Hugues Le Bret, La semaine où Jérôme Kerviel…

Rappelez-vous, c’était un 20 janvier, il y a quatre ans. Un contrôle de l’Inspection générale venait de tirer un fil d’une gigantesque pelote de fraudes, soigneusement dissimulées par un trader : l’ado attardé Jérôme Kerviel, 33 ans, qui jouait avec les milliards d’euros virtuel comme à un jeu vidéo. Un vague air de Tom Cruise, sans enrichissement personnel, il apparaissait comme le Robin des bois de la finance, on se demande bien pourquoi puisqu’il n’a rien redistribué de ses gains virtuels. A l’inverse, il a failli faire capoter sa banque et ses 160 000 salariés, saper toute confiance dans le système financier, voire initier un krach mondial de la finance par effet domino. Ne croyez pas que j’exagère : c’est exactement ce qui s’est produit huit mois plus tard avec la faillite de Lehman Brothers aux États-Unis, par la faute des politiques.

Hugues Le Bret est journaliste d’origine. Directeur de la communication de la Société générale auprès du P.D-G Daniel Bouton, il a vécu de l’intérieur, minute par minute, la crise. Il a écrit au fil de l’eau, parce qu’écrire c’est fixer ses idées, recouvrer un peu de rationnel dans le stress émotionnel ambiant. Son récit se lit comme un thriller, ce qui n’est pas son moindre mérite. Même s’il faut relativiser : ce qu’il dit n’est pas LA vérité mais SA vérité, fondée sur ce qu’on a bien voulu lui dire. Mais, pour bien connaître le milieu financier et avoir vu plusieurs fois Daniel Bouton en face à face, ce que révèle Hugues Le Bret de l’ambiance général est assez réaliste.

Il y a eu tout d’abord le choc du jamais vu, puis l’écheveau des pistes à remonter une à une pour comprendre, puis la communication à gérer auprès des Autorités des marchés financiers, des actionnaires, des clients, des salariés de la banque, enfin des politiques. Et les tentatives de déstabilisation d’une banque à genoux de la part de son concurrent direct, qui avait déjà tenté une OPA et avait échoué : la BNP. Rien n’a manqué à ce feuilleton pire que Dallas : le mépris des gros clients aux guichets, la fuite des actionnaires gérants internationaux, la communication au millimètre des parrains de la finance parisienne, les scoops émotionnels des journalistes, le populisme de l’Élysée – au plus bas dans les sondages ! La gauche n’était pas en reste, qui prenait systématiquement le contrepied du président Sarkozy pour défendre le contraire, oubliant l’intérêt général.

Car il s’agissait de la survie d’une banque française, de la confiance nécessaire dans le seul système qui irrigue toute l’économie : le financier. Jouer avec le feu est à la portée de n’importe quel histrion qui veut se faire mousser à bon compte « contre » le capitalisme, la finance, les bonus, la spéculation, etc. Sans jamais prévoir les conséquences. Le microcosme étroitement parisien des politiciens, des gros banquiers, des journalistes en vue, des communicants, des parrains apparaît comme mu par de purs intérêts égoïstes… Hugues Le Bret met tous ces acteurs magnifiquement en scène, ce qui est l’autre mérite de son livre : la mécanique des lobbies sans théorie du complot. Il ne cache rien de l’arrogance méritocratique de son patron Daniel Bouton, petit-fils d’un garde-barrière SNCF et arrivé par l’école jusqu’à l’ENA et Polytechnique. Rien de ses rémunérations, qu’il méritait sans doute, mais qui apparaissaient mal venues dans la tempête. Reste que la présidence Daniel Bouton a multiplié par trois la taille et le bénéfice de sa banque durant dix ans et que cela n’est pas rien. Il a fait de la Société générale une banque mondiale, fleuron de l’industrie française des services, rendons-lui au moins cela.

