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Alignements de Carnac

Nous quittons l’Hôtel des Alignements pour nous rendre aux alignements réels, à un quart d’heure de marche. Le temps est gris, venteux, frais. À la Maison des Mégalithes, un court film nous explique quand et quoi. Menhirs et dolmens datent du néolithique de -5000 à -2500. Il s’agissait d’une société d’agriculteurs, hiérarchisée comme le prouve la tombe de chef du tumulus Saint-Michel découvert à Carnac sous la chapelle élevée sur la butte artificielle qui a nécessité des milliers d’heures de travaux. Des haches votives en jadéite et des perles de colliers en variscite, matériaux venus des Alpes italiennes et d’Andalousie lui servaient de parures. Ces haches n’étaient pas destinées au travail car trop fragiles et précieusement taillées puis polies ; elles avaient une fonction symbolique de pouvoir, une « magie ».

Avec une jeune conférencière du coin très brune, probablement étudiante, nous visitons les alignements du Ménec, juste en face, de l’autre côté de la route de Kerlescan. Le Ménec est le principal alignement, les autres s’étendant sur environ 4 km jusqu’aux dolmens de Kerlescan, au-delà du cromlech du même nom, que nous ne verrons pas. Se succèdent les alignements de menhirs du Ménec, ceux de Kermario, enfin de Kerlescan. Des passerelles en bois permettent de voir les alignements sur leur pourtour, sans piétiner dedans. La terre en effet se tasse et, comme une gencive les dents, déchausse les menhirs. Seules les visites guidées en groupe sont autorisées. Les guides nous demandent d’ailleurs de marcher sur les ajoncs, plantes invasives qui prennent trop de place.

Les alignements du Ménec, avec leurs 1050 menhirs dressés sur 11 lignes, vont en dégradé des plus hauts menhirs d’environ 4 m de haut aux plus petits de 30 cm, du sud-ouest au nord-est sur 950 m de long et 100 m de large. Ils sont terminés par un cromlech, demi-cercle de 71 menhirs au ras des maisons du hameau du Ménec. Beaucoup ont été détruits, récupérés, retaillés, servant à bâtir l’église et quelques maisons. La roche, la granulite, affleure dans les environs et a été utilisée sur place, dans la meilleure lignée du consommer local qui est le fantasme écolo de notre post-modernité. On l’extrayait en utilisant ses fissures naturelles (diaclases) et en y enfonçant des coins de bois mouillés qui faisaient gonfler la pierre, puis des écarteurs en pierre, jusqu’à l’éclater.

L’intérêt pour ces pierres dressées naît au XIXe siècle dans la lignée du romantisme avec l’Écossais James Miln (né en 1819) et le tout jeune Carnacois de 10 ans, Zacharie Le Rouzic (né en 1864). Il a quitté l’école pour suivre son maître archéologue déjà âgé de 45 ans et sensible à la curiosité du jeune garçon. Zacharie s’est formé tout seul et a pris sa suite, effectuant des fouilles, faisant appel à l’opinion érudite afin de protéger les sites, ce qu’il parviendra à faire en 1928 en les faisant classer Monuments historiques. Il est décédé en 1939. Carnac, sur la liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO, n’a toujours pas obtenu le label.

Les menhirs en granit du coin ont été transportés sur des rondins. Une expérience de juillet 1979 sous la direction de Jean-Pierre Mohen a prouvé que 250 hommes pouvaient tirer 32 tonnes. Cet exploit social était un événement collectif qui soudait la communauté et s’effectuait peut-être avec des cérémonies. Pour leur érection, il fallait creuser dans le sol un calage profond d’une trentaine de centimètres à deux mètres selon la taille du menhir, y installer quelques pierres de retenue, tirer la pierre dans un berceaux de bois sur des rondins posés sur des rails de bois pour éviter au maximum les frottements, dresser le menhir à l’aide d’une chèvre, de leviers et de câbles en chanvre depuis son sommet, enfin de caler la base avec des pierres, de la terre, du sable et des cendres. Les cendres au pied des menhirs ont été datées par le carbone 14 de -3500.

L’étudiante nous énumère les différentes hypothèses sur leurs fonctions.

• La légende de Saint Cornély qui aurait figé l’armée de soldats païens à sa poursuite n’est plus crue par personne.

• L’hypothèse du marquis de Robien en 1755 que les menhirs étaient des stèles de sépulture ne tient pas car aucun os n’a été trouvés à leur pied.

• Le culte druidique de La Tour d’Auvergne en 1805 n’a rien qui l’atteste

• Le culte phallique des pierres « dressées » milieu XIXe est plus un fantasme de mâle en rut ou de femmes en mal d’enfant qu’une hypothèse crédible

• Le culte solaire ou du zodiaque du celtomane Jacques Cambry début XIXe est marqué par le nationalisme mais attesté par rien

• L’observatoire sismographique de Pierre Méreau en 1992 suggère que, placés sur les failles, les menhirs alignés seraient des détecteurs de tremblement de terre. Pourquoi pas ?

• L’idée d’un observatoire astronomique des étoiles et des astres pour calculer les équinoxes et les solstices afin de régler les semailles et les fêtes religieuses reste la plus probable, car des calculs permettent de le vérifier.

