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Descente vertigineuse vers Pissac

Le chemin muletier plonge brutalement vers la rivière par une faille dans la falaise rocheuse. Il est pierreux et poussiéreux, souvent glissant. Il serpente en courts zigzags que les mules ont parfois bien du mal à négocier. Leur chargement se prend à un arbuste et les déséquilibre. L’une d’elle est tombée sur le dos en faisant valser les bagages ; elle a du mal à se relever. Les muletiers ne font pas de sentiment : allez ! debout ! et ils remettent la bête sur le chemin à grands coups de bâtons. Mais ils ne lui rechargent pas les bagages tombés sur le dos, ils les répartissent sur les autres mules. Du haut, la descente apparaît vraiment « vertigineuse ». On aperçoit tout en bas l’Urubamba scintillant au soleil. Levant les yeux, je ne vois déjà plus le centre inca, caché dans par ressaut de la montagne. Les Incas étaient des militaires compétents qui savaient camoufler leurs établissements dans la nature. A la montée, on ne le voit qu’au dernier moment.

La ville de Lamay s’étend à nos pieds, de plus en plus proche. On entend le vrombissement des motos qui passent sur la route et le grondement des camions qui travaillent sur la lagune de sable en exploitation. A flanc de falaise, presque inaccessibles, Choisik nous montre deux trous au loin. Ce sont des tombes incas. Les morts voulaient sortir du monde habité et cultivé, reposer au cœur de la Pachamama, la terre mère, orientés vers le soleil levant, père de toutes choses.

Le restant de la descente est pénible aux pieds ; le chemin glisse, les chaussures serrent, le sol chauffe la plante des pieds, la poussière étouffe, le soleil éblouit. La rivière fraîche, en bas, nous apparaît comme une oasis. Il suffit de passer le pont, ce que nous finissons par faire. Des petits se baignent tout nus tandis que leurs mères lavent leurs vêtements avec le reste du linge. Un bus nous attend sous les eucalyptus pour faire les quelques kilomètres par la route qui nous séparent de notre destination : Pissac.

Nous dépassons la ville pour rejoindre 2 km plus loin l’hôtel Royal Inka. Fleurs, patio, construction très coloniale ; il y a même une piscine que Salomé teste aussitôt. Mais nous devons encore déjeuner, visiter les ruines et parcourir la rue artisanale. La journée est loin d’être finie et le repos du guerrier pas pour tout de suite !

Devant le bar, sous le dôme en plastique qui couvre le patio, sont installés un billard américain, une télévision avec ses fauteuils et une armoire à livres. Elle comprend beaucoup de poches en anglais et quelques livres militaires d’histoire du pays. Rien que du politiquement correct. La cheminée centrale a un foyer métallique en forme de figure inca. Le sol est pavé de galets ronds de rivière. Plusieurs plantes vertes égaient les angles, des fougères en pot tombent des vasques suspendues. Au mur sont accrochées des épées espagnoles et des haches indiennes.

Le repas se compose d’avocat sauce citron vert, de steak très cuit accompagné de grosses frites, de haricots verts et du sempiternel riz, enfin de salade de fruits (banane, papaye, pomme, raisin). Surprise : le café est bon, ce n’est ni ce concentré amer, ni ce jus international que l’on trouve trop souvent.

Un groupe de 15, c’est beaucoup. Quand Choisik donne ses instructions, il y en a toujours un qui parle ou n’écoute pas. Les rendez-vous prennent plus de temps, on attend toujours quelqu’un. En contrepartie, on a plus de chance de trouver des gens avec qui l’on a quelque affinité.

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Viviane Daguet-Lievens, Tour de l’Ardèche avec mon âne et ma mule

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Robert-Louis Stevenson (l’immortel auteur de L’île au trésor) l’avait fait dans les Cévennes avec un âne. La mamie écolo, flanquée de ses animaux qu’elle appelle ses « enfants », a mis trois semaines pour faire le tour de l’Ardèche à 70 ans, en novembre 2011. Elle récrimine contre les supermarchés, les médias négatifs, les quads, les chasseurs, les communes subventionnées par l’Europe pour entretenir et baliser les chemins de pèlerinage – et qui le font mal. Mais elle adore la nature, les levers de soleil, les matinales concertantes des oiseaux, les bolets et les cèpes trouvés au détour du chemin, les panoramas « à 360° » comme elle le répète maintes fois.

