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Dambatenne parmi les jardins de thé

La richesse de Ceylan consistait jadis dans la culture du café mais un insecte, l’hemileia vastatrix, parvint à tout ravager en détruisant les feuilles dès l’année 1869. Le caféier a donc été remplacé par le thé à l’initiative des Anglais en 1876. Le climat sur les collines de l’intérieur permet une récolte très fructueuse à Ceylan. Sir Thomas Lipton, né en 1850 et mort en 1931, est écossais. Épicier, il achète des plantations de thé à 180 km de Colombo, dans les collines de Poonagala. Autodidacte, il fait fortune avec ses sachets, encore étiquetés « thé Lipton », mais il s’est plus intéressé à la Coupe de l’America et aux régates de yachting qu’à Ceylan. C’est cependant sous son nom qu’est encore établie la plantation Sherwood, à Haputale. Le domaine est devenu entreprise locale dès l’indépendance, son thé est vendu en gros sous le nom de Larkin.

plantation sherwood haputale sri lanka

Nous débutons la journée par un peu de bus, qui nous conduit jusqu’à l’orée de la plantation. Chose curieuse, il fait beau. Nous montons par la route qui serpente parmi les jardins de thé et les hameaux tamouls sur les pentes des collines. Les seuls endroits plats sont cultivés de légumes et construits de maisons. Il y a un temple hindou en bas, une mosquée plus haut, et encore plus haut une chapelle chrétienne à la Vierge. Comme sur les murs de l’école que nous longeons, toutes les religions du pays sont représentées. La façade scolaire représente aussi un écolier du primaire effectuant les mouvements yoguiques du Salut au soleil.

village tamoul haputale sri lanka

Tous les gens que nous croisons nous lancent des hello ! à quelques exceptions près, musulmanes (pourquoi ai-je envie d’ajouter : « évidemment » ?). Les gamins sont particulièrement avenants, curieux de la modernité et du reste du monde. Ils parlent très peu anglais mais n’hésitent jamais (contrairement aux nôtres…) à utiliser leurs maigres connaissances pour parler. Un treize ans pieds nus, chaîne d’or au cou, me demande d’où je viens ; son copain, plus jeune et plus terreux, ne sait dire que « what’s your name » et « give a pen ». Deux autres, assis sur un muret, nous offrent des goyaves vertes qu’ils viennent de cueillir directement à l’arbre. Les femmes sourient, les petites filles se laissent prendre en photo mais ne parlent pas un mot d’anglais, entre pudeur et ignorance.

13 ans et son copain haputale sri lanka

Les parcelles plantées de théiers sont numérotées. Chaque plaque indique la superficie de l’exploitation, le Ph et la teneur en carbonate du sol, enfin la date de la dernière taille des arbustes. Chaque parcelle correspond à une exposition, donc à une qualité de cru. Selon les résultats sur quatre ou cinq ans, le propriétaire va planter un arbre ou deux de plus pour ombrager ou, au contraire, en couper. Des panneaux indiquent qu’il est interdit sur le domaine de chasser, de sectionner les arbres et de jeter des ordures.

jardin de the plantation sherwood haputale sri lanka

Des maximes politiquement correctes en anglais ponctuent la route à chaque virage, là où l’on doit ralentir pour négocier la courbe. Elles portent sur l’environnement dans un mélange de mystique écolo, de libéralisme anglais et de bouddhisme syncrétique. Par exemple : « le fameux équilibre de la nature est le plus extraordinaire de tous les systèmes cybernétiques. Laissé à lui-même, il est toujours autorégulé ». Ou encore : « Ceux qui espèrent apprivoiser et materner des jeunes animaux sauvages les « aiment ». Mais ceux qui respectent leur nature et espèrent les laisser vivre normalement les aiment plus encore. » Et encore : « Une personne qui écrit la nuit peut éteindre la lampe, mais les mots qu’elle a écrits restent. C’est la même chose avec le destin que nous nous créons dans le monde ».

maxime ecolo plantation sherwood haputale sri lanka

Elles ponctuent la montée au Lipton Seat, point de vue culminant où sir Thomas, dit-on aimait à monter le soir pour contempler son œuvre, sinon la beauté calme du paysage.

