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Souk et dernier dîner à Louxor

Dji me demandera plus tard si j’ai vu l’inscription de Rimbaud sur les colonnes du temple de Karnak : non, je ne l’ai pas vue, le guide nullard ne nous en a rien dit ; il ne savait peut-être même pas de qui il s’agissait. Alain Borer, spécialiste du poète, décrit précisément l’endroit : « sans doute a-t-il gravé lui-même sur la pierre ce nom, RIMBAUD, que l’on voit au fond du dernier sanctuaire (…) Sur le mur ouest de la salle de la naissance d’Aménophis III, la signature se trouve à une hauteur de 2 m 80 environ, en lettres capitales, et le soleil de midi qui l’éclaire laisse dans l’ombre toutes les autres inscriptions. » (Rimbaud en Abyssinie, Seuil 1984, page 313)

egypte obelisque et lune

Dji me cite Alain Borer, mais pour l’accuser de s’être attribué une découverte « déposée à la société Rimbaud » qui ne lui appartient pas. Or, dans son livre, Borer ne dit rien de tel ! La note 24 stipule : « la signature Rimbaud fut l’objet d’une note simultanée en 1949, comme si elle devenait secondairement lisible – Jean Cocteau (…) mais aussi plus sûrement Henri Stierlin (…) et Théophile Briant. »

Il ajoute : « Deux autres inscriptions RIMBAUD figurent également (…) sur la colonne la plus proche, en petites capitales. Tracées beaucoup plus bas et presque en face de la grande signature (…) l’une est seulement esquissée, RIMB., à la façon dont Rimbaud signera sa correspondance parfois en 1889, et semble, comme sa voisine, une ébauche de la grande signature. »

hiéroglyphe egyptien signifiant enfant

Le bus nous reprend pour nous lâcher devant le souk, derrière le temple de Louxor que nous n’aurons pas le temps de visiter. Durant une heure et demie, les femmes négocient diverses marchandises à « rapporter ». Il s’agit de tee-shirts pour les enfants, de tuniques-pyjamas pour elles, de châles pour les grands-mères, d’écharpes pour les grands-pères, de bijoux et d’autres babioles. L’une ne sait pas marchander ; elle se bute sur son prix sans jamais négocier, avec un air pincé qui n’amuse pas les vendeurs. Un autre marchande mieux, il les fait rire. D’ailleurs, il tient absolument à poser un vase canope sur sa cheminée. Il ne sait pas qu’ils vont en général par quatre, un pour chaque organe du mort. Il trouve un vendeur compatissant qui lui en cède un seul, en augmentant le prix de l’unité pour l’occasion. Il a dû être séduit par le physique de blond costaud car, en partant, il laisse errer sa main sur son épaule un rien trop amicalement.

profil egyptien

Nous reprenons un petit bateau pour rallier le restaurant El Ghezira, où le repas nous attend. Dji est là avec Adj. Nous dînons somptueusement à l’égyptienne, de crème de sésame, légumes confits et poulet grillé. Nous claquons nos dernières livres égyptiennes en bières – et il nous en reste encore. Enak demande à la plus jeune fille du groupe de poster une lettre en France pour une mademoiselle. Il est, sinon « amoureux », du moins sexuellement attiré par une touriste venue ici il y a quelque temps. Alix, sur le sujet, élude soigneusement les questions.

egypte

On le sent, ce soir, plus tendu. Notre départ imminent le rend émotif. D’ici une heure ou deux il sera rejeté dans son exil. Même volontaire, celui-ci n’est pas toujours facile à vivre. Il nous quitte simplement devant la bétaillère qui va nous ramener à l’hôtel. Seul Adj nous accompagne jusqu’à l’aéroport.

FIN du voyage en Égypte

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Louxor

Nous reprenons le minibus avec des paniers repas. Nous sommes aujourd’hui vendredi, jour férié musulman, et le restaurant ne sert pas. Pendant que l’auto attend à la sortie de la ville le convoi de police qui se formera jusqu’aux limites de la province, nous dévorons les provisions. Poulet grillé, purée de sésame en barquette plastique, yaourt au concombre et ail, une salade de tomates et concombres, des galettes de pain et du riz pour ceux qui ont faim ! Un pot de gelée au lait vient terminer ce repas, avec une bouteille d’eau de marque Baraka, embouteillée en Égypte par Perrier-Vittel.

voiture de flics egypte

Le minibus roule déjà dans la campagne, le long du Nil. Nous voyons depuis la terre les rives vues jusqu’ici depuis le fleuve. Ce ne sont que champs – pas très grands – et villages de terre – aux aouleds pieds nus en galabieh, aux vieux en turbans blanc, et aux ânes. Bien que jour saint, tout ce monde ramasse quand même la canne à sucre ou le trèfle ou emmène au marché des cageots de tomates empilées dans les bétaillères. Nous longeons de temps à autre la voie ferrée. Quelques trains passent, presque vides.

