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Assouan

À Assouan, nous prenons encore un taxi pour deux heures de route jusqu’à notre port d’embarquement, au sud des deux barrages. Il s’agit cette fois d’un beau Toyota climatisé et confortable, du même genre que celui qui nous a conduit de l’aéroport à l’hôtel hier soir. Je constate avec plaisir le nombre élevé de Peugeot 504 plus ou moins neuves qui roulent dans les rues – ce fut ma première voiture. Le modèle a été produit au Nigeria jusqu’en 2005. La conduite est lente dans la ville car d’innombrables piétons, des véhicules divers, et des chauffeurs imprévisibles ne cessent d’aller et venir dans tous les sens, sans aucun respect pour la signalisation, ni les bandes continues, ni les feux rouges. Des ralentisseurs en plastique traversent la chaussée, ils sont minces mais très efficaces. Avant de les aborder, tous les chauffeurs mettent en route leurs warnings pour prévenir du ralentissement jusqu’à presque l’arrêt, afin de les passer sans heurt.

Les deux barrages hydroélectriques sont à péage, celui des Anglais en 1902 et celui de Nasser en 1970. Le premier a été établi sur 2.5 km et 54 m de haut sur la sixième cataracte pour arroser les champs de coton devant être exporté au Royaume-Uni. Le second est la gloire de Gamal Abdel Nasser, le raïs socialiste panarabe égyptien, 3.6 km de long et 111 m de haut ; sa construction titanesque a duré dix ans et vise à produire de l’électricité pour la population de plus en plus nombreuse, et à réguler les inondations du Nil qui coule depuis ses deux sources sur 6650 km jusqu’à la mer. Il forme le lac Nasser, long de 500 km et large de 16 km, qui occupe 6216 km² d’eau, dont une partie au Soudan (où il s’appelle lac de Nubie). La police est partout, car ces ouvrages sont considérés comme stratégiques pour le pays. Un policier va d’ailleurs nous accompagner durant tout le séjour ; il porte sa vieille Kalachnikov dont le bout du canon est cassé. Nous ne le verrons quasiment pas, il ne viendra pas randonner avec nous comme, paraît-il, les précédents mais restera flemmarder sur le bateau, en vacances.

Suit une route droite dans le désert, rochers gris et sable jaune d’œuf qui ressemble à celui du Tassili. Avant et après le barrage, le paysage reste une étroite bande verte et cultivée de part et d’autre du Nil. De nombreux camions et pick-ups empruntent la route, des bulldozers sont stationnés pour des travaux incongrus sur nulle part. Le chauffeur parvient à rouler à 120 et même 130 km/h. Il met souvent son clignotant en message énigmatique aux non-initiés de la route égyptienne. Est-ce pour dire qu’il se déporte pour éviter le sable qui a envahi le bord de la route ? Ou simplement pour signaler un véhicule au loin à ceux qui voudraient le doubler ? Il le met parfois sans raison compréhensible. Les véhicules en face lui font des appels de phares, de façon tout aussi énigmatique car aucun flic n’est à l’horizon.

Nous arrivons à Garf Hussein, un hameau de pêche où est amarré un grand bateau blanc moderne, tout au bout de la route qui s’arrête ici. Sa passerelle est minimaliste, pour jeunes et agiles, avec des planches clouées en marches inégales. Heureusement que la pente n’est pas trop forte pour notre équilibre précaire après autant d’heures de transport. Le cuisinier du bateau nous accueille avec un karkadé froid de bienvenue, c’est une infusion de fleurs d’hibiscus de la couleur et de la consistance qu’aiment tant les vampires. La plante ferait baisser la tension et traiterait les intoxications alimentaires, dit-on – tout les maux des touristes en Égypte.

Nous avons chacun une cabine car nous sommes très peu nombreux, ce qui me permet d’étaler mes affaires sur le lit d’en face, tout comme Prof ; le couple a droit à une cabine double avec un grand lit matrimonial. Les lits sont perpendiculaires à l’axe du bateau mais celui-ci ne sera jamais en route lorsque nous dormirons. Le lac Nasser est calme le soleil grand. Pleut-il un jour par an ici ? Il faut croire que non, selon les statistiques, seulement quelque chose comme 3 mm par an… avant le réchauffement climatique !

Malgré un en-cas fourré de foul (purée de fèves), puis un autre de falafels (boulettes de purée de pois chiche aux herbes et épices), acheté en voiture ce matin par Mo, nous avons un déjeuner de poisson du lac frit, de riz, de purée de graines de sésame, de crudités et de melon jaune coupé en morceaux. Nous prenons le thé, le café, des infusions sur le pont supérieur, à l’abri du toit où des panneaux solaires accumulent l’électricité pour la nuit. Le capitaine est tout fier de nous vanter ses panneaux solaires qui font écologique, la grande mode des touristes de notre époque. Ce n’était pas le cas il y a vingt ans. Le paysage que nous côtoyons est désertique, minéral, fait de roches brutes et de langues de sable.

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Philae

Le soleil est déjà là, ce matin, quand l’un de nous soulève un pan de la bâche. Nous rangeons tous les sacs et passons sur le bateau-restaurant. Adj paraît tout fringant au petit-déjeuner, la nuit a du être bonne. Royal de jeunesse, il est l’Enak de Dji, en référence à ce jeune compagnon de toutes les aventures d’Alix, héros romain de bande dessinée. Dji ne semble pas connaître Alix.