lipton seat plantation sherwood haputale sri lanka

Nous y prenons un thé, bien entendu, dans une petite boutique installée tout près. Dommage que le choix des qualités ne soit pas développé et que nous devions boire le thé générique, infusé dans l’eau chauffée au feu de bois qui s’est imprégnée du goût de fumée. Les nuages se sont assez levés pour dissiper la brume sur le paysage au-dessous.

the au lipton seat plantation sherwood haputale sri lanka

Nous redescendons par les escaliers sommaires qui servent à drainer les pluies et à accéder à la cueillette avant de visiter la Dambatenne Tea Factory.

farique de the sherwood haputale sri lanka

Le secret de « fabrication » est si bien gardé qu’il est interdit de prendre aucune photo – l’indépendance rend susceptible et tend à garder jalousement des procédés – acquis du colonisateur.

kids tamouls haputale sri lanka

La fabrique travaille au ralenti le dimanche, mais le contremaître nous montre cependant l’usine, contre paiement de 250 roupies chacun. Il nous explique en anglais le processus qui mène de la feuille au sachet. Après cueillette, le séchage sous de gros ventilateurs d’air chaud, puis le roulage en machine, la fermentation quelques heures pas plus, puis trois coupes successives des feuilles avant tamisage et tri par taille, de la poussière (jetée) aux résidus (jetés au compost) – les tailles intermédiaires réparties par qualité. Il y a le BODF (Broken Orange Pekoe Fine), le BOP (Broken Orange Pekoe), le BP (Broken Pekoe), le BPS (Broken Pekoe Souchong) très grossier de basse qualité, enfin le Broken tea, très médiocre. La fabrique ne produit pas de « tips », ces feuilles en bourgeon encore presque blanches, qui sont du goût le plus subtil. Pekoe signifie en chinois duvet blanc et désigne les jeunes feuilles, encore enroulées. Les grades sont alors le TGBOP (Tippy Golden Broken Orange Pekoe), le GFBOP (Golden Flowery Broken Orange Pekoe), le GBOP (Golden Broken Orange Pekoe), le FBOP (Flowery Broken Orange Pekoe), enfin le BOP1 (Broken Orange Pekoe).

femmes tamoul haputale sri lanka

« Pourquoi Orange ? » Eh bien, il semble que ce soit un hommage rendu par les premiers importateurs de thé hollandais à leur famille royale : les Orange Nassau. Le nom, originaire d’un domaine du Vaucluse, a été porté par les princes des Pays-Bas, notamment Guillaume 1er qui combattit les Espagnols de Philippe II, et Guillaume III, qui devint roi d’Angleterre et d’Écosse sous Louis XIV.

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Moulins de Kerouat

La Bretagne, ce n’est pas seulement la mer, c’est aussi la campagne profonde, isolée, autarcique jusqu’au début du 20ème siècle. Près du gros village de Commana dans les monts d’Arrée, un territoire de 12 hectares a été conservé tel qu’il était dans les années 1850. Il s’agit d’un « écomusée ». Cet établissement conserve les rapports techniques de l’homme avec la nature.

Une rivière détournée, un étang de régulation, et voici un bassin utilisable pour le génie des hommes. Dès le 17ème siècle, une quinzaine de bâtiments sont érigés ici à usage de moulins à farine, de tannerie, de culture d’herbes fourragères, de lavoir, de potager et d’élevage associés à toute habitation humaine avant l’ère moderne. Le tout est restauré, entretenu et exposé avec des explications qui n’ont pas la lourdeur du « pédagogisme » qui sévit trop souvent à l’E.Na (l’éducation nationale quand elle se croit). Ici, tout est simple et direct, ce qui est bien le moins pour des visiteurs dont les arrière-grands-parents étaient, ainsi que 80% des Français, paysans.

J’ai ainsi personnellement connu mon arrière-grand-mère, décédée alors qu’elle abordait presque un siècle révolu. Elle vivait en son grand âge comme elle avait toujours vécu, sur terre battue, tirant l’eau au puits dans la cour, l’électricité n’étant enfin installée que pour les dernières années de sa vie (ah, les vertus de lenteur du Monopole). C’était en une autre région qu’ici, mais les granges de Kerouat sont restées comme dans mon souvenir d’ailleurs.

