Luxembourg, le jardin gelé

Le jardin du Luxembourg, au cœur de Paris, est une métaphore de la France 2012 : le gel.

Ce n’est pas tant le froid polaire qui règne sur la capitale depuis deux semaines, maintenant l’atmosphère sous zéro même en pleine journée, que l’impression que l’on a d’un passé figé, d’une gloire gravée dans la pierre, d’un pays rigidifié dans le souvenir de sa grandeur passée. Sans aucune volonté pour le futur. Ne faut-il pas rire de ces frayeurs autour de zéro degré alors que l’Ukraine connaît des -32°, que le Canada vit chaque hiver sous la glace et que tant d’autres pays ne font pas tout un foin pour quelques plaques de verglas ?

Même la jeunesse reste de marbre, dans la posture du Dépit, musicien adolescent à la lyre inutile. Sans doute qu’il ne trouve pas de boulot, qu’aucune maison de disque ne s’enchante de son français, que le pillage Internet ne lui permet plus de vivre de sa lyre.

Les filles ne sont pas en reste, pâmées dans le bronze au pied de Delacroix, peintre très classique, figé dans la rigueur venue des siècles. La nudité de bronze offerte incite à la domination, pas au projet d’avenir.

La Messagère même reste dans un coin isolé du jardin, frileusement rencognée près d’un bâtiment égaré du Sénat, sans même songer à un quelconque envol…

Car le Sénat donne l’heure officielle – ici l’heure du thé – pas question de se presser, aucune urgence pour ceux qui sont confortablement installés. Yaka prélever plus d’impôts plutôt que de réorganiser les fonctions et de diminuer les dépenses.

C’est là où la France se montre légère et vaniteuse, cigale face aux fourmis du nord. Si le Danemark a le même montant élevé de dépenses publique que la France, ses services d’Etat-providence sont nettement plus consistants et plus efficaces. Si l’Allemagne est tout juste un peu meilleure que la France dans l’éducation, elle est nettement moins chère avec des profs payés un tiers de plus… La campagne présidentielle va-t-elle faire surgir la vérité du débat ? Chaque candidat doit mettre la main où il faut… au risque évident de se faire mordre !

Face aux Allemands, les Français n’ont guère à opposer que l’héroïsme d’une jeunesse bien lointaine. L’indignation ne suffit pas si l’on ne sait agir ! La stèle horizontale aux Résistants ne dépasse pas le niveau du sol, laissant l’impression d’un pays épuisé, neurasthénique  et procrastinateur. Je sais, 95% de mes lecteurs ne vont pas savoir ce que ce mot veut dire (provocation gratuite pour susciter des commentaires indignés me disant que « bien sûr que si, on sait » ! – tant mieux si c’est vrai, mais je doute…) Misère de l’éducation « nationale ». Vite, une aide psychopédagogique ! Je vous donne le lien pour votre culture, comme la mienne sans cesse à parfaire.

Même la glace fait l’objet d’injonctions administratives. Vite, appliquons le Principe de précaution, constitutionnalisé par l’ineffable Chirac qui, en bon radical, croyait qu’aucun problème qu’on laisse sans le résoudre ne finira pas par trouver sa solution. Oui, nous y sommes : endettement colossal, impôts au top, croissance négative, retraités arrivant en gros bataillons. Qui va payer ? Sans doute largement tout le monde. Autant apprendre à se serrer la ceinture, donc régénérer les habitudes de discipline. « Défense de monter sur la glace » !

Pourtant, malgré le gel, le soleil perce entre les cuisses de l’avenir.

Et le grand arbre, curieux platane à feuilles d’érable, dite « plante hybride d’origine inconnue » de la fontaine Médicis planté vers 1810, lance toujours ses branches vers le ciel parisien d’un bleu Tibet.

L’enfant et la plante indiquent le chemin. Même les canards se bougent sur la glace ! Est-ce trop pour les vieux fatigués qui nous gouvernent ?