Une fois le fromage pris, avec de la confiture de figue et de la galette sans levain, nous découvrons qu’une corde s’est enroulée dans l’hélice. Nous sommes enfin obligés de partir à la voile sur une felouque ! Adieu, bruit honni du moteur. Les coussins de la barque sont assez larges pour nous contenir tous. Le felouquier qui a plongé pour tenter de dégager l’hélice grelotte de froid et Adj se met à la barre, grosse comme un tronc. L’atterrissage est à la braque, tout cogne et frotte ; heureusement que la coque est en métal !

philae temples

Nous débarquons à Assouan où un minibus nous conduira à l’embarcadère pour Philae. C’est à Assouan que François Mitterrand fit son dernier voyage, du 24 au 29 décembre 1995, avec Anne et Mazarine Pingeot plus quelques amis. « Comme chaque année, ou presque, il passe les fêtes de Noël en Égypte », selon son biographe, Jean Lacouture. Il s’est installé dans le vieil hôtel Old Cataract, ainsi qu’à son habitude. Jean Lacouture de préciser : « mais en ce séjour ultime à Assouan, il ne faut point trop chercher le déchiffrement du Livre des Morts. La recherche d’une beauté, oui, d’une lumière chaude, d’une envoûtante fête de ce monde qu’il va falloir laisser. » Qui sait ? Le biographe ne fait que reconstituer, il n’était pas dans son âme ces cinq jours-là.

philae souk

Pierre Loti, en 1907, trouvait la ville agréable, non sans humour ni understatement ! « Le soir, après la nuit tombée, les voyageurs de véritable « respectability » ne quittent pas les brillants « dining saloons » des hôtels, et le quai se retrouve plus solitaire sous les étoiles. C’est à ce moment que l’on peut apprécier combien sont devenus hospitaliers certains indigènes : si, dans un moment de mélancolie, on se promène seul au bord du Nil en fumant sa cigarette, on est toujours accosté par quelques-uns d’entre eux qui, se méprenant sur la cause de ce vague à l’âme, s’empressent à vous offrir avec une touchante ingénuité, de vous présenter aux jeunes personnes les plus gaies du pays. »

philae temple

Philae. Elle est l’île de la frontière, entre Égypte et Nubie. Là commence l’Afrique noire. Le temple d’Isis se dresse au-dessus de l’eau. Mis en chantier par les derniers pharaons de la XXXème dynastie, il a été terminé par les Romains !

philae colonnes du temple

Il a été déplacé avec l’aide de l’UNESCO en raison du second barrage, entre 1972 et 1980. Le premier barrage, construit du temps des Anglais en 1913 l’avait à demi noyé sous les eaux six mois par ans et on le visitait alors en barque. Le passé, à cette époque, ne valait que grec et romain. Et l’on ne considérait que « l’art » – prononcer l’Hhââârr, comme Flaubert se moquant du snobisme bourgeois. L’art, c’est-à-dire exclusivement les statues. Les monuments eux-mêmes pouvaient bien servir de carrière. Mais le temple a retrouvé, sinon sa place originelle, du moins sa situation antique au-dessus des eaux. Pour les Égyptiens, toute vie est sortie de l’eau.

philae architraves

Chaque matin les prêtres étaient chargés de réveiller Isis dans son sanctuaire ; à midi ils faisaient banquet ; et le soir, ils réenroulaient Isis dans ses bandelettes. Elle mourait pour renaître le lendemain. Le guide que nous avons est cette fois intéressant et, dans la foule qui se presse plus ici qu’ailleurs, il est bon de l’écouter de temps à autre. Toutes les langues se parlent autour de nous. Les gens sont fascinés par la mort et la résurrection en ce temple enseveli sous les eaux et resurgi pour être remonté. Ici, tout meurt et tout revient, comme Osiris, grâce à la puissance de l’amour et des larmes. Pierre blonde, ciel, bleu, grand soleil – le site m’apparaît plus mystique que les temples grecs. Le mythe de la résurrection suscite plus d’émotion que de raison. Il est mieux adapté aux foules sentimentales d’aujourd’hui. Vu du lac, avec ce beau temps, le temple est un joyau.

philae colonnes

Nous revenons en ville pour aller au souk. Ce marché local est pittoresque mais sans grand intérêt commercial pour ceux qui veulent investir dans un tee-shirt ou un cadeau à rapporter. Le choix est bien plus grand sur les sites touristiques, devant l’embarcadère du temple ce matin, par exemple. Seuls les grands châles, peut-être. Mais on trouve des galabiehs brodées « Egypt » en globish, des robes en lamé aussi transparentes que des cottes de maille, aux rondelles dorées brinquebalantes.

assouan souk

Les jeunes vendeurs vous abordent, vous sollicitent, vous interpellent, mais ils sont moins collants qu’ailleurs. Des femmes tout en noir font leurs courses, foulard sur la tête (je vous dis qu’il est pour se protéger de la poussière !). Elles rapportent de pleins sacs plastiques emplis de tomates bien rouges, de pommes de terre ou de courgettes.

assouan souk legumes

Un petit gavroche à casquette de jean me prend le poignet pour me traîner amicalement vers sa boutique de narguilés, mais je résiste en riant. Ces enfants sont gentils et l’on s’en sort par l’humour. Nous sommes dans le sud et la chaleur monte malgré le vent qui, aujourd’hui, s’est levé. Trois jeunes garçons montés dans une charrette à vélo manquent de heurter Dji et commentent le forfait avec un grand sourire. Ils sont si beaux avec leurs dents blanches dans leurs frais visages basanés qu’il leur pardonne immédiatement.

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