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Préparer l’ascension du Mont Blanc

Il y a trente ans, lors d’un long week-end du 14 juillet, nous sommes trois à avoir décidé de gravir le sommet du Mont Blanc. Cette montagne mythique, la sixième plus haute de tout le continent avec ses 4809 m (environ aujourd’hui), défie tous ceux qui passent dans les Alpes, étendant sa masse formidable juste au-dessus de Chamonix. L’altitude satellite mesurée lors de notre réussite, en août 1986, donnait le sommet de la couche neigeuse à 4808,4 mètres. Notre époque ne se défie plus des montagnes comme aux siècles précédents. La science les a mesurées, les explorateurs les ont arpentées, les sportifs les ont gravies. L’épouvante de ces étendues glacées hostiles à l’homme, qui avait fait nommer le Mont Blanc la Montagne Maudite, n’est plus de mise. Nous voulions faire cette expérience.

mont_blanc_vu_den_bas

Nous étions tous encore dans la vingtaine, non chargés de famille et ayant grand appétit à explorer le monde et ses merveilles. Nous voulions aussi fêter le bicentenaire de la première ascension, le sommet étant atteint par Balmat et Paccard le 8 août 1786 à 18h.

Cette année-là, nous avons réussi. L’année d’avant, nous l’avions tenté mais sans succès. Faute de savoir à quoi nous attendre, faute de préparation adéquate.

mont_blanc_le_plan_de_laiguille

Oh, nous nous étions préparés ! Nous avions étudié les itinéraires classiques, demandé si un guide était indispensable, si les difficultés techniques étaient réelles. La voie Gabarrou, « tout droit » vers le sommet était exclue, du nom de l’alpiniste Patrick Gabarrou « ouvreur » de voies nouvelles sur le Mont Blanc et qui sera champion de France en ski-alpinisme trois ans plus tard, en 1989. La voie des Trois Monts par le refuge des Cosmiques était réservée aux adhérents du Club alpin, restaient les deux options des voies françaises classiques par l’arête nord du Dôme et le refuge des Grands Mulets ou par l’arête des Bosses et le refuge du Goûter. Une autre voie existe, qui n’était pas courante en 1985, par les Aiguilles grises et le refuge Gonella.

Le Goûter (3819 m) demandait une approche nettement plus longue via le refuge de Tête rousse (3167 m) mais avait l’avantage de nous acclimater plus lentement à l’altitude. Les Grands Mulets (3051m) étaient plus directs, accessibles pour le premier tiers par le téléphérique de l’Aiguille du Midi. C’est donc la voie que nous avions privilégiée, n’ayant que deux jours disponibles. Mais nous avions « perdu » 800 m de dénivelé, à rattraper le jour de l’ascension – ce qui allait se révéler très difficile.

C’est une voie abrupte, trop longue pour atteindre le sommet en partant du refuge le matin. Il faut franchir des crevasses, des névés, affronter le vent au col Vallot. Il reste encore près de 800 m de dénivelé pour atteindre le sommet. Nous étions jeunes et sportifs, mais l’altitude est redoutable. On ne s’adapte pas en quelques heures, surtout lorsque l’on est encore d’un âge où le corps consomme plus de glucose, donc d’oxygène, en raison de la musculature et du métabolisme de base.

mont blanc_carte

Nous avions préparé les cordes, les mousquetons et les descendeurs et nous étions entrainés, sur les rochers de la forêt de Fontainebleau, aux nœuds d’encordage et aux manœuvres de hisse individuelle avec une seule corde, en cas de chute en crevasse.

Nous avions étudié soigneusement les conditions de vent (il peut atteindre 150 km/h vers les sommets) et de froid (-40° la nuit avec vent), les giboulées de grésil et les tempêtes de neige. Nos sacs devaient prendre en compte le bon compromis entre vêtements et couvertures de survie pour se protéger, nourriture et boisson énergétique, et le poids à supporter – plus pénible en altitude.

Nous étions chaussés de brodequins à coque, étanches à la neige, aux semelles aptes à supporter des crampons d’acier, et vêtus de plusieurs couches superposées de matières techniques, dites « polaires ». Jusque vers la neige, pas besoin de porter la veste ni le pull, pas même de tee-shirt parfois. A la pause, nous étions torse nu, même si le soleil arde plus d’UV à 2000 m qu’au niveau de la mer. Au-delà de la neige, le sous-vêtement polaire simple suffit, la montée dégageant de la chaleur. Un peu plus haut encore, et en cas de vent, le pull polaire par-dessus devient indispensable. Dès que le vent souffle, et vers 4000 m de toutes façons, la veste de montagne est exigée, de même que bonnet (ou cagoule) et gants.

mont_blanc torse nu pour la montee

Il n’y avait ni balise GPS ni téléphone mobile en ces années ; pour nous orienter, nous disposions de la carte IGN au 25 000ème, d’une boussole (en cas de brouillard) et d’un altimètre classique, étalonné à Chamonix.

Donc nous avions pris le maximum de précautions pour gravir à deux la montagne, y compris de laisser nos noms et nos objectifs en partant du refuge, et de consulter la météo in extremis à l’aube. Nous savions que l’endroit fait cinq victimes par an par effondrement en crevasse,  avalanche et chute de sérac. Nous ne nous sentions pas à l’abri d’un hasard malencontreux.

Marcher dans la neige poudreuse fait s’enfoncer, parfois jusqu’aux cuisses, ce qui augmente l’effort nécessaire pour avancer. La neige glacée exige de chausser les crampons et d’agripper le piolet, prêt pour toute glissade impromptue ou pour se garder d’une crevasse non devinée, brusquement ouverte sous vos pas. Nous avions appris à observer les endroits où peuvent se former les crevasses, lors d’une rupture de pente et assez bas sous le sommet, mais la neige immaculée masque parfois trop bien le relief. Nous avions tenté l’entraînement à deux du partenaire qui glisse, plus bas, plantant le piolet et enroulant la corde de sécurité pour mieux tenir le poids mort, mais l’effet de surprise reste total quand cela vous arrive.

mont_blanc_apres col vallot

Mais le pire est resté l’altitude. Le mal des montagnes vous saisit lorsque vous changez trop vite d’altitude et un week-end de trois jours seulement depuis Paris pour gravir le Mont Blanc ne demande pas seulement d’excellentes conditions météo, mais aussi une acclimatation préalable – que nous n’avions pas.

Nous étions fatigués, un peu ivres du manque d’oxygène, et il était déjà tard dans la journée pour aller et revenir sans risques. Le refuge Joseph Vallot, du nom d’un glaciologue de la fin du 19ème siècle, est non gardé. Accessible par un sas qui prend sous le plancher (inutile de cherche une porte d’entrée), il permet de s’abriter du vent et des températures, de se reposer, et de laisser les sacs pour gravir les derniers 800 m.

Cette première fois, nous avons décidé de ne pas tenter le diable et, une fois au col Vallot à 4362m, nous sommes redescendus vers le refuge du Goûter sur l’autre versant sans tenter d’aller au sommet.

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