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Des kilomètres de steppe mongole

Le lendemain matin nous sommes reposés, prêts pour le long voyage d’approche de la steppe. Nous irons dans trois tout-terrains russes. Ces caisses rondes à la vague calandre de camionnettes Fiat des années 70 où toutes les portes, sauf celle du chauffeur, ne s’ouvrent qu’à droite, se révèleront étonnamment fiables et résistantes sur les terrains variés. L’épaisseur de leur carrosserie, la rusticité de leur moteur à essence facile à réparer sur le terrain, la robustesse de leurs pneus et la dureté de leurs amortisseurs, feront merveille. Seul inconvénient en été, le moteur situé entre les deux sièges avant chauffe un peu trop en régime élevé. Mais ce doit être confortable durant les longs mois de l’hiver russe.

Me saute immédiatement aux narines une odeur familière, ce mélange d’essence ordinaire et d’huile de moteur propre aux chars que j’ai conduits durant mon service militaire, 27 ans auparavant. J’échange mes impressions avec un militaire de carrière, capitaine pilote d’hélicoptère en vacances avec sa femme. Notre chauffeur s’appelle Gana. Il a la carrure et la démarche d’un ours mais les mains légères sur le volant. « Bayartaï », au revoir ! Au départ, la femme du chef d’agence vient nous souhaiter un bon voyage et elle lance du lait sur les voitures. Vieille coutume mongole pour porter chance : « que votre route soit blanche comme ce lait ».

Nous sommes huit par voiture. La première, avec la grande antenne, est celle de « la » chef dont je tairai le nom par charité, nommons-là Biture, vous saurez vite pourquoi. Elle nous a enfin accueilli ce matin mais s’empresse par le choix d’une voiture à elle de s’isoler du groupe avec les cuisinières mongoles et avec son amie Cruella. Avec son chapeau de croquant, sa tête rentrée dans les épaules et ses multiples épaisseurs de pulls divers, on la prendrait pour une harengère égarée dans la steppe. Ce sont les bottes qui changent tout. Même en ville, comme dans les westerns, Biture porte de hautes bottes mongoles en cuir qui tentent de lui donner une allure cavalière. Fatiguée par déjà sept groupes depuis le début de la saison, usée par l’alcool qu’elle avale tout le jour comme de l’eau, son abord est acariâtre et peu avenant. Nous nous habituerons à la voir avec une demi-bouteille « d’eau minérale » d’une main et une cigarette dans l’autre, sous la tente comme à cheval. L’eau est en réalité de l’arkhi redoutable, titrant ses 40° comme la vodka. Elle a trop fréquenté les Mongols durant l’ère soviétique pour ne pas en avoir pris les mœurs rustres et l’autoritarisme prolétaire. Sa paranoïa et sa fermeture d’esprit a quelque chose de stalinien. Nous devrons faire avec.

Nous quittons Oulan Bator et ses faubourgs usineux. Un long train de marchandises s’étire sur la voie qui mène à Pékin, traînant à 40 km/h sa cinquantaine de wagons chargés de minerais. Une suite de silos ressemble à un haut fourneau. Les baraquements et les ordures marquent l’extrême banlieue comme dans tous les pays en développement. Et, comme dans les westerns, le vent déplace des herbes agglutinées en forme de roues le long des rues. Curieusement, comme si des rats les avaient rongés, les poteaux téléphoniques qui s’éloignent de la ville sont montés sur des piliers de béton enfoncés dans le sol. Nous sommes neuf dans la voiture, en comptant le chauffeur, et plusieurs à nous poser la même question sans apporter de réponse satisfaisante. Est-ce contre le dégel du printemps ? Contre les rongeurs ou les termites ?

La route que nous empruntons est garnie de trous et nids de poule entre lesquels les chauffeurs slaloment sans arrêt. A un moment, elle s’interrompt carrément, devenant « en construction ». Il faut alors passer par les pistes tracées comme des arabesques de poussière sur l’herbe rase de la steppe, de part et d’autre du ruban asphalté. Les stations d’essence et autres restoroutes qui jalonnent la voie sont bâties de bois. Il y a même quelques yourtes traditionnelles. Tout ceci est du provisoire, protoville fantôme comme au Far-West. Nous demandons à Gana de nous passer l’une des cassettes audio qui trônent sur son tableau de bord. Ce sont des chants mongols pas encore revus selon la manie du synthétiseur. Mais le son est un peu fort pour mes oreilles.  Ils sont emplis de cette nostalgie propre aux steppes et aux espaces infinis, tout en étant « politiquement corrects », emplis de cet optimisme de commande à l’époque soviétique.

Les chauffeurs effectuent de nombreux arrêts pour n’importe quoi, moteur qui chauffe ou chameaux de Bactriane autour d’une mare. Nous en profitons pour nous dégourdir les jambes mais nous n’avançons pas. De la steppe s’élèvent de délicates odeurs d’armoise, comme au désert. Le pays s’étend sur 1,6 millions de km², trois fois la France. Ses hauts plateaux coincés entre Chine et Russie ont une altitude moyenne de 1580 m. La police nous arrête à un moment pour vérifier les papiers des chauffeurs mais aussi pour prévenir que le prochain village ayant son bétail atteint de fièvre aphteuse, il nous est interdit d’y effectuer un quelconque arrêt. Après le village pesteux, la police nous arrête à nouveau pour faire rouler les véhicules sur un tapis imbibé de désinfectant. On ne rigole pas avec le bétail dans un pays d’éleveurs.

Le déjeuner à lieu fort tard, vers 16 h, dans un restau-yourtes à touristes, aux deux-tiers du chemin vers Karakorum. Il a pour nom Khögno Khan. Le menu ne variera désormais plus guère : à chaque repas nous seront servis une salade de chou et carottes râpés, un ragoût de mouton (ici, exceptionnellement, du bœuf) accompagné de riz et une barre chocolatée russe pour dessert (où entre vraiment très peu de vrai chocolat). La bière mongole a le même degré d’alcool que partout ailleurs mais peu de saveur. Elle n’est pas très chère hors d’Oulan Bator, coûtant autour de 2000 tugriks, soit 2 dollars.

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