L’étable et l’écurie n’ont pas changé. La maison à avancée de 1831 (l’époque de Jacquou le Croquant en d’autres lieux) comprend lit clos breton et vaisseliers de bois sombre. L’avancée, qui fait « riche » comme l’étaient nécessairement les meuniers, était l’endroit réservé aux repas, en retrait des lieux de passage. Le sol est dallé car les bovins, contrairement à ce qui était le cas chez mon arrière-grand-mère, ne vivaient pas dans le même bâtiment pour y communiquer leur chaleur. Le saloir en granit, vaste auge chère à saint Nicolas, rappelle que le cochon était un animal déjà fort élevé en Bretagne.

Un judicieux panneau explicatif montre que l’on cultivait volontairement plusieurs essences de bois autour des fermes bretonnes. Chacun était destiné à un usage particulier :

  • le frêne faisait de solides manches d’outils ;
  • l’orme faisait des charpentes, le plancher des charrettes et ses feuilles étaient un régal pour les cochons ;
  • le châtaignier servait de patate à l’automne, d’alimentation porcine l’hiver et son bois était utilisé en menuiserie ;
  • l’épine annonçait le printemps quand elle fleurissait et servait à faire des fagots d’allumage pour le feu comme… à étendre le linge ;
  • le houx permettait de ramoner la cheminée avant de la décorer pour Noël ;
  • l’osier était utile pour faire des liens et tresser des paniers ou des casiers à écrevisses ;
  • de même que le saule, dont le bois chauffait en plus parfaitement la poêle à crêpe, donnant des galettes dorées à souhait et point brûlées ;
  • pommier, cerisier, poirier, laurier servaient aux alcools et à la cuisine ;
  • le camélia blanc fleurissait les mariages et les fêtes religieuses.

On le voit, le « respect » de la nature était surtout un usage intelligent de ce qui poussait « naturellement ». L’homme s’ébattait dans son entour comme un poisson dans l’eau, il l’aménageait imperceptiblement, mais avec l’acquis des millénaires depuis la révolution néolithique. Il « gérait » les alentours de son nid.

Un autre panneau décrit finement les « cercles d’activités » qui s’étendaient, de façon concentriques, autour des fermes.

Le premier cercle, privatif, est celui des bâtiments et dépendances auxquels on accède sans presque se mouiller. C’est le domaine privilégié des petits enfants et de l’activité des mois d’hiver.

Un second cercle est constitué par l’ensemble des parcelles qui délimitent le village avant les champs cultivés. C’est un enchevêtrement de clos, de vergers, de haies, de chemins, d’aires à battre, de puits, de fontaines, de four à pain, de calvaires. Cet espace est semi-privatif et fait l’objet de droits d’usage bien réglementés. Il protégeait aussi le village des vents dominants et permettait à chacun de faire ses besoins sans trop s’éloigner (eh oui, le tout à l’égout n’existait pas !). C’est aussi le domaine des fleurs « sauvages », qui trouvent dans cette protection un terrain propice (pervenches, primevères, pissenlits, pâquerettes…), et le domaine des oiseaux « familiers » qui trouvent toujours du grain à becqueter été comme hiver tout en protégeant du trop d’insectes et de vers (merles, pinsons, rouges-gorges, chardonneret, fauvette, mésanges, pigeons). Parfois étaient installées les ruches. Ce cercle est aussi celui des vieux qui n’aiment pas s’éloigner trop des habitations.

Le troisième cercle est celui des récoltes : champs cultivés, prés au bétail, bois de coupe, taillis, landes. C’était déjà le territoire semi-sauvage, celui où « la main de l’homme mettait à peine le pied », selon l’expression d’un Dupont d’Hergé. Le domaine des adultes et des enfants dès dix ans, laboureurs, bûcherons, bergers.

Voici donc une culture ancrée dans l’histoire et présentée de façon attrayante, double rareté digne d’être observée. Les moulins de Kerouat ne sont plus aujourd’hui habités ni utilisés, il s’agit donc d’un « spectacle » mais, à l’inverse de Disneyland et équivalents, ce lieu n’est pas une reconstitution en chambre ni la mythification d’un âge d’or. Il a la vérité de son passé, il est un beau musée de plein air pour expliquer la campagne aux ignorants des villes. De la culture qui enrichit l’âme – que l’on me pardonnera de préférer à celle, éphémère et m’as-tu-vu, des histrions.

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