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2 réflexions sur “Luxembourg, le jardin gelé

  1. Merci de vos attentions, je doute en effet que la Crimée Côte d’Azur constitue le nouveau goulag. Peut-être le Luxembourg en hiver ?
    J’ai trouvé amusant de « voyager » à Paris pour parler politique, ce qui vaut mieux que le discours sur les candidats. Jusqu’à présent, ils n’ont pas grand chose à dire sauf « foutre le bordel », « dépenser toujours plus » avec « toujours plus d’impôts » ou « restaurer la discipline ». Un peu « réactionnaire » tout ça… pas très positif, signe d’une société de vieux.
    Oui, les Allemands dépensent moins par enfant (et pas globalement) pour leur enseigner ce qu’il leur faut pour vivre en société. Oui, les profs sont mieux payés. Oui, le passage au boulot (inévitable dans toute société…) est facilité par les relations constantes avec les entreprises. Cela évite au moins que la filière « d’excellence » soit dirigée vers le fonctionnariat comme en France ! Il y a au moins des gens qui produisent autre chose que des règlements, en Allemagne.
    Mais je vous suis quand vous dites qu’il faudrait mieux payer les enseignants. Avec la contrepartie inévitable (pas comme sous Jospin !) qu’ils travaillent sinon « plus » (ça ne veut pas dire grand chose quand on doit préparer et corriger) mais plus régulièrement. Le nombre de jours de vacances scolaires pourrait être revu à la baisse au profit de journées moins chargées et de programmes allégés. Même si cela va contre l’autoritarisme hiérarchique français.
    Quant aux particularités de langue, je ne crois pas que les Chinois soient handicapés par leur lettrisme inouï, pas plus que les petits Japonais ne le sont qui ne savent vraiment « lire » que vers l’âge de dix ans (c’est qu’il faut apprendre quelques 3000 idéogrammes de base + le syllabaire kangi !) – et je ne parle même pas des Russes, avec leurs 7 déclinaisons et leurs 2 mots sans rapport pour chaque verbe, selon qu’il est au présent ou à l’imparfait, ou au futur ou conditionnel… L’apprentissage se fait autrement, par la voix et l’exemple.
    Il ne s’agit pas d’imiter servilement l’Allemagne, mais de comparer ce qu’ils réussissent avec ce que nous pourrions faire. D’ailleurs, les Allemands mal placés il y a dix ans, se sont inspirés des Finlandais… eux ! Nous, avec les Jospin-Chirac, on n’a rien foutu, comme d’habitude, il s’agissait de ne surtout pas agacer les enfeignants syndiqués (même si, je vous l’accorde, ils sont minoritaires dans les cohortes qui prennent leur poste chaque matin). Sarkozy n’a pas fait grand chose non plus, l’éducation ne l’intéresse pas.
    Pour Hollande, j’attends avec curiosité comment il va résoudre sa contradiction entre « embaucher 60 000 profs supprimés en plus du renouvellement naturel » + « ne pas augmenter la fonction publique globalement » : quelles dents va-t-il faire grincer ? L’armée ? Les gros bataillons électoralistes des fonctionnaires de collectivités ? La semaine de 23 h à la Culture ?
    Très rares sont les candidats « impétrants » qui savent naviguer en eaux ventées; ils auraient du venir faire un stage au Luco. Là, ils patinent, normal, la France est gelée de la tronche.

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  2. Partir du Luxembourg en hiver pour arriver (entre autres) à l’éducation en Allemagne est un voyage que seul Argoul peut réaliser – avec talent.

    Je ne vais pas ergoter sur tous les points, juste m’attarder sur l’éducation en Allemagne. Pays qui, pour un peu plus de 80 millions d’habitants (mais ça baisse d’année en année, gros point faible à moyen terme) scolarise moins d’enfants que la France dont la natalité est encore relativement vigoureuse (et c’est un point fort à long terme si on sait gérer le paramètre). Donc il est facile de comprendre qu’en terme de part de PIB l’Allemagne a un effort moindre à fournir que la France pour aboutir à un résultat meilleur (mais c’est curieux… depuis quelques années outre-Rhin on lorgne vers la France pour capter des solutions à certains problèmes – pas tous, je suis loin, infiniment loin des amoureux du système éducatif de notre pays tel qu’il fonctionne).

    Ajoutez à cela la mentalité « Kinder Küche Kirche » qui est à l’origine d’un sous investissement dans la scolarisation de la petite enfance. Lors de l’annexion de la RDA par la RFA, ce fut une méchante surprise pour les « Osties » quand on a voulu les mettre, sur ce point, au régime de l’ouest.

