Lian Hearn, Le clan des Otori

Bien qu’il soit recensé comme le tome V en Folio, l’histoire se situe avant le tome I, soit en tome 0. Nous faisons en effet connaissance avec Shigeru, fils de sire Otori, chef du clan. Ce dernier est un aîné indécis, flanqué de ses deux frères jouisseurs qui le poussent à négocier et à abandonner l’honneur du guerrier contre la tranquillité. Car le clan des Tohan, avec la dynastie des Iida, convoite les Trois pays et voudrait bien inféoder les Otori à leur pouvoir brutal et avide.

Ce n’est pas du goût de Shigeru, déjà guerrier à 12 ans, qui dès sa majorité à 16 ans prend la tête du clan comme fils aîné du fils aîné, au détriment de ses oncles qui n’auront de cesse que de tenter de le rabaisser. Shigeru, revenu du maître en armes à qui il a été confié, sauve de suite son petit frère Takeshi, 8 ans, qui s’est battu à coup de pierres avec les garnements du quartier et a chu dans le torrent, coincé par les cailloux qu’il avait dans sa tunique et par son adversaire un peu plus grand que lui. L’autre gamin meurt noyé, Takeshi survit grâce à son frère au bord de l’adolescence qui, dès lors, s’aperçoit qu’il l’aime fort et veut le protéger. Cette révolution psychologique de protection se produit souvent vers cet âge chez les garçons.

Takeshi est en effet un sanguin, grand et fort, porté aux armes et aux chevaux plus qu’aux livres et à la méditation, il décide avant de réfléchir. Un beau gamin qui devient beau jeune homme, mais trop impétueux et direct. Il mourra ignominieusement, en guerrier certes, le sabre à la main et non sans avoir envoyé dans l’au-delà plusieurs adversaires, mais pas en guerre. Seulement submergé sous les coups des sbires de Tohan venus s’enivrer à la frontière, violer les filles et insulter les Otori. Shigeru en sera très affecté.

C’est que, dès 16 ans, il a préparé la guerre, mais avec la naïveté du guerrier neuf. Il n’a aucun espion ni aucune ruse – contrairement aux Tohan. S’il a sauvé la vie d’un Iida tombé dans un ravin en chassant au faucon sur le territoire Otori, ce dernier en est humilié et n’aura de cesse que de rétablir sa réputation en envahissant le pays. Le père de Shigeru ne l’a jamais défendu, n’a jamais réagi aux provocations des Tohan, sous l’influence des oncles. Or, laissez un tyran étendre ses actions et vous aurez la guerre : l’histoire l’a constaté maintes fois, de Hitler à Poutine. Shigeru est valeureux et son armée préparée, même si elle est inférieure en nombre. C’est cependant la trahison d’un clan qu’il croyait allié qui va précipiter sa défaite. Il n’avait pas préparé la diplomatie aussi bien que la guerre.

Il aurait dû se suicider au poignard, comme il était d’usage lorsqu’on était vaincu, avec toute sa famille exécutée de même par le vainqueur. Mais son père lui a fait jurer de ne jamais renoncer tant que Jato, le sabre historique du clan donné par l’empereur lui-même, reviendrait dans ses mains. C’est un membre de la Tribu secrète, Kenji Muto, qui va le prendre sur le cadavre du père pour le confier au fils. Vaincu, blessé, abandonné de ses amis morts, Shigeru ne doit la vie qu’au sabre, à sa promesse et à Kenji. Il va dès lors laisser la régence du clan à ses oncles, qui se sont bien gardés d’être présents lors de la bataille, et se retirer comme « fermier », intéressé par les travaux des champs – le nerf de la prospérité, donc de la guerre. Il feint pour mieux préparer sa vengeance, mais celle-ci ne cesse de se faire attendre.

