Accords et désaccords de Woody Allen

Une histoire légère, un héros superficiel, mais le charme Woody Allen. Au début on s’ennuie. Comment accrocher aux années 1930 et à ce jazzman inventé, Emmet Ray (Sean Penn avec une très fine moustache qui ne lui va pas), soi-disant « le deuxième meilleur guitariste de jazz au monde » (à l’exception du gitan Django Reinhardt) ? D’ailleurs, Emmet pleure quand il l’écoute, s’évanouit quand il le voit. Un mec ailleurs, pire qu’ado attardé, inadapté au monde tel qu’il est. « Je suis un artiste » est sa perpétuelle excuse pour éviter les relations sociales. Il baise et plaque les filles, il fait faux bond à ses patrons de club, il écorne ses contrats en arrivant bourré, il ne cesse de dépenser sans compter. Il part et ne cesse de partir, fuyant on ne sait quoi, probablement lui-même.

Ses loisirs ? Boire du bourbon, jouer au billard, tirer au revolver .45 nickelé sur les rats dans une décharge, et regarder passer les trains. Quand il drague les filles, car il en a sexuellement besoin, il tombe sur n’importe qui : une grande jument vulgaire en robe verte, une écrivaine assez vaine qui le pressure pour en faire un livre (Uma Thurman), la muette Hattie (Samantha Morton) qui baise tout de suite, à son grand étonnement, mais avec laquelle il aura le plus de conversation. Car il parle, il ne fait que parler, sans jamais s’engager. Il restera avec elle longtemps car elle ne le contredit jamais, mais la quittera subrepticement en laissant 500 $ sur la table de nuit. Seule l’écrivaine Blanche lui met le grappin dessus en se mariant avec lui, mais il la délaisse, dépense tout, et elle finit par le tromper avec son garde du corps Al Torrio (Anthony LaPaglia). La fin du mariage est sujette à caution car il faut préciser que le film est monté comme une histoire que raconte Woody Allen lui-même, avec divers spécialistes, comme s’il s’agissait d’un biopic de star : journalistes de jazz, témoins des protagonistes, historiens spécialistes,.

Emmet est pathétique, grossier, sauf à la guitare dont il tire des sons parfois romantiques, parfois endiablés. Pour apprécier le film, mieux vaut aimer le jazz, une musique qui fut moderne il y a un siècle. Il n’aime la compagnie des femmes que pour leur corps, restant misogyne égoïste comme un gamin de 12 ans, voire les mettant sur le trottoir pour se faire un peu de thune. Il est vantard (« j’ai baisé pour la première fois à 7 ans »), pulsionnel (il « veut » cette voiture, il l’aura), kleptomane pour compenser un manque – car il n’a plus de famille. Lorsqu’il cherchera à retrouver Hattie, blanchisseuse au casino où il a joué avec son quartet lorsqu’il l’a rencontrée, elle a un enfant (sans doute de lui) mais s’est mariée. Emmet ne fera jamais famille. Il se met dans des situations invraisemblables : voulant fuir la scène où un blagueur lui dit que Django Reinhart est dans la salle, il saute d’un toit, perfore un plafond, tombe sur une masse de faux billets… qu’il empoche pour se payer « sa » voiture désirée comme une sucette.

Cette histoire peu accrocheuse avec un personnage central peu sympathique avec son air de faux-cul perpétuel donné par la moustache étirée, se lit cependant à plusieurs niveaux. Si l’on se laisse prendre peu à peu par le charme Woody Allen, c’est que le film est construit. Les scènes se répondent de façon symétrique, et le comique de répétition insiste sur le message. Telle est probablement la meilleure façon de décrire la névrose, le côté décalé, la vie dans l’illusion consolatrice – mais tragique. Emmet Ray disparaîtra un jour après avoir cassé sa guitare, la pute qu’il a emmené regarder les trains qui passe n’aimant pas le jazz ; nul ne l’a jamais revu. Il ne laisse que quelques disques cultes édités par RCA Victor, participant au mythe de l’Artiste météore, évidemment incompris.

Une précision encore : Emmet Ray n’existe pas, le guitariste du film est Howard Alden.

DVD Accords et désaccords (Sweet and Lowdown), Woody Allen, 1999, avec Anthony LaPaglia, Brian Markinson, Samantha Morton, Sean Penn, Uma Thurman, Metropolitan Video 2016, 1h35, anglais, français, €19,99

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