    Ensuite justement comme vous le dites: des enseignants payés 1/3 de plus. Quand ‘la vocation’ et quand l’idée de faire un métier militant (pour la cause républicaine) s’éteint forcément parce que ce n’est plus dans l’air du temps, un libéral comme vous devrait réclamer – en échange de contreparties évidemment – que nos enseignants soient (remplaçons une motivation par une autre) fort bien payés pour qu’on puisse recuter les meilleurs des étudiants, avec deux filtres rigoureux: un à l’entrée, pour s’assurer qu’ils ont la culture générale et la connaissance des matières requises, un autre à la sortie de la formation indispensable pour exercer ce métier. Avec Jospin et Allègre en 1988, l’ineffable Meirieu fit d’une formation imparfaite une formation désastreuse; plus tard, les sarkozystes Darcos et Chatel ont réglé le problème en… supprimant la formation.
    Un honorable collègue blogueur d’A(c)Tu m’a bien expliqué qu’on se formait pour devenir enseignants au cours de ses études mais à ce compte les malades feraient de bons médecins et les truands d’excellents flics et magistrats!

    Je ne doute pas qu’en payant plus les enseignants on pourrait recruter une part de la crème (de mon temps qui n’est pas celui de Mathusalem, il y avait trente candidats pour une place dans les écoles normales d’instituteurs. Malheureusement, il n’y avait pas de filtre suffisant à la sortie) et que cela coûterait moins cher que de larguer 150.000 jeunes « sans rien » chaque année, plus 300.000 avec « très peu ». Mais là, BAC+5 pour commencer à 2.000 euros net (à terme) dans un collège où on se fait traiter au quotidien de bouffon et de tarba quand on ne se fait pas cracher dessus casser la gueule… il faut soit être un saint laïc, soit se diriger là en désespoir de cause parce qu’on ne peut rien faire d’autres.

    Un autre paramètre facilite considérablement la tâche des enseignants allemands. J’ai appris cette langue (en L1) et je la maîtrisais pas mal (15 au bachot), je sais donc un peu de quoi je parle – même si ma surdité s’est transformée en handicap linguistique: je ne peux engranger qu’une quantité limitée d’informations dans ce domaine et quand j’apprends une langue (avec d’infinies difficultés) j’évacue la précédente… je ne peux garder en tête que le français et le portugais appris a posteriori et de la langue de Goethe, je n’ai presque rien conservé. Quant à l’anglais, c’est pour moi un idiome incompréhensible.

    Contrairement au français, l’allemand est rigoureusement phonétique: à chaque son correspond une et une seule lettre ou combinaison de lettres, et aucune lettre n’est « muette ». Et de ce fait le petit Allemand apprend à lire avec une facilité infinie et ne rencontre pas de problème d’orthographe sauf bien sûr s’il souffre de dyslexie. Je n’ai fait de dictées que pendant quelques semaines en allemand, ensuite ce problème était réglé. Convenez que comparé à la somme d’efforts consentis par les enfants dans nos CP et plus tard, c’est un avantage – et c’est infiniment moins chronophage. On peut donc consacrer plus de temps « au reste »

    Enfin si la grammaire allemande est difficile, elle ne l’est pas davantage que la française – dans un autre registre – et infiniment plus logique (pas pour rien que l’allemand est la langue des philosophes et des… dompteurs) Enfin même si on ne distingue pas formellement le génitif de l’accusatif ou du datif, quand on a appris par l’usage à dire « des » , « den » ou « dem », on peut fort bien se passer de la grammaire pour écrire quand en français elle est indispensable pour savoir si on écrit « finis », « fini », « finies », « finit ».

    **********************
    De toute manière, quelles que soient nos divergences, il y a une chose que j’apprécie chez vous: l’affection que vous portez pour le Luxembourg, que je partage – et au delà, même!

    Quand le parti de ‘mon’ candidat sera au pouvoir et que nous enverrons massivement les gens dans des goulags ouverts dans les régions les plus froides de France, cela sera porté à votre crédit et je tenterai de vous éviter ce sort funeste. Et si je n’y parviens pas, je vous expédierai mitaines, bottes fourrées et quelques colis alimentaires en signe d’amitié.

    Reconnaissez quand même que les bassins au chômage technique pour cause de grand froid, ce serait une catastrophe s’il y avait encore des gamins et même des adolescents – comme j’en fus un – passionnés de maquettisme et impatients d’essayer un nouveau grééement dans ce lieu magique.

    La nostalgie n’est plus ce qu’elle était.

    Cordialement

    benjamin borghesio

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