Des années vont passer, Shigeru va être marié à une pétasse snob et frigide, lui engrosser une fille car elle aime la force et la violence, et la voir mourir en couches car tel était son destin. Shigeru n’aura pas d’enfant car dame Maruyama, dont il s’est épris par la suite, ne peut donner naissance sans être aussitôt condamnée à se tuer par les Tohan dont elle dépend. Le jeune homme va donc reporter sa frustration paternelle sur son neveu inconnu, le fils qu’a engendré son père avec une fille de la Tribu et qui a disparu dans les montagnes.

Ce sera Tomasu, qui deviendra Takeo, dont le lecteur a fait la rencontre dans le tome I (Le clan des Otori). Le garçon ressemble au bien-aimé Takeshi et Shigeru l’adopte. Il l’éduque et l’entraîne comme il se doit pour devenir héritier du clan, contre ses oncles. Le fil du destin prend donc Shigeru de l’émergence de sa personnalité à 12 ans à sa rencontre avec Takeo tout au bord du tome I.

Ce roman des âges farouches du Japon, en plein féodalisme, est toujours aussi agréable à lire que les autres et vous transporte au Moyen Âge de l’archipel. Il offre, au fil des péripéties, des réflexions judicieuses sur la guerre et les guerriers. « Lorsqu’un homme s’est engagé sur la voie du pouvoir, peut-on lire p.108, il ne sera guère arrêté que par sa propre mort. Il s’efforcera toujours d’être le plus puissant et vivra dans la crainte perpétuelle qu’un adversaire l’emporte sur lui et le renverse. Bien entendu, c’est ce qui se produit au bout du compte, car tout ce qui a un commencement a une fin ». On pense aux tyranneaux africains, bien-sûr, mais aussi au trio Staline-Hitler-Mao et leurs émules – dont Poutine reste le principal avatar aujourd’hui, égaré dans le siècle de la modernité.

De même la religion. Volontiers utilisée comme superstition pour tenir le peuple par la crainte, elle joue cependant un autre rôle, plus positif selon Shigeru, ainsi qu’il l’expose p.162 : « Il ne croyait pas que les prières ni les sortilèges pussent avoir le moindre effet ou influencer quelque être que ce fut dans le cosmos. A ses yeux, si la croyance religieuse avait un rôle à jouer dans la vie humaine, il devait consister à fortifier le caractère et la volonté de façon qu’un homme soit gouverné par la justice et la compassion et affronte la mort sans crainte. » C’est ainsi que, malgré ses défauts dans notre histoire, la religion catholique a tout de même produit les collèges de Jésuites et le scoutisme, qui ont forgé les caractères et appris la morale de plusieurs générations.

Un thriller historique à mettre entre toutes les mains avides d’aventures, en particulier des adolescents.

Lian Hearn, Le fil du destin (Heaven’s Net is Wide), 2007, Folio 2021 695 pages, €9,80 e-book Kindle €9,49

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3 réflexions sur “Lian Hearn, Le clan des Otori

  1. Jamboree

    1920, pas 2020

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  2. Jamboree

    Le scoutisme, comme disait BP, c’est l’école de la vie. Mais s’il y avait une religion, c’était plutôt l’indianisme. La religion catholique a été initialement assez réticente vis à vis du scoutisme. Les SDF n’ont été créés qu’en 1920, neuf ans après les EUF et EdF. C’est sûr qu’ensuite leur OPA a été efficace, et que le clergé avait une implication sans doute plus forte que les pasteurs qui nous laissaient toute liberté (aux EUF). Signe de Piste, très catho, a aussi aidé.
    Le Japon, pour la formation du caractère, a apporté en France le Judo. Maître Kawaishi y est arrivé en 1935. Se battre en combat corps à corps, avec projections, mais avec des règles, le respect de l’adversaire, et l’idéal de souplesse, où le petit pouvait être vainqueur, a été une réelle révélation pour les ados qui en ont fait dans les années 50 à 70. Depuis Anton Geesink et la multiplication des catégories de poids, ça a un peu perdu de sa magie.
    La saga des Otori, elle, n’a rien perdu de la sienne.

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