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Christian Ehrhart, Les chroniques d’Injambakkam – Parcours d’un résilient

christian ehrhart les chroniques d injambakkam

Le titre est peu compréhensible mais c’est normal, il est tamoul, du nom d’une banlieue en bord de mer de Chennai au Tamil-Nadu, où l’auteur vit depuis quelque temps.

Le livre est peu classable mais c’est normal, il est la transcription d’un blog, celui d’un résilient du cancer, Christian dit Grancric. Musicien autodidacte, il est passé par toutes les drogues, les picoles et les sports des années post-68, marié et trois enfants (dont il ne parle quasiment jamais), ingénieur de formation avant d’attraper le crabe.

« Ne pas se plaindre de son sort, l’accepter, a-t-on le choix, et continuer à marcher, ‘keep on walking’ comme disait le Mahatma Johnny Walker » p.293. L’auteur n’a pas toujours autant d’humour, il fait nombre de fautes d’orthographe (les accords !…), sa syntaxe est plus parlée qu’écrite, il emprunte nombre de tics d’époque comme l’agaçant « ou pas » après chaque tentative d’affirmation de n’importe quoi, des ‘sic’ un peu partout et ces fameux trois points d’exclamation qui sont l’inverse même de la pensée, un hurlement d’écrit qui ne donne aucun argument. Mais l’écriture blog n’est pas l’écriture livre, cela le prouve.

Un blog est une tranche de vie faite pour être lue à mesure ; elle donne envie de vivre et là est sa valeur. Rassemblée en volume, elle est un témoignage – mais qui ne devrait pas aller sans notes de bas de page, tant l’actualité brûlante est vite oubliée. Qui se souvient du « petit timonier » puisque son successeur bisounours est plus insignifiant et plus inefficace ? Qui se souvient de la Marine nationale et de ses légions de blonds-blanc-bourges puisque « la démocratie » (boudée par les électeurs de gauche et les jeunes) lui a offert 25% des voix exprimées aux dernières élections – faute que les zélites agissent pour le peuple comme elles devraient ? Râler en blog, à longueur de jours, est défoulant – mais ne fait pas avancer d’un pouce la politique, ni même la réflexion. Or un livre est fait pour durer, pas pour consommer de l’immédiat.

Les meilleures pages de ce recueil sont sur l’expérience intime de la maladie, quelques réflexions un peu à froid sur l’argumentation à opposer aux braillards dans les rues, la description imagée de l’Inde du sud. En revanche, je suis resté dubitatif sur les curieux calculs de démographie à l’envers et sur les généralités emplies de préjugés sur les scouts. Écrire vite, à l’emporte pièce, c’est du blog, pas du livre.

christian ehrhart« Lutter pour survivre, ça me connait, il faut avoir une bonne condition physique, un moral de triple marathonien, de seconde ligne suffit visiblement aussi, et être bien accompagné » p.252. Voilà qui est bien dit, émouvant. Mais comment s’appelle l’épouse, « IE » ou Caroline ? Que fait-elle dans la vie en-dehors d’assister l’auteur ? Qui sont les enfants, quel sont leurs noms, que deviennent-ils dans la débâcle familiale, nationale et morale (à en croire celui qui l’écrit) ? Que pensent-ils du blog de papa, de la politique et du monde ? Pourquoi cet exil brusque à Chennai ? On ne sait pas ; par empathie (puisque tel semble être le but de la publication), le lecteur de 330 pages aimerait connaître le contexte un peu mieux.

Me gêne la contradiction entre l’appel aux lecteurs pour partager une expérience éprouvante, celle de la lutte avec la mort – ce qui est le meilleur du texte – et la fausse pudeur qui consiste à cacher tout ce qui est personnel (lieu de vie, épouse, enfants, famille, amis). Si l’on veut « protéger » ses proches (pourtant adultes), il faut prendre un pseudo ou transposer le tout dans un roman. Vouloir livrer un témoignage exige des éléments concrets pour l’empathie, c’est la seule façon d’être cru, accompagné, aimé.

Ce livre est un blog imprimé, écrit au fil de l’eau, ce qui n’est pas si mal mais frustrant. Un bon blog peut-il faire un bon livre ? A mon avis de blogueur praticien sur dix ans, pour passer à l’édition en livre, les chroniques de blog devraient être réorganisées, soigneusement relues, et complétées. Ce qu’on appelle « le travail », mot mal vu des ex-soixantuitards, voire tabou pour les ennemis de « l’exploitation ». Mais alors pourquoi publier ? Un livre devrait être moins zapping et plus réfléchi, moins superficiel et plus profond, moins mélange des genres entre témoignage personnel et message universel.

Mais ce cri à vif, s’il est à lire, l’est d’urgence : l’actualité, rapidement effleurée par la pensée de l’auteur, n’est déjà plus au présent – qui va s’en souvenir l’an prochain ?

Christian Ehrhart, Les chroniques d’Injambakkam – Parcours d’un résilient, 2014, Bloggingbooks, 331 pages, €46.15

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