Quand à Kerviel Jérôme, il voulait certes être reconnu au lieu d’être méprisé par la caste des grandes écoles du trading, mais il n’a rien d’un héros. C’est un fraudeur enferré dans ses positions à terme, drogué aux prises de risques pour se refaire, sans aucun souci des conséquences. Prendre des options jusqu’à 50 milliards dans un marché très risqué, fallait-il s’aveugler jusqu’à l’inconscience ! Ou plutôt être fasciné comme un ado immature par l’adrénaline du risque, sans aucune conscience que le virtuel des milliards pouvait un jour se transformer en réel…

La perte due à sa faute est de 4.9 milliards d’euros, même si ce n’est pas lui qui a débouclé l’opération. Mais fallait-il attendre, au risque du pire ? Retenons surtout que Kerviel n’a eu au final aucun mot d’excuse pour ses collègues qui ont failli sauter avec lui, ni pour les clients, ni pour l’entreprise… Il n’a rien d’un adulte, Kerviel, mais tout du shooté au jeu vidéo, arriviste sans scrupules, un parfait produit des formations scolaires et du système contemporain. « Un gamin x inconsistance x soif de reconnaissance x cupidité x environnement de travail glouton x ancien contrôleur = risque systémique » p.208. Le jeune trader a perdu le sens des réalités, mais sa hiérarchie l’a laissé sans vrai contrôle dès lors que « les chiffres » étaient passés au crible par l’administratif. D’autant qu’en salle de trading règne une ambiance de concurrence sauvage où chacun est encouragé à prendre des risques.

Le système a dérapé et Kerviel n’a fait qu’allumer une mèche, tandis que Bouton servait de bouc émissaire commode à un chef d’État en perte de vitesse accélérée, attisé par l’avidité des parrains du capitalisme français. Un beau cocktail toujours en place, toujours à la manœuvre.

« C’est seulement ma vérité, celle d’un homme de communication placé par le hasard dans le cockpit d’une grande banque confrontée à la plus vaste fraude de l’histoire de la finance » p.331. Cette vérité, même reconstituée à la manière de Proust, ce que peuvent lui reprocher les « journalistes » qui n’ont évidemment jamais enquêté sur les traders avant la crise, jamais rien vu venir… peut aider à comprendre la prochaine crise, celle qui peut surgir à tout moment parce que les matheux délirent, que l’avidité commande, que les contrôles ont toujours du retard et que les politiques jouent pour se faire mousser.

Les banques devraient revoir leur business model moins en faveur des marchés financiers et plus dans leur rôle d’intermédiation, je ne cesse de le dire… Je ne suis pas le seul et ce qu’affirme le 30 novembre dernier à l’école des Mines Jean-Pierre Mustier, ex-patron de Kerviel, fait froid dans le dos. « La responsabilité de la catastrophe incombe d’abord aux États, qui se sont surendettés et ont manqué totalement de discipline. Puis ensuite aux régulateurs, qui prennent de mauvaises décisions et ne font qu’aggraver la situation. Et aussi, aux banques, [qui] ont dégagé des taux de rentabilité trop importants ». C’est bien tout un système interconnecté qui est en cause. Kerviel est le gamin qui montre que le roi est nu.

Hugues Le Bret révèle en passant quelques « trucs » de la com’, qui aident le lecteur naïf à voir plus clair dans ce que dit la presse ou l’Élysée, ou le concurrent. Ainsi sur le nombre de lettres à envoyer au ministre pour qu’il prenne l’opinion en compte (p.235), la cynique manipulation des sondages dont on oriente la question pour recevoir la « bonne » réponse (p.250) ou l’activation minutieuse des rumeurs via les réseaux par les parrains (p.260). Rien de tel pour mieux comprendre l’affairisme incestueux entre finance et politique. Ce pourquoi la France est au 25ème rang de la liste des pays corrompus dans le monde.

Depuis la crise, Daniel Bouton a démissionné de ses fonctions de président de la Société Générale en avril 2009.

Hugues Le Bret a lui aussi quitté la banque, puis Boursorama une semaine avant la sortie de son livre : il réglait trop de comptes. Il a fondé une société de conseil sur la gestion de crise, Achèle, et donne un cours en master de communication à Sciences po.

Jérôme Kerviel a été condamné par la justice à cinq ans de prison, dont trois ferme pour « abus de confiance », « faux et usage de faux » et « introduction frauduleuse de données dans un système informatique ».

Quant à la Société générale, rappelle Le Monde du 7 octobre 2010, elle « a déjà été condamnée, lourdement, par la Commission bancaire pour les défaillances dans ses systèmes de contrôle. Surtout, sa réputation a souffert, notamment à l’étranger, alors qu’elle était, avant l’affaire Kerviel, la seule banque française à concurrencer ses rivales anglo-saxonnes dans les activités de marché. Enfin, toute la ligne hiérarchique du trader a quitté l’établissement, jusqu’à son président, Daniel Bouton, poussé dehors, il est vrai, sous le harcèlement permanent de l’Élysée. Le tribunal correctionnel de Paris, comme avant lui les juges d’instruction Renaud Van Ruymbeke et Françoise Desset – peu suspects de sympathie pour les banquiers -, s’est contenté de dire le droit, alors même que beaucoup auraient voulu transformer l’affaire Kerviel en procès de la ‘finance folle’ et des bonus à gogo. »

Un livre très utile pour pénétrer les arcanes confidentielle de la finance réelle, qu’il est bon de lire à froid pour raisonner plus juste lors de la prochaine crise.

