rigide sur ses principes pour éviter tout contact trop compromettant ; elle promet le mariage, les fiançailles, mais plus tard. D’autant qu’elle a promis la même chose à un certain Rowley, la trentaine costaud. Quant à Will le blond bien fait, il est atteint du syndrome de l’X fragile, une anomalie génétique du chromosome X qui induit un handicap intellectuel et des troubles du comportement. Il est routinier, asocial et anxieux. Seul sa tante Becky a ses faveurs et il vivrait bien avec elle. Mais elle est vieille fille et voudrait trouver un homme pour partager sa vie. La dépendance de Will, son neveu orphelin qui lui fait pitié, est un handicap : il fait fuir tous les amants.

Les policiers vont donc soupçonner tout le monde, à commencer par Will, trouvé un soir en train de creuser dans un chantier d’une maison avec une pelle. Est-ce pour enterrer une victime ? C’était seulement parce qu’il cherchait un trésor dans la Sixième rue, comme il l’avait vu au cinéma. L’absurdité de ces soupçons montre l’inanité de l’inspecteur et son incapacité à exercer sa profession correctement. Son adjoint Zuluela, issu d’une minorité orientale, est bien plus vif et plus ambitieux. Là encore, les vieux Anglais rassis sont remplacés par des immigrés jeunes et talentueux tandis que les vieux Blancs s’éteignent doucement dans leurs contradictions. Zuluela prendra la place de l’inspecteur Crippen et Becky sombrera dans la routine étriquée de garde-malade. Seule Inez trouvera client à son pied et bazardera sa boutique et son immeuble pour vivre en maison. Quant au tueur en série, le lecteur apprendra des choses étonnantes sur l’origine de ses pulsions et sur la fin qu’il veut se donner.

Mais le crime n’est que le sel de l’aventure  Elle consiste en ce roman à pénétrer les dessous de la petite-bourgeoisie londonienne, ses ambiguïtés, ses ambitions et son progressif remplacement. On soupçonne assez vite qui pourrait être le psychopathe mais ce n’est pas l’essentiel. A lire plus comme un roman de mœurs que comme un roman policier.

Ruth Rendell, Rottweiler (The Rottweiler), 2003, Livre de poche 2007, 479 pages, occasion €1,08 , e-book Kindle €7,99

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Ruth Rendell, On ne peut pas tout avoir

Ruth Rendell, née en 1930 et décédée en 2015 après avoir été faite baronne à vie en 1997, est l’une des « reines du crime » de la vieille Angleterre. Elle se délecte à traquer les particularités et les travers de la société anglaise en plongeant les lecteurs, à la manière de Simenon, dans la société même. Ses personnages sont plus vrais que nature, du député à la Chambre et futur ministre à la petite-bourgeoise volontiers pute, ou au chauffeur de maître et garagiste qui se fait des extras.

Une claire définition du type mâle anglais est donnée p.206 : « Le gentleman anglais est courageux jusqu’à la témérité, courtois avec les femmes de sa classe, bon soldat, arrogant, fier, généreux et intrépide. Il a un sens de l’humour démodé. Si extraordinaire que cela paraisse aux yeux de quantité de gens, il conserve cet état d’esprit qui constituait la matière des récits d’aventures de la première moitié du XXe siècle. » Les actions du personnage principal, le député fortuné Ivor, issu du meilleur collège (Eton) et de la meilleure université de droit (Oxford) sont comparées au modèle du gentleman anglais. L’autrice s’empresse de montrer la dégradation nette due à l’époque : la morale a disparu, l’éthique même est entamée. Au profit du « moi je » de rigueur, du narcissisme égoïste de l’individualisme croissant de ce début du XXIe siècle que Ruth Rendell situe dans les années 1980, à l’époque Thatcher (en même temps que Reagan et Mitterrand).

