Claude-Henry du Bord, Les rois fous

L’historien de la philosophie présente une brochette significative de cas spécifiques de « folie » chez les dictateurs, rois et reines dans l’histoire, en Europe comme en Chine. Il n’est pas exhaustif bien sûr, ni même « scientifique » car la psychiatrie n’existait pas encore et les textes ne nous livrent que des observations plus ou moins orientées. Quoi qu’il en soit, la folie des rois ne remet jamais en cause la monarchie même, considérée comme pilier stable de l’ordre du monde. Il faudra la décadence de la noblesse, devenue inutile et prédatrice, pour que les révolutions aient lieu. Mais il subsiste en Europe même encore maintes monarchies – y compris en Espagne dans l’après-Franco.

Caligula est le premier, pas vraiment roi mais légitimé par ses origines et tyran absolu qui voulut faire de son cheval un consul. Suit dans l’histoire Ming Hongwu, paysan promu chef de bande puis premier empereur de la dynastie Ming – devenu paranoïaque et cruel comme Staline.

En France se sera Charles VI de Valois, enfance malheureuse, hérédité chargée, circonstances effrayantes. Il sombrera définitivement lorsque ses plus proches compagnons périront par le feu lors du bal des ardents où une torche enflamma les déguisements d’ours collés à la poix et la résine. En Espagne Jeanne la folle, 1ère de Castille, mère de Charles-Quint, ne fut folle que parce que son père l’a élevée à la dure, dans l’austérité bigote, folle amoureuse de son beau mari volage Philippe mais séparée de ses enfants et obligée pour motifs politiques d’empire à se reclure durant 49 ans !

En Angleterre, royaume désuni, le roi George III perdit l’Amérique, la tête et son trône ; peut-être fut-il maniaco-dépressif, peut-être a-t-il trop ingéré de métaux lourds, omniprésents dans les potions pharmaceutiques du temps, le maquillage et les récipients alimentaires. En Russie, Paul 1er Romanov devint névrosé à force de haïr sa mère, Catherine la Grande, qui n’a jamais aimé ses enfants ; Paul fut d’ailleurs peut-être le fils de son amant Saltykov avant de perpétrer, peut-être, la mort de son époux Pierre – que le petit Paul a donc adoré.

Au Portugal, c’est Marie 1ère qui perd son mari qu’elle a refusé de laisser vacciner de la variole dans la superstition bigote catholique ambiante, puis deux de ses enfants, son confesseur, l’infant d’Espagne ; c’est la révolution française qui l’achève, croyant dans sa paranoïa ultraconservatrice réactionnaire que des hordes de populo allaient venir déferler sur Lisbonne pour la violer et (pire !) piller les églises. Une maniaco-dépressive à l’hérédité chargée. Christian VII de Danemark ne pensait qu’à baiser et aurait préférer diriger un bordel qu’un royaume (l’auteur dixit). Enfant frêle à l’âme fragile, élevé par un gouverneur brutal qui l’humilie et le bat, châtiant toute émotion, il devient fou de tortures, s’automutile et se croit persécuté à jamais. Il s’oublie dans les filles faciles et les parties carrées, pour le reste frappé de stupeur.

Enfin Louis II en Bavière, bientôt avalée par la Prusse pour former la grande Allemagne. Jeune homme très beau élevé à la dure, homosexuel réprimé par la croyance religieuse, il adule la musique et son idole, Wagner, à qui il fait un pont d’or et construit un théâtre, au point de ruiner le pays, à qui il ne donnera aucune descendance autre que ses œuvres : Bayreuth et les châteaux que des milliers de touristes visitent désormais chaque année. Il se suicidera dans l’eau glacée du lac de Starnberg après avoir étranglé son médecin qui le retenait prisonnier.

Où l’on peut mesurer les ravages de l’hérédité consanguine, la brutalité de l’éducation bonsaï à la trique, l’emprise mortifère de la religion chrétienne sur les âmes et les corps – en bref tout le côté sombre de notre bonne culture occidentale.

Claude-Henry du Bord, Les rois fous, 2015, Editions du Moment, 213 pages, €10.97

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