Hugues Le Bret, La semaine où Jérôme Kerviel a faille faire sauter le système financier mondial – Journal intime d’un banquier, 2010, éditions Les Arènes, 337 pages, €18.81 

Une vidéo sur l’affaire Kerviel et les traders

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8 réflexions sur “Hugues Le Bret, La semaine où Jérôme Kerviel…

  1. Sur ce dernier point, nous sommes tombés d’accord…

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  2. Pour mon opinion personnelle, je suis pour la séparation totale des banques de dépôts et d’affaires (ce que les Anglais sont en train de faire…) + pour l’interdiction pénale de toute vente « nue » à découvert (sans provision espèces ni titres en dépôts).
    Les conseils d’administration n’ont pas besoin de représentants de l’État, sauf quand celui-ci est au capital. Mais en général, ceux-ci ne disent rien, ne contrôlent rien, à se demander même s’ils rendent compte…

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  3. quatre ans !!!! Ahhh en ce temps là y avait un paquet de pognon à se faire en quelques clics !

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  4. Erreur de ma part pour laquelle je présente des excuses sincères: je n’avais pas repéré le nom de l’auteur.
    Désolé si je semble véhément, ce n’est que de la passion (mais vous aussi, souvent vous l’êtes avec votre hargne contre « les politiciens » pour reprendre une de vos expression favorites)
    Le back office méprisé, j’ai lu des choses là dessus et… j’ai deux témoignages de première main.

    Vous avez en grande partie raison à propos de la dérive des énarques. Qui d’ailleurs ne sont pas formés pour ce qu’ils vont faire quand ils pantouflent… Leur rôle devrait être des grands commis de l’Etat et on devrait subordonner leurs pantouflages à un dédit… au moins le remboursement intégral de leur scolarité.

    Cela dit le conseil d’administration ne compte plus, ou alors très peu de représentants de l’état! C’est bien le monde des affaires qui va les chercher et en plus ensuite ça se coopte, ils se retrouvent tous ici ou là tantôt comme simple administrateur, tantôt dans le directoire.

    Et sinon, que pensez-vous de mon vœu de voir séparer totalement les banques d’affaires des banques de dépôts?

    Cordialement

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  5. Je ne sais pas si cela tient à votre style, mais j’ai toujours l’impression que vous montez sur vos grands chevaux… alors que vous ne dites soit que ce qui est dans la note (le mépris des traders pour le back office, l’arrogance systémique des Messieurs de la Générale, le laisser-aller du contrôle àlafrançaise), soit ce qui est dans mon commentaire (puisque, vous avez peut-être noté, la note n’est pas signée Argoul).
    D’autant que vos critiques à l’égard de Daniel Bouton rejoignent les miennes car ce personnage est évidemment énarque, inspecteur des finances et administrateur de Total et Véolia. Le parfait représentant de la caste, cette énarchie pédégère que le monde entier nous envie tellement… qu’il n’y a AUCUN énarque à la tête d’une quelconque entreprise hors de France.
    Bizarre, non, s’ils sont ce qu’ils croient : les meilleurs ?
    Haberer, PDG du Crédit Lyonnais, était aussi énarque, inspecteur des finances. Comme quoi l’apprentissage de l’administration ne fait aucunement des entrepreneurs : des gens qui savent ce qu’est le risque et la gestion des hommes. Ils sont formatés plutôt pour les monopoles : régner et représenter, surtout pas « diriger » ni « décider ». Encore moins être « responsables » !
    Wikipedia : « Jean-Yves Haberer et François Gille, l’un de ses anciens directeurs généraux, seront respectivement condamnés le 23 février 2005 par la cour d’appel de Paris à dix-huit et neuf mois de prison avec sursis dans l’affaire des comptes frauduleux de la banque. Ils devront également verser 1 € de dommages-intérêts au Crédit Lyonnais. Les deux hommes ont été reconnus coupables de présentation de comptes inexacts, de diffusion de fausses informations ou de nature trompeuse, ainsi que de distribution de dividendes fictifs, au cours des exercices 1991, 1992 et du premier semestre 1993 du Crédit lyonnais. » Vous avez bien noté 1€ de dommage intérêts et 18 mois avec sursis.