Le roman policier éclaire les facettes de la société avec plus d’acuité que les romans d’amour. Nous sommes dans ce roman dans l’après Thatcher, au moment où les Koweïtiens se font saddamiser à coup de canon par le macho à moustache qui adore caresser le petit otage anglais John de 7 ans avec un sourire inquiétant devant les caméras de télé du monde entier. Mais le propos n’est ni la guerre, ni la politique : il est la société. Ivor Tesham est en pleine ascension au parti Conservateur tout en courant les mini-jupes (les jupons ne se portent plus guère). La belle Hebe, blonde, fine, sèche, le séduit et il veut lui offrir un cadeau d’anniversaire érotique raffiné, une « sex aventure ». Pour cela, rien de plus simple : payer son garagiste pour qu’il loue une grosse voiture aux vitres teintées, qu’il enlève avec un complice encagoulé la belle en pleine rue et lui livre à domicile comme une vulgaire pizza la fille nue sous son manteau et ses bottes de cuir à lacet, menottée, ligotée, bâillonnée et pantelante. Là, ils vivront encore quelques instants torrides avant le verre de champagne – et de rigueur.

Las ! Tout ne se passe jamais comme prévu et, si l’enlèvement a bien lieu en temps et en heure, un camion innocent qui passait au feu vert emplafonne la grosse Mercedes (les Anglais ne produisent plus de voitures sous leurs marques nationales depuis longtemps). Le passager et la belle passent de vie à trépas, le chauffeur est grièvement blessé, dans le coma. Il a grillé le feu rouge. La presse à scandale se déchaîne sur ce cadavre ligoté et Ivor le Secrétaire d’État à la Défense tout juste nommé, ne peut s’empêcher de trembler. Si quelqu’un relie son nom à l’affaire…

Mais il n’arrive rien. Par coïncidence, l’épouse d’un milliardaire très connu qui vient d’acheter un club de foot, passait par là et elle ressemble fort à Hebe. L’époux a reçu des menaces car son rachat du club ne fait pas que des heureux ; c’est sans doute sa femme que l’on a voulu enlever. Surtout qu’un pistolet (non chargé) a été retrouvé dans la voiture or, comme les attentats de l’IRA contre les membres du gouvernement Thatcher continuent, tout cela peut être lié. Ivor est dans les affres lorsqu’il apprend ce détail : si jamais son nom est de quelconque manière relié à l’IRA, il peut dire adieu à sa carrière politique.

Cela ne l’empêche pas de jouer avec le feu, d’aller rôder autour du domicile du chauffeur qui le connaît et qui peut parler, de suivre son ex-maîtresse blonde et élancée elle aussi, et même de coucher avec. C’est que l’assouvissement du désir égoïste est plus fort que tout dans ces hautes sphères de la bonne société et du pouvoir : tout est permis et la morale a depuis longtemps été jetée aux orties avec le slip et le corset – rançon d’une société victorienne trop stricte qui a suscité par réaction son inverse absolu. Sauf qu’entre le corps et l’esprit, rien ne se passe jamais comme prévu. Ivor imagine, échafaude des scénarios, reste hanté par les souvenirs. Il va faire des erreurs, entraîner une cascade de conséquences – jusqu’à la fin, inattendue comme il se doit.

Malgré un premier chapitre brouillon où le lecteur ne sait pas qui parle et pourquoi (en fait un comptable, beauf du député), le diesel poussif réussit à démarrer et, dès le chapitre 3 (heureusement dès la page 41 sur 446), l’intrigue se met en place et se clarifie. Le ton décalé, au-dessus de la mêlée, des différents narrateurs/trices n’aide pas à s’identifier mais le charme de l’intrigue réussit à surgir avec les pages. Le lecteur se captive pour les mœurs des MP (Members of Parliament) surveillés par la presse de caniveau, lue avec délectation par toutes les classes de la société.

Ruth Rendell, On ne peut pas tout avoir (The Birthday Present), 2008, Livre de poche 2011, 446 pages, €7,60 e-book Kindle €7,99

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