« Que du bonheur ! », « merci la vie », « que la montagne est belle »… Ces remarques positives un peu standard ne cessent d’agrémenter le récit concret et imagé de ce périple aventureux. Se nourrir bio, principalement de quinoa, thé vert au miel et châtaignes, est-ce bien raisonnable pour un périple fatiguant ? Si la vie sédentaire exige de manger moins de viande et plus de fruits, légumes et céréales, les vieux coups de fatigue disséminés au fil des pages ne sont-ils pas le contrexemple de cette écologie native des Indiens des plaines américaines ? Eux qui sont encensés par Viviane pour leur sens de la Terre-mère (Pachamama), ne se gobergent-ils pas de viande rouge dès qu’ils le peuvent pour résister à la fatigue, à la pluie et au froid ? En itinérance comme ailleurs, l’intégrisme est mortifère. Les cultures qui ont crevé, dans l’histoire, sont toujours celles qui ont préféré leurs préjugés à l’adaptation au changement de leur environnement

Mamie écolo ne dédaigne cependant point le téléphone mobile, la veste polaire synthétique, le camping-gaz et les gîtes ruraux tout aménagés avec douche bien chaude. Quelle drôle d’idée aussi, de partir pour trois semaines harnachée comme pour l’Himalaya ? Est-il besoin de tous ces bagages lorsqu’on veut voyager léger « sur le chemin de vie » ?

C’est que les bêtes parlent, vous savez, et que le bonnet d’âne est une mémoire annexe, un sac à dos sur pattes, un compagnon facétieux et sûr de son orientation. Nul n’est jamais seul avec son âne et sa mule, amoureux l’un de l’autre, préoccupation de chaque matin et de chaque soir. D’où le barda : les bêtes en prennent autant que l’humain, les petites crèmes cicatrisantes, les licols, les outils de réglage, les couvertures, la nourriture en-cas.

Il est bien sympathique, ce périple, et attachante, cette façon d’écrire au fil des émotions, tour à tour lyrique et déprimée, un beau soleil et des arbres sains succédant à une grosse faiblesse dans un brouillard à neige. On a le temps, à 70 ans, le temps de vivre au rythme naturel, le temps d’observer et d’aimer. Les enfants le savent d’instinct, ceux de rencontre qui viennent tous caresser les bêtes – moins bêtes qu’on veut le faire croire.

Curieux cependant comme est écrit Huguenots page 144, ou Gore-tex page 155 et 184… « Il fait froid, la rosée a recouvert toute la végétation, j’enfile mon cortex, un bonnet » p.155. De quoi rendre plus avisé pour suivre le chemin ? Il est vrai qu’Alexandra David-Neel, autre dame vénérable et voyageuse, avait appris à se protéger du froid uniquement par l’esprit : il suffit de vouloir. Mais enfin : d’autres fautes subsistent, la relecture n’a pas été vigilante.

Viviane habite l’Ardèche, dans le village médiéval de Burzet où – on l’apprend incidemment – se tient un festival de BD sympathique ! Je ne sais si elle a routé après 68, mais elle a accompli en 2008 un chemin de saint Jacques de Burzet à Compostelle, avec son âne Balthazar, en trois mois. « Mamie Rambo », l’appelait un compagnon de rencontre. Car les rencontres sont aussi l’autre voie du chemin. Le randonneur ne se contente jamais de marcher, il avance aussi dans sa tête – et c’est peut-être le meilleur du message que laisse Viviane Daguet-Lievens en ce livre généreux qui donne envie de la suivre.

Viviane Daguet-Lievens, Tour de l’Ardèche avec mon âne et ma mule, 2013, éditions Baudelaire, 202 pages, €16.15

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