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  6. Quelque chose doit sans doute m’échapper.

    Je n’ose pas imaginer ce qu’on dirait si des « politiciens » (c’est ainsi qu’on appelle les hommes politiques dans les régimes non démocratiques) se mettaient en tête d’entrer dans les salles de marchés ou d’y faire entrer des représentants pour surveiller les activités des Kerviel dont je suis persuadé qu’ils sont toujours des dizaines. Les accords ‘Bâle III’ dont vous parlez établissent effectivement un ratio de fonds propres indispensable à toute activité de banque (après tout il est souhaitable qu’un boulanger ait un peu de farine pour exercer, de même qu’un boucher passe à l’abattoir) mais si Kerviel avait été du fait de l’organisation interne de sa boîte contraint de respecter les normes que la SocGen elle même avait établies (pas plus de tant par mouvement, pas plus de tant comme somme engagée, etc.) il ne se serait jamais mis dans cette situation et il n’aurait jamais mis et la banque et la finance française en danger de mort (par effet domino). Et ces normes étaient la transposition en théorie plus rigoureuses… des règles établies par « les politiciens »

    Il a été suffisamment décrit combien ces divas du « Front Office » méprisaient le « Back Office », prenaient un plaisir pervers à faire patienter plus d’une heure leur contrôleur en lisant l’Equipe (c’est rare qu’on lise les grands auteurs dans ce milieu) avant de lâcher quelques explications sibyllines d’un ton excédé et dédaigneux (quand par l’emploi du métalangage elles n’avaient ni queue ni tête), assurées qu’au bout du compte que tant que c’était de bonnes gagneuses, on leur passerait tout… la meilleure preuve que c’étaient les seigneurs c’est qu’au front, on gagne cent fois plus qu’au back et dans ce milieu c’est la seule échelle de valeur qui compte.

    Si les dirigeants de la banque, à commencer par le Sieur Bouton, avaient eu un peu de nez, ils auraient serré autrement les boulons et fait appliquer un règlement spécifiant que tout dépassement de la couverture autorisée, toute omission de réponse ou toute réponse maquillée à une demande émanant du « back office », c’était la porte dans l’heure qui suit,

    Là cet incroyable concours de circonstances ne se serait pas produit (qui d’ailleurs a scandalisé a posteriori l’état major mais… si les débordements de Kerviel avaient mené à un gain de 10 milliards et pas à une perte quelle aurait été leur réaction? Permettez moi de douter qu’il y aurait eu poursuites judiciaires même si sans doute ils se seraient séparés d’un bonhomme qui sentait le souffre en lui concédant de quoi vivre des intérêts des intérêts de ses indemnités, en faisant des économies dessus en outre… seule condition: clause de confidentialité). Et comme il aurait bien fallu expliquer l’origine de ces 10 milliards aux haut-fonctionnaires chargés de faire respecter les lois « politiciennes », on aurait sans doute détaché auprès des « politiciens » une délégation pour « avouer », transiger » mais garder ça dans le secret des affaires (je ne doute pas que quelques « politiciens » en auraient sans doute profité pour se financer ou pour faire financer leur journal, leur parti: la nature est faible) Mais en aucun cas on n’aurait dit: 10 milliards acquis hors la loi donc 10 milliards à restituer!

    Je ne sais plus quelle était la formation de Bouton mais peu importe: il n’a pas été placé là par des politiciens, mais par la volonté d’un conseil d’administration lui même émanation d’actionnaires. En l’occurrence c’est donc bien ce système entrepreneurial tel qu’il est qui est pervers et ce Bouton est LE responsable d’une entreprise qui a permis à un Kerviel de « s’épanouir ». Prenez Air-France: tous les systèmes de protection au monde n’empêcheront jamais qu’un pilote saisi d’un coup de folie ne coupe les gaz à V1 au décollage – et dans ce cas sauf une intervention en un dixième de seconde de son copilote qui l’aurait pressentie empêcherait le drame.
    Mais s’il s’amuse à violer au quotidien les procédures de décollage et d’atterrissage, très peu de temps après les analyses de vol le détecteront et on le mettra hors circuit. Le viol des procédures, c’était le quotidien des traders!

