Sixième Sens de Manoj Nelliyattu Shyamalan

La mort : en avoir peur ou l’accepter ? « Il faut écouter les morts », conseille le psychiatre à son petit patient de 8 ans. Écouter les morts signifie être le passeur entre le passé et le présent, autrement dit écouter les vivants au travers de ceux qui sont morts, leurs souvenirs, leurs traumatismes. Ainsi cette fillette décédée alors qu’elle pétait la forme et jouait au théâtre de marionnettes. Ainsi son prof, ancien bégayeur moqué à l’école. Ainsi la mère de Cole (Toni Collette) solitaire, débordée, maniaque qui a des conflits à résoudre avec sa propre mère. Ainsi le psy, qui voit sa femme lui échapper.

Mais revenons au film. Le réalisateur américain originaire de Mahé en Inde l’a construit avec un retournement final (que les colonisés de la tronche appellent « twist » parce que ça fait branché yankee). Un retournement préparé, mais pas perçu au premier visionnage. C’est justement la qualité du film de pouvoir le revoir deux fois, trois fois. Avec, à chaque passage, une façon différente de regarder.

Au premier degré, Malcolm Crowe (Bruce Willis), psychiatre de Philadelphie qui a reçu une citation de la ville pour services sociaux rendus à la collectivité, rentre un soir avec sa femme (Olivia Williams) pour passer une soirée en tête à tête à la maison avec une bouteille de bon vin. Dans la chambre, l’épouse découvre la fenêtre cassée, on est entré par effraction. Une ombre passe, c’est un ancien patient dans la salle de bain, Vincent Grey (Donnie Wahlberg). Il s’est dépouillé de ses vêtements pour apparaître nu, vulnérable, laissé pour compte dans ses terreurs. Il est bien bâti et a tout pour lui, sauf que le psy n’a pas pu l’aider. Lequel bafouille ; le jeune homme lui tire dans le bide avant de se tirer une balle dans la tête.

Trois mois plus tard, Malcolm Crowe se retrouve chargé d’un gamin de 8 ans, Cole (Haley Joel Osment, 11 ans au tournage), qui présente les mêmes symptômes que son patient suicidé. Il pense qu’il peut rattraper son échec en aidant l’enfant car c’est peut-être plus facile avec l’expérience de Vincent, lui-même suivi petit. Il ne l’a pas cru ; il faut croire Cole. L’enfance est un âge influençable, pas encore fini ni ancré dans sa psychose. Cole est timide et effrayé car il a un secret qu’il finit par avouer, d’une toute petite voix qui craint la rebuffade : il voit les morts autour de lui ; il est seul à les voir et lorsqu’ils rôdent la température s’abaisse d’un coup. Ils lui demandent quelque chose. Quoi ? De les aider. Les aider à quoi ? A passer, à régler ce qu’ils n’ont pu régler dans leur vie. Mais Cole est terrorisé, il ne sait à qui se confier puisque sa mère ne comprend pas ce qu’il raconte et croit qu’il ment lorsqu’une médaille est déplacée, puisque son prof ne le croit pas lorsqu’il dit que l’école est le lieu où, jadis, on pendait les gens – le prof euphémise en disant que c’était une cour de justice de la capitale alors des États-Unis pour quelques années.

Le psychiatre va réécouter une cassette enregistrée lors d’une séance avec Vincent qui fréquentait la même école que Cole et, poussant le son à fond, percevoir dans un silence une toute petite voix, celle d’un mort. Il va donc donc, plutôt que de diagnostiquer en bon technicien du cerveau de mauvais traitements, une schizophrénie précoce et une tendance paranoïaque, écouter Cole. IL va le faire parler, respecter ses silences et ses retraits, le croire. Cela au risque de délaisser sa femme Anna, qui commence à se laisser fréquenter par un jeune étudiant. Crowe se laisse aller à l’empathie pour mieux comprendre. C’est en cela qu’il aide son patient, à qui il sert de père de substitution et de confident quasi maternel. Il garde de la distance, notamment physique, le spectateur comprendra pourquoi par la suite. Même chose avec sa femme, il lui parle mais elle garde le silence. En fait, le psychiatre est bien seul dans la vie, dans la rue comme devant les autres…

Cole va finir par accepter de surmonter sa terreur pour s’ouvrir lui aussi aux autres, aux morts qui l’entourent et qu’il perçoit. Son empathie, transmise par le psy, lui permettra de se mettre en règle avec lui-même et avec les vivants. Avec une fille de sa classe, morte inexplicablement alors qu’elle était en bonne santé, et qui a laissé tourner une caméra dans son placard où elle filmait ses marionnettes : sa mère, souffrant d’un syndrome de Münchhausen par procuration, a versé du poison dans sa soupe. Avec ses copains de classe qui le trouvaient bizarre et le bizutaient, il est désormais reconnu comme le valet de ferme qui est le seul à pouvoir ôter l’épée du rocher, dans la légende d’Arthur jouée en fin d’année. Avec sa mère, à qui il apprend que l’accident au bout de la rue qui immobilise la voiture dans une file est due à une femme en vélo qui s’est fait écraser, que sa grand-mère lui parle et transmet un message à sa fille, notamment qu’elle l’a bien vue danser à sa fête de fin d’année, même si elle est restée cachée au fond de la salle. Avec son psy Crowe, à qui il conseille de parler à sa femme lorsqu’elle dort ; les messages passent dans l’inconscient. Mais lorsqu’il le fait, l’épouse laisse échapper de sa main l’anneau de mariage de son mari, lui qui croyait le porter au doigt.

Au second degré, lorsqu’on a déjà vu le film une fois et que l’on connaît le rebondissement final, le regard du spectateur change et s’approfondit. Il peut comprendre ce que le petit Cole comprend tout seul lorsqu’il finit par « écouter » les morts. Que la fin de vie est une transition progressive du monde des vivants vers le monde des morts. Qu’il faut, pour apprivoiser le fait de voir mourir les autres et de mourir soi-même, communiquer avant tout, tout le temps. Parler est une thérapie, la psychanalyse le dit et le démontre. Ce film aussi. Au fond, il ne faut pas avoir peur de la mort mais la faire apprivoiser par les vivants. C’est en réglant ses propres conflits non résolus que la mort viendra à son heure, en étant apaisé. Ce qu’on appelle le deuil.

DVD Sixième Sens (The Sixth Sense), Manoj Nelliyattu Shyamalan, 1999, avec Bruce Willis, Haley Joel Osment, Toni Collette, Olivia Williams, Mischa Barton, Hollywood Pictures Home Video 2000, 1h42, €4,99 Blu-ray €14,53

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés Amazon partenaire)


En savoir plus sur argoul

Abonnez-vous pour recevoir les derniers articles par e-mail.

Catégories : Cinéma | Étiquettes : , , , , , , , , , , , , , , , , , , | Poster un commentaire

Navigation des articles

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.