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Marie B. Lévy, Les vœux flottants

Un arbre à vœux, au centre du jardin en Provence. Un érable du Japon, offert par Ota, l’ami de Myron son mari, généticien comme lui. Une journée ordinaire. La décoratrice va voir une cliente qui veut transformer son panorama de montagnes du Lubéron en une vue sur la mer. Une folle, mais après tout, qui est fou ?

Le mari part pour Corfou, assister à un congrès de biologistes organisé par une grosse entreprise chinoise. Les transhumanistes sont friands de toutes les recherches fondamentales sur les mutations génétiques, les vaccins à ARN, et toutes ces sortes de choses. Et puis le drame ! Madame Schtoulsky est appelée par le patron de son mari, Monsieur Link. Le petit avion de tourisme qui devait ramener l’équipe à Marseille s’est écrasé dans la mer. Aucun survivant. Mais un rêve prémonitoire : l’épouse a « vu » son mari sous l’eau, dans la dernière rangée de sièges de l’avion, et il lui a dit avoir été assassiné.

C’est un rêve, pas une réalité. Mais Madame Schtoulsky doute : est-ce un coup des Chinois pour s’accaparer le projet ? Un coup du patron de son mari qui lui reproche d’être trop secret et pense pouvoir mettre la main sur ses travaux ? Un coup d’un service secret (mais lequel ?) pour s’assurer que des recherches aussi cruciales ne tombent pas en des mains ennemies (mais lesquelles?) ? De quoi être parano. D’autant que tout fait signe : les vœux sur l’érable qui se détachent au gré du vent, et livrent des maximes sibyllines ; une Audi noire qui ne cesse de suivre ses déplacements ; des « réparateurs » d’alarme, non référencés dans l’entreprise, qui sont venus et ont probablement fouillé le bureau et emporté tout ce que contenaient les tiroirs ; un mystérieux pseudo portant le même prénom (rare) du mari, Myron, qui publie des articles pour une autre société de biologie.

Les beaux-parents ne la croient pas ; son père ne la croit pas ; Link ne la croit pas. Pour eux, tout cela ressort de l’imagination – et le lecteur est bien près de les suivre, tant le comportement de Madame Schtoulsky devient hystérique : massacre de yaourts dans la cuisine, écroulement des étagères du bureau, rêves qu’elle prend pour le réel.

Ota, contacté, est navré. Un détective privé, engagé, est sceptique. Les boites noires retrouvées font bien état d’une colère dans le cockpit in extremis, mais ce sont bien les particules en suspension, dues à l’explosion du port de Beyrouth le 4 août 2020 qui ont coincé les moteurs, provoquant la chute – encore qu’on puisse amerrir sans moteurs, juste en planant, mais enfin…

L’érable se meurt ; il est atteint d’une étrange maladie qui tache ses feuilles. Les arbres sont sensibles à leur environnement, et aux humains aussi ; est-il « triste » de la perte de qui qui s’occupait de lui ? Délivre-t-il un message ? Le voisin consulté, expert en plantes, pense qu’il s’agit d’une chenille. Ota, consulté à distance, pense qu’il faut remplacer la terre ; d’ailleurs il doit venir en France. Et il avoue avoir reçu un mél en code, énigmatique, de la part de son ami avant son envol pour Corfou et l’au-delà. « S’il devait m’arriver quelque chose… »

La chose est arrivée. Les instructions qui suivaient doivent être exécutées : creuser au pied de l’érable, sous la branche qui penche. De fait, une enveloppe en velours contient deux CD-ROM. Mais l’enveloppe a évidemment pris la pluie : curieux qu’un scientifique n’y ait pas songé un instant ! Ils sont illisibles. Tous les travaux ont donc disparus.

Mais est-ce vraiment par hasard ? Sur l’érable aux vœux flottant au vent, le scientifique avait calligraphié ses doutes : « suis-je allé trop loin ? » Crime ou accident ? Vérité ou illusion ? Le doute subsiste – jusqu’au choix de dévoiler ou de protéger.