    Ôtez-moi d’un doute… La France, contrairement à la Grande Bretagne et aux USA (dans une moindre mesure) se refuse bien à séparer les banques de dépôt des banques d’affaires? Donc Bâle III ou pas, cela peut se reproduire puisqu’en lisière des banques de dépôt qui font une belle marge, mais une marge « raisonnable » eu égard aux fonds sur quoi elles s’adossent, il y aura toujours des fluctuations de résultats colossales liées à la spéculation. Quoique je pense de cette dernière je persiste: cette activité qui ne se fonde que sur le pari, le risque doit pouvoir crever si on se plante. Et ne pas faire crever le reste.

    Je ne vous interpellais pas, Argoul, je donnais une opinion sur un système qui marche sur la tête. Sur le dévoiement d’une activité: encaisser des dépôts et les prêter c’est à dire sécuriser l’épargne et stimuler l’économie qui est supplantée par une autre, purement de casino. La première remplit une fonction somme toutes utile tout en étant bien rémunérée pour cela. La seconde permet à des types de s’enrichir quand ils gagnent, certes, mais en n’apportant strictement rien au bien public. tant que les deux seront liées, c’est le contribuable qui devra payer pour les errements des seconds, sur lesquels il n’a aucune prise. Qu’une banque d’affaires stricto sensus qui a fait de mauvaises spéculations en crève! Il est quand même rare qu’une banque de dépôts ne prête qu’à des clients qui se révéleront tous défaillants donc on n’est pas dans la même dimension…
    Les tenants de l’intervention publique en sont persuadés; les autres pour qui l’Etat n’a à se mêler de rien (sauf pour réparer les dégâts) devraient l’être aussi: chantres de l’autorégulation, ils devraient penser que le risque accru générera la prudence nécessaire…

    Cela nous renvoie à nos échanges sur l’Argent, de Zola. Lors du Krach, ce que la banque avait financé: lignes de chemin de fer, mines du Carmel, ports, etc. était florissant. Et tout dut emporté par la spéculation… Gundermann avait raison: une entreprise qui, par des manœuvres hasardeuses, voit sa valeur dépasser de beaucoup ses actifs, ses perspectives de bénéfice attestés et une proportion à déterminer de ce qu’elle peut espérer est vouée à la mort. le grain de sable peut être un prédateur, il peut être un rouage interne: un Kerviel écorché vif parce que pas considéré comme il estimait devoir l’être, pas suffisamment contrôlé et assez cynique pour dépasser la mesure…

    Cordialement

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  7. Puisque vous m’interpellez, et pas l’auteur de cette note, je vous réponds.

    Vous dites : « Un minimum de fonds propres assortis d’une mutualisation des risques (contrôle étant fait par une autorité indépendante pour veiller à ce que la banque ne prête pas plus que ce qu’elle est autorisée à faire) seraient requis et dans ce cas, l’état pourrait garantir non pas “les banques” mais “les dépôts dans les banques de dépôt” » – c’est exactement ce que « le système » exécute avec les accords de Bâle III. Selon Wikipedia, qui résume bien, « Les accords de réglementation bancaire Bâle III ont ignoré le hors bilan à l’origine de la crise des subprimes. Après Bâle II jamais appliqué par les américains, la réévaluation des seuils prudentiels par les représentants de 27 banques centrales s’est traduit par le fait que « les banques devront avoir 4,5% au titre du capital de base (core Tier One) auxquels s’ajoute un coussin dit « de conservation » de 2,5%, soit 7% au total ». Selon la BNP, le seuil de 7% équivaut à un ratio de 10% dans l’ancienne définition – à comparer aux 2% minimum exigibles auparavant. »

    Reste donc la responsabilité pleine et entière des politiciens. Chacun son boulot : aux banquiers de faire de la banque et aux politiciens de contrôler les dérives eu égard à l’intérêt général. C’est cela aussi, un système de contrepouvoirs. Qui a laissé faire ? Qui n’a pas contrôlé ? Les subprimes ou dérapages Kerviel, sont comme la vache folle, le sang contaminé, le Médiator ou les prothèses PIP : un tas de fonctionnaires sensés surveiller et punir par des « procédures » à l’épreuve de toute fraude (car les fonctionnaires sont neutres et incorruptibles, ce pourquoi leur statut est à vie)… et on voit ce qu’il en est. A quoi bon un État hypertrophié (franco-français) si ce n’est pas meilleur qu’un État minimum (américain) ? Qui a payé la responsabilité d’avoir mis le Crédit Lyonnais en faillite ? L’énarque inspecteur des finances et (par hasard) socialiste Haberer ? Pas du tout ! C’est le contribuable. A quoi bon nationaliser une banque si elle fait pire que les banques privées ?

