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Chow Ching Lie, Le palanquin des larmes

Au début des années soixante-dix a éclot en France un intérêt tout neuf pour la Chine communiste. Il faut y voir surtout les suites de la visite en Chine du président américain Nixon en 1972, qui allait aboutir à la reconnaissance de la République populaire au détriment de Taïwan, « l’autre Chine ». Georges Pompidou, président français, l’a suivi en septembre 1973. Mais il faut y voir aussi chez les intellos les suites du mouvement de mai 68 qui avait fait succomber les étudiants aux sirènes simplistes du Petit livre rouge du président Mao. Le ministre gaulliste Alain Peyrefitte s’est même fendu d’un ouvrage devenu célèbre, Quand la Chine s’éveillera…, tandis que les journalistes de gauche du Nouvel Observateur y cherchent à la même époque une voie nouvelle pour une doctrine « socialiste » qui n’a jamais au fond existé, ne sachant pas se détacher de sa fascination névrotique pour le marxisme.

C’est alors que la pianiste d’origine chinoise Chow Ching Lie qui se fait appeler en Occident Julie, arrivée en France en 1965 pour travailler avec Marguerite Long, est invitée par la télévision en décembre 1973 dans l’émission littéraire Italiques. L’écrivain journaliste Georges Walter la décide à écrire sa biographie. Ou plutôt à la lui dicter. Le livre paraît en 1975, préfacé par Joseph Kessel qui y voit le passage en trois générations du Moyen Âge au XXe siècle. Dans ce livre, écrit-il, « il n’est pas un détail de l’existence quotidienne qui ne nous intéresse, nous charme où nous étonne ».

Née en 1936 dans la Chine féodale pillée par les seigneurs de la guerre et par les étrangers, Chow Ching Lie était de Canton par sa mère et de Shanghai par son père. Mariée à 13 ans, mère à 14 ans, veuve à 26 ans après deux enfants, elle ne doit son salut qu’à la Révolution. En effet, écrit elle, « dans la tradition chinoise, la femme était tenue à trois obéissances principales : envers son père, envers son mari, envers son fils quand celui-ci avait l’âge d’homme – et quatre morales : ne pas faire de dépenses inconsidérées, être travailleuse, ne pas chercher à séduire, être toujours prête à se sacrifier pour les autres » chapitre quatre.

C’est dire combien la condition de la femme, dans cette Chine traditionnelle, était celle d’un objet ou d’un animal domestique, analogue à celle que prône le Coran dans les pays musulmans. La fille était vendue à la famille de son mari qui, dès lors, avait tout pouvoir sur elle. Seul les garçons comptaient, parce qu’ils s’occupaient de leurs parents âgés et de leurs sépultures. Les filles, exilées dans leur belle-famille, n’avaient pas voix au chapitre et se devaient d’obéir. D’où ce « palanquin des larmes » qui emmenait la jeune fille hors de chez ses parents. « À 13 ans, écolière, je suis vendue à l’une des plus riches familles de la Chine, contrainte, à l’âge où l’on ne connaît de l’amour que son nom, d’épouser un inconnu que je n’aime pas et qui n’a rien de ce que j’aime. Je résiste. La cupidité familiale et 10 000 ans d’obéissance sont les plus forts : sur mon image du Prince charmant il ne me reste plus qu’à faire une croix. Peu à peu, les attentions persévérantes d’un homme profondément amoureux me désarment. Je l’accepte comme mari. Les deux enfants qu’il me donne deviennent la raison de ma vie. Ses souffrances me touchent » chapitre 18.

La révolution de Mao Tsé toung a prôné l’égalité entre les hommes et les femmes et interdit les pratiques féodales – malheureusement six mois trop tard pour la jeune fille. Dès lors, elle peut s’inscrire dans une école où elle apprend la musique, car elle a été subjuguée d’entendre une œuvre au piano lorsqu’elle avait 6 ans. La femme peut également travailler « pour le peuple », ce qui permet à Chow Ching Lie d’enseigner en même temps aux élèves plus jeunes, d’obtenir un poste de fonctionnaire, puis de se produire en concert dans la Chine communiste. La Révolution a décidé d’y aller doucement avec les « capitalistes » et les « bourgeois nationalistes », dans une transition, certes rapide, mais sans trop de heurts, jusqu’à ce que les caprices politiques du président Mao ne gâtent la situation.

Ce sont les Cent fleurs en 1957 qui permettent au président, en autorisant les critiques, de faire surgir toutes les oppositions puis de les réprimer sévèrement. C’est ensuite le Grand bon en avant, de 1958 à 1960, qui effondre l’économie en collectivisant l’agriculture et en coupant tous les ponts avec l’étranger pour se suffire à soi-même, engendrant une grande famine. C’est enfin la Révolution culturelle de 1966 à 1976 qui renversera tous les cadres communistes, à la façon de Staline, pour promouvoir des jeunes, inféodés au président, et qui empêchera désormais Chow Ching Lie, devenue en Occident Julie, de revenir en Chine.

Elle a eu l’autorisation de quitter Shanghai pour Hong Kong, où vivent ses beaux-parents qui se meurent, puis de quitter la colonie britannique pour la France, grâce à l’amitié d’une pianiste chinoise qui lui permet d’obtenir un visa puis d’intégrer l’école de Marguerite Long à Paris. Non sans brimades de sa belle-sœur aînée, puis des avances jusqu’au viol de son beau-frère cadet avant le départ. Elle fera venir trois ans plus tard en France ses deux enfants, Paul et Juliette.

Ce récit est palpitant de bout en bout, raconté en phrases simples, sans omettre aucun élément de la vérité. Le relire aujourd’hui est un bonheur, alors que la Chine modernisée, devenue toute-puissante, s’oriente résolument vers le futur, en oubliant trop volontiers la boue d’où elle est péniblement sortie il y a à peine plus d’un demi-siècle.

Un film portant le même nom a été tiré de ce récit par Jacques Dorfmann et sorti en 1988.

Chow Ching Lie, Le palanquin des larmes, 1975, J’ai lu 2020, 448 pages, €8,40, e-book Kindle €9,99

DVD Le palanquin des larmes, Jacques Dorfmann, 1988, avec Yi Qing, Huai-Qing Tu, Jie Chen, Wen Jiang, Yiemang Zhou, G.C.T.H.V., 1h49, €15,00

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