Très bien écrit, malgré quelques fautes, dues peut-être au dictaphone intégré modèle yankee – et deux fautes de français*.

Marie B. Lévy, Les vœux flottants, 2025, éditions La route de la soie, 337 pages, €25,00

(mon commentaire est libre, seuls les liens sont sponsorisés par amazon.fr)

Attachée de presse BALUSTRADE : Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 guilaine_depis@yahoo.com

* « SAS » au lieu de sas pp.125 et 230, « ce n’est pas donner » au lieu de donné p.298, « ça » réplique ou lieu de sa p.257. Et deux fautes de français plus graves, « j’hoche » au lieu de je hoche p.196 (on n’élide jamais devant un h aspiré), et p.70 : « il m’arrive que je fusse très excité » au lieu que je sois – ou alors il m’arrivait que je fusse. Cela s’appelle la concordance des temps mais rares sont les profs qui transmettent encore la langue correcte.

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Le mythe du naturel

Nous débarquons la nuit venue dans un hôtel à paillotes, le « Maya tulipanos » comme il est inscrit sur les serviettes de bain, ou le « Panchan las cabañas » selon la pancarte à l’entrée. Il est très étendu, dans un parc boisé d’essences tropicales. Des odeurs caractéristiques de la végétation capiteuse s’élèvent. L’endroit paraît calme, les paillotes sont isolées entre les bosquets. Mais beaucoup d’étrangers y résident et le calme apparent n’est dû qu’au bar qui fait le plein à cette heure. Une fois le dîner terminé, les fêtards rentreront et, saouls comme seuls des anglo-saxons peuvent l’être, ils se lâcheront de toutes contraintes pour brailler, jouer du tambour sur les murs, haleter en luttes viriles ou sexuelles – qui sait – chanter et faire tous ces bruits d’une humanité hors de son état normal. C’est du moins ce que nous diront certains autres car, en notre paillote, Gilles et moi n’avons rien entendu qui nous ait éveillé.

Avant cela, nous prenons une douche chaude avant de nous habiller de frais pour le dîner. Ce sera notre premier repas véritable depuis hier soir et nous avons faim. Le problème est l’orchestre, installé là, tout près des tables. C’est plutôt sympathique, une famille tout entière qui joue et chante : la voix du père, la guitare maternelle, le rythme de la fille aînée et les cymbales du petit dernier, un garçonnet de 9 ou 10 ans. Sauf que la mode du badaboum fait que le son est monté très fort et que l’une des baffles est à trois mètres de mon oreille gauche. Pas question de supporter ça. Je détourne l’engin, ce qui me vaut une explication avec le père – qui finit par l’accepter – mais je pars quand même avant le dessert. Le bruit ne remplace jamais le talent.

Je suis le seul, ce matin, à prendre un petit-déjeuner mexicain, des œufs brouillés au lard, à la tomate et au piment, accompagnés d’une purée de frijoles et d’une petite salade de tomate, concombre et oignon. Les autres penchent pour les fruits à la « crema » (épaissie de farine) ou des « pancakes ». Ah ! La saveur « naturelle » de la farine à crêpe et le sucre « biologique » du sirop d’érable ! C’est se croire naïvement ailleurs que là où l’on est : des érables au Mexique ? Fi !

Il suffit de lire ce qui est écrit sur la fiole plastique du fameux « sirop » : « miel de maiz » – pas besoin même de savoir l’espagnol pour comprendre qu’il s’agit d’un résidu de distillation, une mélasse en fin d’extraits, et pas de la sève d’arbre. Quant à la crêpe, la farine est elle aussi de maïs, additionnée de bicarbonate de soude et d’autres produits stabilisants. Après ce que j’ai lu en avion dans « El Financiero », une bonne part est d’ailleurs du maïs transgénique.