    Ce qui est éternel, c’est l’humain, ses qualités et défauts. Ce qui est contrôlable, ce sont les dérives, par des règles, une surveillance démocratique et surtout des contrepouvoirs : c’est cela même le libéralisme (voir Montesquieu et Tocqueville). La prédation esclavagiste de l’or métal après l’or noir et l’or nègre des Texans n’a rien à voir avec le libéralisme, mais tout avec l’anarchie et la loi du plus fort (Bible et Colt). Donc ne pas confondre capitalisme (système d’efficacité économique) et usage de cet outil par une société. Toute société, qu’elle soit sociale-démocrate suédoise, partisane chinoise ou libérale anglaise DOIT contrôler l’usage des outils, sauf à ne plus faire société (loi de la jungle).

    Mais quel politicien va punir un autre politicien ? Quel énarque va faire honte à un autre énarque ? La France – tout particulièrement – est une société de caste, une mafia comme en Italie, avec les formes bourgeoises. Ce qui manque en France, ce sont les contrepouvoirs. Ce pourquoi Sarkozy a été si vexé de ne pas être mis dans la confidence, et Hugues Le Bret boycotté par toute la coterie des journaleux germanopratins « spécialistes » en économie qui n’ont rien vu, rien compris et commenté à satiété. Il aurait été sain que la Société générale soit reprise – mais par qui ? Une banque allemande ? italienne ? La BNP avait des vues mais il y aurait eu monopole, donc éclatement du réseau.

    Argoul

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  8. Non Argoul, le système n’a pas dérapé par je ne sais trop quelle malheureuse plaque de verglas qui se serait trouvée là par mégarde: le système roulait avec des pneus lisses sans tenir compte d’une météo défavorable, et en l’occurrence le pilote était habilité – encouragé même – à prendre tous les risques non pas au volant d’un bolide roulant sur un circuit privé où ne sont en danger que ceux qui y roulent, mais au volant d’un autocar plein de civils innocents, et dont en outre la sortie de routes pouvait en tuer des dizaines.

    Le contrôle technique était défaillant, les aptitudes du conducteur n’étaient plus contrôlées – à quoi bon? il avait jusque là mené le véhicule à bon port en « tenant ses objectifs et même au delà ». Quand il devait livrer ses disques attestant du respect des procédures – temps de conduite, vitesse limite, etc. – il prenait de haut ce que le jargon du métier appelle le « back office ».

    Si vous ou moi prenons de haut un agent des forces de l’ordre chargé de vérifier l’état de notre véhicule, la vitesse à laquelle nous roulons, si nous ne sommes pas sous emprise de substances illicites, si nous ne prenons pas l’autoroute à contresens et si nous nous rebiffons, c’est l’outrage et la perte du permis. Chez ces gens là, tant que ce sont de « bonnes gagneuses » on leur passe tout.

    Alors faute de contrôles, des fois ça dérape. On nous a juré que « ça y était, on avait tiré les leçons » en foi de quoi un de ces fondus quelques mois plus tard, à fait suspendre des cotations sur un marché boursier… parce qu’en opérant une transaction il a commis une petite erreur d’un facteur 10 puissance six sans qu’aucun garde fou ne soit là pour l’en empêcher.

    Oui, de ‘méchants prédateurs’ ont tenté de profiter de l’opportunité pour se payer la SocGen a bas prix’… tout comme cette dernière l’aurait fait sans aucun état d’âme si elle avait été en situation, dans le cas où un Kerviel avait sévi à la BNP Paribas ou dans une autre banque. C’est la loi du genre…

    Oui, pour accroître les bénéfices qui devenaient complètement irrationnels on a fait des économies sur les pare-feux, d’autant plus que les enfants gâtés des salles de courtage ne supportaient pas d’avoir à rendre des comptes. (on jouait sur des produits dérivés dont les créateurs eux mêmes reconnaissaient que « ça marchait mais qu’ils ne savaient pas pourquoi » or depuis la crise des oignons de tulipe au XVIIe siècle on sait que ‘les arbres ne montent jamais jusqu’au ciel’)

