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Palerme, musée Abatellis

Nouvel arrêt, dans la ville de Palerme cette fois, pour voir en coup de vent (en moins d’une heure) le musée régional dans le palais Abatellis. C’est hors programme et il doit fermer à 18 heures. Il recèle quelques trésors. Notamment une grande fresque du XVe siècle du Triomphe de la Mort où les Importants sont représentés en beaux costumes, la main à la ceinture au-dessus du pubis, signe des dominants. Ils sont touchés par les flèches du squelette qui chevauche le cheval squelettique et se retrouvent en bas du tableau, tout navrés. Dont le pape, la gorge transpercée d’une flèche. Les belles femmes aux robes à la mode et aux bijoux étincelants de même. Sur la gauche, les pauvres, vieux, handicapés, bancroches, lépreux, restent tel qu’ils sont : en bas. Deux personnages regardent le spectateur, le peintre et son fils préparateur. Nul ne connaît leur nom. Le thème est tardif car la dernière Grande peste date de 1348.

Le buste d’Eleonore d’Aragon de Francesco Laurana, œuvre délicate du XVe.

La Vierge de l’Annonciation d’Antonio da Messina se trouve ici. Le tableau est sobre, délicat, symbolique. La Vierge élève une main qui s’effraie tandis que l’autre accepte. Elle a le visage en ovale, le voile bleu et la lumière qui vient de l’arrière, comme probablement l’archange annonciateur. Il n’est pas représenté, ce qui est nouveau dans l’art, pour mettre l’accent avant tout sur la jeune fille.

Trois saints d’Antonio da Messina sont aussi exposés, saint Augustin, saint Grégoire et saint Jérôme.

La Madonne au Bambin et trois anges est de Jean Gossaert, de Maubeuge, fin XVe. Il présente toute la progéniture de putti dodus et roses à demi déshabillés, de la maternité triomphante. Tous chantent de joie et à la gloire de l’Enfant.

Sur le Corso Umberto, le long de la mer, la jeunesse fait du vélo, du foot, du cricket, des abdos, elle court. Tous exercent leur corps sur la pelouse face aux vagues, comme un lointain écho à la palestre athénienne. Les corps, dans le sud, sont assez libres, plus que dans les pays contaminés par la pruderie anglo-saxonne. Il n’est pas rare de voir des lycéens en débardeur sortant du lycée, des filles au ventre nu ou portant leur chemise nouée sans soutien-gorge.

Pour nos deux dernières nuits, nous revenons au même hôtel qu’à l’aller, le Principe di Villafranca, où l’on nous redonne d’ailleurs exactement les mêmes chambres.

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Jean d’Ormesson, Au revoir et merci

jean d ormesson au revoir et merci
Écrire à 38 ans ses mémoires est un peu présomptueux. Surtout lorsque l’on a presque rien à dire de soi. Après des romans « de jeunesse », ce premier livre de l’âge mûr laisse mitigé : avec le recul et la suite, c’est bien Jean d’Ormesson qui est en germe, mais immature encore, pas vraiment sorti de sa famille ni de son milieu. Il lui faudra des années, de l’imagination et des œuvres.

Car ce qui frappe en ces pages de 1966, est l’emprise des cadres qui enserrent ce pauvre jeune homme : « J’ai vécu toute ma vie entouré de rigueur, des mœurs les plus convenables, d’institutrices, de domestiques – et pas seulement de bonnes, mais de vieux serviteurs au relent féodal –, de châteaux, d’argent et même de l’appareil de l’État, sans parler des pompes de l’Église et de tous les réflexes conditionnés de la plus raffinée des éducations ». p.157. Comment peut-on exister dans cet enchevêtrement de tuteurs ? Comment peut-on se libérer de ce formatage familial et social tout pétri de bonnes intentions ?

C’est pourquoi l’auteur aborde la vie comme elle vient, en attente des événements. Il ne se sent pas libre de choisir et laisse pencher pour lui les circonstances : la première fille baisée la veille de l’agrégation, le saut en parachute, le fonctionnariat international, la découverte de Rome… Mais il a constamment cette qualité précieuse qui est la curiosité d’aller voir : « Quitte à jouer le jeu, je préférais le jouer mieux : il y a rarement avantage à ne pas pousser jusqu’au bout les expériences auxquelles ont se livre de gré ou de force » p.83.

L’amour ne surgit que « page 130 », pirouette l’auteur, pour passer pudiquement sur qui et quand, notant simplement que ce n’est « pas du temps perdu » p.141. L’amour, comme la littérature, remet en question ce qui existe déjà. « Dans le monde un peu uniforme, conformiste, ennuyeux, collectif que nous ont valu ensemble la bourgeoisie et le socialisme, il en est l’aventure solitaire et la secrète mythologie » p.142.

jean d ormesson jeune

Certes, mais tout cela méritait-il un livre ? « Je perdais ma vie à être bêtement heureux » p.93. Les hommes heureux n’ont pas d’histoire… à raconter. Aussi assiste-t-on à une généalogie, à quelques éléments personnels et à des digressions sur l’époque, bien surannées aujourd’hui. Jean d’Ormesson se pose bien souvent en Jean d’Ormeslecteurs sur l’éducation, l’information, le jugement social, l’art, l’argent, Dieu.

Tout cela assaisonné d’une fausse modestie trop affirmée pour être honnête, très catholique au fond, afféterie de milieu social où il est de bon ton de ne jamais « paraître » – tout en n’ambitionnant pas moins. L’abaissement forcé agace, en notre temps d’honnêteté démocratique. « J’ai, hélas ! toujours su que je n’’aurais jamais de génie, pas même de vrai talent, à peine une sorte d’habileté basse et que je méprisais de tout cœur » p.162. N’en jetez plus, Monsieur l’Immortel, auteur de La Gloire de l’empire et de Dieu, sa vie, son œuvre, et ancien directeur du Figaro !

jean d ormesson oeuvres pleiade

L’aspect positif de cette humilité est de rabaisser les importants, aiguisant non sans humour l’esprit critique, si rare chez nos intellectuels : « Devant les pouvoirs généralement formidables qui s’attachent aux importants, aux officiels, aux pontifes de tout poil, et même, selon les lois de la dialectique, à ceux tout récents de l’anticonformisme professionnel érigé à la hauteur des plus estimables institutions, tout ce qu’on peut faire c’est de gueuler, de se moquer, de rire tant que c’est permis et même un peu au-delà » p.127.

D’où un certain cynisme de ton, l’art de la pirouette, l’ironie, une désinvolture insolente à la Montherlant, le tout lié dans une sorte de tourbillon mondain, sur le ton de la conversation qui ne dédaigne pas d’abaisser le français parfois en expressions familières ou raccourcis d’oral.

Je n’ai lu que cette année ce « roman » autobiographique, moins bon que La Gloire de l’empire, lu à 17 ans, dont la langue sèche et l’ampleur classique m’avaient séduit. Mais une forme de sagesse est en germe. Accepter le monde tel qu’il est, le bonheur comme il vient. Carpe diem ! semble être pour Jean d’Ormesson la devise jamais reniée jusqu’au soir de sa vie. L’ombilic est cette église de Rome, San Giovanni a Porta Latina, dont le calme et l’immémorial révèlent combien il est juste et bon de vivre ici et maintenant, loin des chimères.

Jean d’Ormesson, Au revoir et merci, 1966, Gallimard collection blanche 1976, 257 pages, €21.00

Jean d’Ormesson, Œuvres, Gallimard Pléiade 2015, 1662 pages, €55.00

Les livres de Jean d’Ormesson chroniqués sur ce blog

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