Je ne leur dit pas. Pas plus que je ne leur décris le pancake d’hôtel comme de la vulgaire chimie. Pourtant, étant venu il y a 15 ans au Mexique pour un périple en kayak sur la mer de Cortez (dont le nom m’enchante toujours), je me souviens avoir acheté ces paquets tout prêts au supermarché : il suffit de rajouter de l’eau à la poudre, selon la dose prescrite, pour obtenir une « pâte à pancake » tout à fait réaliste. Une fois de plus, je me gausse intérieurement des croyances et des candeurs de ces ferventes adeptes du « bio » qui préfèrent le « pancake » (incongru au Mexique) mais dont l’image et l’odeur charment le sentiment écolo.

Ce sont elles qui ne mangent pas de poulet ici de peur qu’il soit « aux hormones », qui n’achètent que de l’eau purifiée plutôt que d’introduire une pastille de chlore dans l’eau du robinet, qui ne prennent pas de thé pour cause d’insecticides (apportant même leurs sachets personnels estampillés « Bjorg bio »), qui refusent parfois tout vaccin de crainte que l’on fasse « des expériences » sur leur corps… Jusqu’où va se situer la paranoïa, ce mal du siècle occidental ! Certainement pas dans l’observation de ce qui est ni dans la réflexion dictée par le bon sens. Des érables au Mexique…

La pathologie de l’autorité est probablement la névrose obsessionnelle. Les symptômes pathologiques du moi sont, selon Freud, la transformation du conflit inconscient pour diminuer les tensions psychiques internes entre le surmoi et le ça. L’autorité frustre et le sujet, incapable de médiatiser son désir, se défend en s’isolant, en adoptant une attitude de « refus du désir » qui se manifeste par des conduites maniaques : doutes, superstition, gestes propitiatoires, scrupules excessifs, ordre exacerbé, phobie du « sale », du contaminé, des « odeurs ». Ainsi l’une du groupe avec l’odeur de bière.

Mais la nouvelle pathologie sociale qui se répand, dans notre monde d’indépendance et de responsabilité individuelle croissante, est plutôt la paranoïa. Elle se caractérise par des idées délirantes systématiques, ce qui n’exclut pas de temps à autre une argumentation pénétrante mais impossible à raisonner, à faire avancer, à mettre en doute. Cette nouvelle obsession rapporte tout à soi : les autres, le monde, l’Etat – tout est perçu en fonction de son propre ego. Les relations prennent alors une tonalité affective, agressive, le sujet manque de critique, de distance, de contrôle. La paranoïa prend la forme soit du délire passionnel, soit du délire d’interprétation, soit du délire d’influence. « Le délire affirme la croyance en l’existence d’une AUTRE réalité qui, loin d’être fausse, restitue des investissements primitifs liant archaïquement l’enfant à son premier objet d’amour » (Encyclopaedia Universalis, article « psychose »). Où la vogue du « bio » (dans ses excès) rejoint l’anti-« tout » (dans son illusionnisme manipulateur).

Croire ainsi que le « miel de maïz » (un résidu, qui concentre donc les pesticides) et la crêpe de maïs (transgénique à 47% selon El Financiero) est plus « bio » que l’œuf à la tomate et au piment servi au petit déjeuner est la preuve d’un déni et de satisfactions hallucinatoires ! « Le délire de revendication est caractérisé par le besoin prévalent et la volonté irréductible de faire triompher une demande que la société se refuse à satisfaire. Le patient a la conviction inébranlable de détenir la vérité et d’être d’une entière bonne foi » (Encyclopaedia Universalis, article « paranoïa »). Foin de la réalité mondiale, « rêvons d’un autre monde » et tant pis si nous sommes les seuls à le faire.

Les traits de caractère des paranoïaques sont l’orgueil narcissique, la méfiance générale, la fausseté du jugement, la psychorigidité, l’inadaptabilité. Cette pathologie viendrait de la surestimation du moi, l’égocentrisme primitif n’ayant jamais été éduqué par la société (les parents laxistes après 1968 s’y reconnaîtront-t-ils ?).

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