    Oui, quoiqu’on pense du système capitaliste – tel n’est pas le débat – la banque a son rôle à jouer: celui de sécuriser les dépôts des épargnants et ceux des comptes courants, de réinvestir ces sommes (plus ce que la banque peut emprunter au vu de sa propres solvabilité) pour investir en prêtant, gagnant ainsi fort bien sa vie, et remplissant un rôle essentiel: développer l’économie en soutenant la consommation et en facilitant les investissements. Sauver certaines entreprises en consentant des facilités de caisse quand la perspective demeure globalement bonne et qu’elle doit juste subir des aléas, etc. Contre ces services, la banque qui n’est pas Mère Térésa prend son bénéfice. Elle n’est ni plus ni moins qu’une marchande d’argent qui achète et revend. (notez toutefois qu’on « sollicite un prêt qui vous est « accordé »: pas plus que je ne sollicite une entrecôte à mon boucher, il ne me l’accorde. Il me la vend, et en plus il me remercie).

    Seulement ça ne rapportait pas assez et c’était devenu ringard.

    Déplacer des milliers de fois des sommes qu’on ne possède pas (la spéculation à terme) d’une case A vers une case B en prenant son bénéfice rapportait infiniment davantage,Un gonze avec ses deux ordinateurs et ses trois téléphones crachait infiniment plus de thunes que quatre agences qui recevaient Monsieur Thomas, l’épicier Dupond et la vieille Mme Michu cliente depuis 1948 qui avait tous ses avoirs là, et qui faisait une confiance aveugle à son banquier en prévision de sa fin prochaine et de l’organisation de sa succession.

    Les milliers de ploucs d’agence qui vous faisaient les gros yeux quand votre découvert devenait excessif (or une banque qui ne prêterait pas… de quoi vivrait-elle?) mais ils veillaient pour eux comme pour vous à ce que vous ne vous enfonçassiez point et que vous soyez ‘rattrapables’ sont devenus, poussés par leur hiérarchie, des vampires harceleurs dont la finalité était de vous faire sortir de la ringardise: placer en prévision d’un projet lointain? emprunter à bon escient? « mais c’est fini tout ça, Madame Michu! » votre petit fils héritera de dix fois plus si vous me faites confiance et si vous ‘dynamisez vos avoirs’ et d’ailleurs regardez! Si vous aviez commencé l’année dernière vous auriez déjà fait une plus value de 30%… oui, signez-là, et là, et là… au revoir Mme Michu »

    Pour eux, ne pas tenir leurs nouveaux ‘objectifs’ (abonder la spéculation qui avaient par on ne sait trop quel reliquat de législation ringarde besoin d’un peu de fonds propres pour démarrer) et c’était la mauvaise notation, la mise au placard. Il fallait pousser le béret basque-baguette sous le bras à spéculer par le bien des SICAV et autres machins dont il ne comprenait rien, mais un banquier c’est quelqu’un en qui on a confiance, non? En plus ça fait si longtemps que ça marche…

    Il fallait forcément qu’un jour il y eut un grain de sable, un Kerviel dans une banque ou un capitaine assez dingue pour confondre son paquebot de milliers de tonnes avec un zodiak et là on hurle… Dans un cas comme dans l’autre, Kerviel avait dépassé les bornes (mais comme au bout du compte c’était une bonne petite gagneuse…) tout comme ce n’était pas la première fois que le capitaine se prenait pour un Fangio de la mer, ce que son armateur ne pouvait ignorer… mais ça plaisait donc on se taisait. De nos jours il est pire que Barbe Noire…

    Kerviel n’offre à mes yeux aucun intérêt. Je ne le prends en aucune manière pour un Robin des Bois (mais je le situe quand même au dessus du type qui tripatouille pour voler: lui, en quelque sorte, n’avait guère soif que de reconnaissance sociale et professionnelle). Il a joué, il a perdu, il doit payer. Mais quid de sa hiérarchie coupable de mise en danger de l’emploi et de l’épargne d’autrui?

    Il fut un temps où les PDG justifiaient leurs rémunérations confortables (mais bien en deçà de ce qu’elles sont de nos jours) par « les risques qu’ils prenaient »:: ceux d’être débarqués du jour au lendemain par un conseil d’administration en cas de manques de résultats, et cela sans indemnité.

