Incassable de M. Night Shyamalan

Un film bizarre d’un réalisateur décalé sur une Amérique hors des normes. A une extrémité, l’homme blanc musculeux, invincible, qui ne peut être blessé et n’a jamais été malade ; à l’autre extrémité, l’homme noir chétif, atteint de la maladie des os de cristal et qui est la plupart du temps en chaise roulante. L’écart absolu entre noir et blanc, le mal et le bien. Par haine du destin, le Noir cherche son alter ego à l’autre bout d’une évolution dont il est la victime – cassé, il veut trouver l’incassable. Par instinct du bien, le Blanc cherche à protéger les autres sans le vouloir, simplement parce qu’il est bâti ainsi – immunisé, il veut se croire fragile comme les autres.

Tout commence dans le bruit et la fureur d’une catastrophe ferroviaire. Cent-vingt morts dans le déraillement du train New York-Philadelphie, à quelques kilomètres de sa destination – un seul survivant, David Dunn (Bruce Willis), banal surveillant à la sécurité du stade de la ville. Il est indemne, pas même une égratignure. Certes, les trains des compagnies privées des États-Unis ne sont pas toujours contrôlés, révisés et entretenus comme il se doit, mais on apprendra vers la fin que le hasard n’y était pour rien. Ce n’était pas la première catastrophe des dernières années : un Boeing qui s’écrase, un paquebot qui coule…

David s’interroge, à la fois poussé par son fils qui l’admire et se demande s’il est pareil, aussi invincible comme un super-héros de comics, et par une énigmatique carte d’invitation d’une galerie d’art qui lui demande s’il a jamais été malade. Au fait, l’a-t-il un jour été ? Il ne s’en souvient pas, son épouse Audrey (Robin Wright) non plus. Oui, mais ils ont eu un accident de voiture étant étudiants, un tonneau. Lui a été éjecté de la voiture et a sorti celle qui allait devenir sa femme. Mais a-t-il été blessé ? Probablement, encore que ce ne soit pas sûr.

Le patron de la galerie d’art, spécialisée dans les dessins originaux de comics, est Elijah Price (Samuel L. Jackson), né avec la maladie génétique des os de verre (en termes techniques, une ostéogenèse imparfaite de type I). Souvent à l’hôpital durant son enfance pour des fractures répétées, solitaire parce qu’il ne pouvait jouer avec les autres, il est devenu misanthrope par force et sa mère lui a acheté des comics, dont il est dit au début qu’ils représentent un talent de l’Amérique. Price se dit que, s’il existe d’aussi débiles que lui nés sur la terre, il doit exister aussi l’autre extrême, le super-mâle au squelette d’acier. Intoxiqué par son imagination, il veut le trouver dans la réalité. Ce pourquoi il collectionne les récits de catastrophes dans les journaux avant de tomber sur la perle : un seul survivant dans une apocalypse de ferraille.

Elijah l’anti-Goliath rencontre David l’anti-adolescent (les références bibliques, même inconscientes, ne cessent d’irriguer la mentalité américaine). Il s’aperçoit que l’agent de sécurité est capable de percevoir le mal chez ceux qu’il croise, comme cet homme en chemise flottante qui pourrait bien cacher « un pistolet argent à crosse noire » (c’est très précis). Il demande alors à son collègue de fouiller chacun avant qu’il n’entre sur la stade… et l’homme en chemise quitte la file. En le suivant, Elijah tombe dans les escaliers du métro et se casse littéralement en morceaux, mais a le temps de voir les dessous de l’homme – et le gros pistolet effectivement argent à crosse noire.

Intrigué, David teste ses muscles devant son fils aux haltères. Le gamin charge les poids ; c’est trop lourd, le père demande d’en enlever. Le gamin en rajoute au contraire, et David soulève toujours. Il se rend compte ainsi qu’il est plus puissant qu’il ne le croyait. Au point que le fils est persuadé que son père est l’un de ces super-héros des comics. Il tente même de lui tirer dessus avec un revolver dans la cuisine… avant d’obéir quand même par respect filial quand son père le somme de poser cette arme sous peine de disparaître de sa vie. C’est que son couple ne va plus très fort, passage en creux habituel après une douzaine d’années de mariage et un seul enfant. Joseph (Spencer Treat Clark, 12 ans au tournage), teste à l’école sa propre force en se battant avec un copain qui le défie – il est flanqué par terre. La surveillante convoque non pas la mère comme d’habitude mais le père, comme demandé par le fils, et se rend compte qu’elle le connaît : elle l’a vu quasi se noyer jadis dans la piscine où des copains l’avaient poussé. Il est bien resté cinq minutes sous l’eau, mais est ressorti indemne. Cela, elle s’en souvient.

Elijah, placé dans le service de l’épouse de David, la fait parler. Dans l’accident de voiture, son futur mari n’a pas été blessé mais a peut-être provoqué l’accident lui-même pour écourter sa carrière de footeux pro et épouser la belle (le football américain est l’école d’une particulière violence). Au téléphone, David le reconnaît. Elijah lui demande alors de se tester en utilisant sa sensibilité particulière pour trouver un ennemi de l’humanité, dans un lieu où il y a du monde. En gare de Philadelphie, David repère un agent d’entretien en combinaison orange (la même que celle des prisonniers…).

Il le suit et le voit entrer le soir dans une maison d’un quartier bourgeois où il tue le père et la mère et attache les deux enfants dans la salle de bain. Silencieux, en cape de pluie intégrale car il a une phobie de l’eau depuis son enfance, David libère les kids (un garçon et une fille, comme il se doit dans la famille yankee). Le criminel, qui le découvre, le projette dans la piscine, où la bâche de protection s’écroule sous son poids. Mais les deux enfants déjà grands lui tendent une perche et il sort pour étrangler l’assassin d’une clé au cou. Le lendemain, David montre en cachette à Joseph l’article du journal qui relate « le sauvetage de deux enfants par un héros », un dessin le représentant en grande silhouette sous cape, ce que les kids ont retenu de leur sauveur. Il ne faut pas que son épouse le sache, elle en serait déstabilisée.

David va donc retrouver Elijah qui patronne une exposition de sa galerie et, lors du serrement de mains, il a un flash : Elijah est le Mal incarné, le Méchant des comics, un gibier d’hôpital psychiatrique. Voulant à toute force confirmer sa théorie des deux bouts de la chaîne, il a provoqué des catastrophes pour découvrir LE personnage qui est son inverse absolu. Il est dit en bandeau que David le dénonce pour qu’il finisse interné.

Au fond, Superman n’est-il pas un homme ordinaire qui fait bien son boulot ? Et le Méchant un être handicapé d’une tare qui se venge de l’humanité ? Le Bien et le Mal sont facile à distinguer chez les Yankees. De la Bible aux comics, ils sont clairement révélés.

Mais ici avec plus de psychologie que d’action, les tourments de tous les personnages étant au premier plan, y compris les seconds rôles comme la passagère du train avant le déraillement ou la surveillante de collège qui se souvient. Un bémol quand même : on ne rigole pas dans ce film. Le comics est trop sérieux pour qu’on s’en moque – autre trait typique de la culture trop jeune yankee.

DVD Incassable (Unbreakable), M. Night Shyamalan, avec Bruce Willis, Samuel L. Jackson, Robin Wright, Charlayne Woodard, Spencer Treat Clark, Touchstone Home Video 2001, 1h42, 17,84, Blu-ray€14,99

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