Cronin, Le destin de Robert Shannon

Écossais, catholique avec une mère protestante, médecin des pauvres mais ayant aspiré à devenir chercheur, voilà le destin Robert Shannon – le même que celui de l’auteur. Ce roman quasi autobiographique raconte le double grand amour : celui de la médecine et celui de l’épouse. Il fait suite aux Vertes années qui racontaient l’enfance.

Comme toujours chez Cronin, l’homme se hérisse lorsqu’il rencontre la femme ; elle lui paraît bête, inférieure, incompréhensible. Puis, insensiblement, l’apprivoisement se fait et l’amour vient, l’affection avant le désir, puis tout explose en happy end – ce qui a fait le succès incontestable de ses romans. Archibald Joseph, dont on ne prononce jamais les prénoms mais justes les lettres A. J., installe le roman post-victorien dès l’entre-deux guerres et le poursuit dans la modernité industrielle et l’essor scientifique de l’après-guerre.

Ici, le conflit est entre le mandarin imbu de son pouvoir et le jeune chercheur esclave obéissant car sans moyens ni relations ; entre le pater familias calviniste style Ancien testament et la liberté de l’amour ; entre les devoirs ou traditions et l’initiative. Archibald/Robert est le garçon qui se fait lui-même, contre la société, la religion, le destin.

Robert Shannon, docteur en médecine, médaillé pour quelques recherches post-doc, n’a trouvé qu’un poste d’assistant à l’université via une bourse précaire. Mais il ne peut plus supporter la maison du professeur Usher parce qu’il ne peut poursuivre des recherches pourtant vitales sur une épidémie de « grippe » liée à une épizootie mais doit travailler aux intérêts du patron. Dénoncé par un assistant jaloux pour avoir conduit des recherches sans autorisation sur son temps de travail, il démissionne et cherche à se caser en attendant dans un hôpital pour malades contagieux. Après avoir engueulé vertement une infirmière qui était allée prendre son thé sans surveiller un petit garçon de 5 ans intubé à cause de la diphtérie, sauvé in extremis alors qu’il étouffait, mais que la carence infirmière a laissé mourir, il est dénoncé par elle pour utiliser sans autorisation un local désaffecté pour ses travaux – car elle est la belle-sœur d’un administrateur. Toujours, la sociétés, les relations, le pouvoir, les traditions, s’opposent à la jeunesse et à son envie de vivre. Shannon trouve par hasard, en sauvant une gamine de 14 ans renversée par un fardier dans la rue, un emploi auprès d’un médecin de ville qui court après l’argent. Mais ce métier (que l’auteur a pourtant pratiqué) ne lui convient pas ; il veut poursuivre ses recherches sur la brucellose – ce qu’il pourra faire dans un asile de fous, équipé d’un laboratoire ultra-moderne que personne n’utilise !

Lorsqu’il réussit, grâce à l’aide d’une (rare) étudiante en médecine rencontrée à sa pension, à prouver que la maladie de Bang du bétail n’était autre que la fièvre de Malte de Bruce et que la « grippe » qui sévit alors, il est félicité par tous. Il n’est pas nouveau que la grippe soit une maladie venue des bêtes, et pas seulement en Chine aujourd’hui. Mais il tarde à publier, désirant aussi proposer un vaccin. Ces trois ou quatre mois de délai supplémentaire qui le feront travailler avec Joan le verront supplanter par une publication sud-américaine qui parviendra brillamment aux même conclusions mais le coiffera au poteau. Toute cette recherche pour rien… sauf pour mieux se connaître peut-être et pour mieux connaître Joan.

Même chose en amour. Joan Law, l’étudiante veut apprendre à soigner pour aller rejoindre sa sœur infirmière en Afrique dans une mission protestante. Elle échoue à son premier examen parce qu’elle tombe en amour pour Robert. Celui-ci, présenté à sa famille de boulangers, ne séduit que son jeune frère Luke, 17 ans et amoureux des motocyclettes, et sa mère. Son père en revanche, possède une foi rigide et sereine ; il ne peut envisager que Joan se marie jamais avec quelqu’un qui n’est pas de la même secte. Bien que catholique (et peu pratiquant), Robert n’est pas un « vrai » chrétien à ses yeux : il ne connaît pas la Vérité, la seule évidemment qui soit, celle exclusive à laquelle le père croit. L’étroitesse d’esprit est un obstacle de plus mis par le destin à la vie.

L’art maladroit de Robert, vraiment amoureux de l’esprit, du tempérament et du corps de sa belle (dans cet ordre tout classique), parviendra à remettre les roues du destin dans les rails, mais non sans mal. Tout le roman va de la découverte à la chute avant la rédemption – le mariage et un poste de chercheur à Lausanne, loin de l’Écosse étriquée de son temps. Il se lit avec avidité, bien écrit et sans pédantisme, avec une psychologie qui vole au-dessus des romans de gare sans égaler pourtant les romans victoriens. Cet entre-deux facile mais talentueux fait passer de bons moments. Plus que les stupidités à succès publiées récemment.

Archibald Joseph Cronin, Le destin de Robert Shannon (Shannon’s Way) 1948, Livre de poche 1974, occasion €0,75

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