    De nos jours un Bouton qui n’a rien vu venir – certes il ne pouvait pas contrôler chaque trader mais il devait imposer un système de surveillance pyramidale évitant de telles dérives dont l’enquête a montré qu’elles « étaient monnaie courante » a été ‘sanctionné’ par une mise en retrait progressive (il ne fallait pas offenser ce brave homme, pas l’humilier) et… une retraite chapeau de 700.000 euros par an – j’aimerais savoir combien la SocGen a dû provisionner pour garantir ce versement! Golden Hello (primes de bienvenue), Stocks option (pile je gagne face tu perds), salaires monstrueux, indemnités de départ versées même à des débarqués pour manque de résultat (cf Carrefour il y a quelques années: le montant de ces indemnités correspondait à la suppression de l’indemnité qui servait à nettoyer les blouses des caissières), retraites chapeau, « clause de non concurrence » ….

    Tout cela constitue le quotidien de nos PDG qui « prennent des risques » (assumés par leurs employés, leurs clients et le contribuable qui renfloue quand ils ont fait des conneries)

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    Certes il « fallait sauver la SocGen » parce que sinon par effet domino, les dépôts ne seraient plus honorés et des millions de gens auraient été spoliés (la garantie de l’état n’est que virtuelle: elle ne couvre en réalité qu’une infime fraction de ces dépôts). Pas folles les guêpes, qui externalisent leurs bénéfices pour payer le moins d’impôts possible en France mais qui vont tendre la sébile à Bercy dès que ça va mal, en ressortant le concept « too big fo to fail »

    Seulement il y a une donnée toute simple. D’affreux archéos – forcément anticapitalistes et de ce fait ‘ennemis de la liberté’ – sans remettre en cause le système dans son ensemble, parlent d’établir une cloison étanche entre les activités de dépôt et de prêts et celles de spéculation. Que si quelques allumés dans une tour, en dix clics d’ordinateurs, jouent 50 milliards virtuels qui aboutissent à 50 milliards de pertes effectives, leur banque spéculative pourra faire faillite, on pourra la larguer sans remords (tout au plus veillera-t-on à recaser les petites mains qui de près ou de loin n’ont pas eu la moindre responsabilité dans la catastrophe: le vigile, la dame qui saisit des données auxquelles elle ne comprend goutte, celles qui font le ménage, etc.
    Après tout il n’est marqué nulle part que quand on joue au casino, on est obligé de récupérer sa mise! (en plus on y joue son argent et pas à terme, des fonds virtuels): je le sais: j’ai été joueur! Tout ce que le casino de Paramaribo m’a concédé un jour, c’est un bon pour payer le taxi qui me ramènerait à mon hôtel. Geste ‘amical’ et sans doute une idée derrière la tête: s’il se fait dépouiller cette nuit, on ne reverra plus ce gogo.

    En marge, des banques de dépôt encaisseront ces derniers, les prêteront en veillant au ‘risque raisonnable’ (il fut un temps où dans cette activité le banquier qui ne connaissait aucun échec n’était pas très bien noté: on considérait que par excès de prudence, il laissait passer des opportunités intéressantes. Bien sûr il ne fallait pas non plus jouer au casse-cou et en cas d’erreur cinglante on vérifiait s’il n’y avait pas eu grave manque de discernement ou… intérêt personnel à cette erreur)

    Un minimum de fonds propres assortis d’une mutualisation des risques (contrôle étant fait par une autorité indépendante pour veiller à ce que la banque ne prête pas plus que ce qu’elle est autorisée à faire) seraient requis et dans ce cas, l’état pourrait garantir non pas « les banques » mais « les dépôts dans les banques de dépôt »

    C’est ringard ce que je décris là? C’est anticapitaliste? anti libéral? Pourtant c’est ce que le Conservateur Cameron, allié aux Libéraux, s’apprêtent peu ou prou à mettre en oeuvre pour la City… temple de la finance s’il en est.

    Avec ce système, le réseau d’agences de la SocGen n’aurait en rien été menacé, les dépôts auraient été conservés, seule les deux tours et le « macao enfer du jeu » qui grenouillait là dedans se seraient posé des questions. Je vais même plus loin dans ma suggestion: pour éviter les ambiguïtés, donner aux activités de dépôt et de spéculation un nom totalement différent pour éviter les amalgames.
    La SocGen affaire serait morte si personne ne l’avait reprise? Bon vent! La leçon aurait été salutaire pour les autres.
    Kervel en taule? d’accord. Mais dans la même cellule que Bouton, parce qu’à un certain niveau de responsabilité et de rémunération, une erreur stratégique lourde vaut délit. Personne n’est obligé d’être PDG

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