• L’hypothèse du passage symbolique vers l’autre monde comme les torii japonais, dernière née en raison de la mode ésotérique, n’est pas incompatible avec l’hypothèse astronomique mais ne permet pas d’être prouvée. Elle est celle de Serge Cassen, directeur de recherche au CNRS. Les espaces entre les pierres seraient des passages, des « seuils ». Il insiste sur la notion de limites posées par les humains dans le paysage : limite entre ce qui vient de la mer et ce qui vient de la terre, entre le monde des morts et celui des vivants. Le mot limite est, là encore, à la mode en notre période de migrations et de « frontières » remises en cause, sans que l’on s’interroge sur son bien-fondé à chaque cas.

• L’attraction populaire, antique pour la spiritualité et le culte funéraire comme contemporaine pour le tourisme et le patrimoine, n’est pas négliger…

Dans le groupe d’à côté, j’observe un kid blond de 7 ans en mini-short et T-shirt sans manches. Il a froid avec le vent et l’immobilité, j’ai moi-même endossé mon coupe-vent. Comme tous les enfants, il rentre ses bras sous son léger vêtement pour enserrer sa poitrine nue. Mamie n’avait rien prévu pour les enfants. D’autres parents n’avaient pas non plus prévu de chaussures, une petite fille était en claquettes dans les ajoncs piquants. À quoi pensent donc les adultes ?

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Teotihuacan 4 pyramide de la lune

Nous suivons, dispersés, la longue piste de l’allée des Morts jusqu’à la pyramide de la Lune. De nombreux vendeurs proposent statuettes, bijoux, poteries, mais surtout ces arcs et ces flèches « indiens » dont les petits garçons raffolent. C’est la grande mode. Déjà, devant les édifices superposés, deux jeunes s’essayaient au tir à l’arc sur l’esplanade poussiéreuse. Au pied de la pyramide du Soleil, une bande de copains plus âgés, garçons et filles, faisaient une compétition amicale avec de tels arcs. La jeunesse de Mexico, venue en visite ici en ce dimanche, frime un peu.

Un autre groupe de 18 ou 20 ans montent et descendent la pyramide torse nu, à l’américaine, comme le font quelques touristes. Mais, dans ce pays de culture latine, macho et assez collet monté, cela est considéré comme une provocation. Les gens les toisent d’un air hostile mais sans remarques désobligeantes. De très rares enfants ont ôté leur tee-shirt, ce qui serait courant en Occident par cette chaleur. Mais les pays latins sont indulgents aux garçonnets.

Guillermo nous expliquera, le lendemain, que « le Mexique est un pays très macho et, en même temps, tolère les homosexuels. Les gays sont très nombreux et s’affichent publiquement, en plus grand nombre et plus ouvertement que dans les pays sud-américains de mœurs plus libérales comme l’Argentine et le Chili. » La raison en serait peut-être à rechercher dans la psychologie. Un père souvent absent parce qu’il se consacre à ses « compadres » – mais tout-puissant – et une mère qui surprotège ses enfants, peuvent conduire le garçon à idéaliser le machisme tout en refoulant son désir d’inceste. Il s’intéresse donc peu aux filles en qui il voit toujours une image maternelle, vénère la Vierge, et place toute son énergie dans les relations masculines pour imiter papa.

Une autre raison en serait la tradition aztèque : société militaire, hiérarchisée, où garçons et filles étaient tôt séparés pour être élevés suivant leurs rôles futurs, les émois de l’adolescence suivaient la même pente que dans les sociétés similaires, à Sparte ou en Perse par exemple.

Gary Jennings dans son roman fleuve Azteca, grand succès de 1980, a décrit en détail, suivant le goût de l’époque, ces combinatoires du sexe entre mâles et femelles, jeunes et vieux. Il s’attarde sur les jeux érotiques des garçons au service des jeunes seigneurs. Gageons que ce livre n’est désormais plus recommandé sur le territoire des Etats-Unis néo-conservateurs, bien qu’il reste en ligne sur Amazon. Chacun fait ce qu’il veut à condition qu’il ne l’affiche pas : telle est l’hypocrisie des sociétés moralistes anglo-saxonnes Le roman est une fresque de la vie quotidienne aztèque dans la veine des feuilletons d’Alexandre Dumas et le lecteur aurait tort de le snober. Comme souvent de la part des auteurs américains, la documentation amassée pour décrire les détails de tous les jours est impressionnante. Voici une belle introduction à l’archéologie pour qui part visiter le Mexique.

La place de la Lune fait 207 m de large pour 135 m dans sa longueur. La pyramide de la Lune ferme l’espace au fond du haut de ses 45,79 m tandis que de courtes pyramides à quatre étages le ferment sur les côtés. La base accordée à la lune est plus étroite que celle du soleil, 140 x 150 m. A l’intérieur, une fosse a été découverte en 2001. Elle contenait un squelette humain. Cela ne fait pas de la pyramide une tombe, il s’agissait plutôt d’une « offrande » accompagnée de figurines humaines en obsidienne et jade, de coquillages et de deux jaguars dont il reste les squelettes.

Une peinture de jaguar, très bien conservée, demeure sous une arcade de l’allée des Morts et un palais des Jaguars, ici représentés non à poil comme les touristes, à plumes, borde la place de la Lune. Faute de temps et d’envie, par cette chaleur beaucoup renoncent à effectuer l’ascension de cette pyramide. Elle est d’ailleurs beaucoup moins fréquentée que la première.

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