A l’arrêt inter-région, où la voiture de police sensée nous accompagner prend la tête du convoi étiré sur plusieurs kilomètres, des gamins viennent nous proposer des boissons à vendre, ou des foulards. Adj en achète un « pour sa mère », pour 20 livres. Le vendeur, qui a à peu près son âge, embrasse le billet pour porter chance à son commerce. L’une de nous tente d’en acheter un pour le même prix, mais pas question : « ça, c’est le prix pour Égyptiens ; pour les étrangers c’est 25 livres ». Elle n’achète pas.

paysage egypte

Nous sommes de retour en fin de journée à Louxor, pour retrouver ses deux colosses et l’hôtel. Avant de dîner, nous décidons de passer le Nil pour aller voir Louxor. La barcasse qui nous fait passer est maniée par Omar, un autre jeune ami de Dji. Il a 14 ans, même s’il en paraît plus. Il l’avait pris comme aide-felouquier l’an dernier, mais une cliente a fait une remarque de bonne-conscience-repue sur « le travail des enfants » et il n’ose plus. Le grand rêve du gamin est quand même de quitter son petit boulot de passeur pour quelque chose qui lui fasse voir plus de pays et connaître plus de gens. Je reconnais bien là les aspirations constantes de la jeunesse. Ici, ils sont adultes bien plus tôt qu’ailleurs.

garcon égypte

En cherchant du change, nous passons devant l’hôtel Winter Palace. S’il est aujourd’hui noyé dans les constructions encore plus laides du monde moderne, Pierre Loti le dénigrait déjà en 1907 : « Winter Palace, un hâtif produit du modernisme qui a germé au bord du Nil depuis l’année dernière, un colossal hôtel, visiblement construit en toc, plâtre et torchis, sur carcasse de fer. » Je ne sais comment il a été construit, mais il dure encore. Loti affectait parfois un snobisme qui faisait chic dans les salons parisiens.

Quant au musée, nous le cherchons, mais il est bien plus loin que l’on ne le croyait. Dji nous avait dit : « du Winter Palace, vous en avez pour 6 ou 7 minutes » ; en fait il en faut une vingtaine ! Il est bien présenté, très aéré, avec de jolies choses. Les explications sont fournies au moins en deux langues, parfois en quatre. La lionne Sekhmet se dresse, en granit taillé en 1403 avant, babines avides pleine de crocs. C’est elle qui envoie les maladies, mais elle aussi qui procure à ses prêtres (les médecins) la capacité de guérir. Sobek le dieu crocodile, apparaît redoutable, bien qu’en calcite datée de –1403. Amenhotep III serre les poings, on ne sait pourquoi ; il a les yeux en amande et la bouche régulière. Il s’agit en fait d’un autre nom d’Aménophis III, père d’Akhenaton ; il fut un monarque raffiné et voluptueux qui, déjà, s’est méfié du pouvoir trop grand des prêtres. Moubarak, aujourd’hui, pourrait bien s’en inspirer pour se défier des mollahs. Thutmosis III, vers –1490 offre un torse juvénile et un sourire indéfinissable aux visiteurs. Il succède à Hatshepsout, la reine redoutable, et conquiert le Soudan jusqu’à la quatrième cataracte ; c’était un fameux gaillard. Celui qui est indiqué « Amenhotep IV » est en fait Akhenaton. La statue colossale de son visage présente des traits adolescents accentués à dessein : un profil de poisson avec des lèvres et des narines gonflées avançant comme pour un baiser. Une acromégalie typique de la jeunesse où l’hypophyse travaille fort. On dit que la bouche charnue et les narines palpitantes traduisent le goût de la vie. Le mur des talatates est une paroi reconstituée d’un temple d’Aton érigé à Thèbes et détruit par les successeurs d’Akhénaton, acharnés à extirper son hérésie. Extraits du 9ème pylône de Karnak où ils avaient été réemployés comme de vulgaires blocs de construction, ces 283 blocs présentent sur 18 mètres de long et 3 mètres de haut le roi et la reine rendant hommage à Aton, le disque solaire.

2001 02 Egypte ticket Louxor

Des flèches de Toutankhamon sont présentées en vitrine ; elles sont en bois, en roseau, en plume, en bronze et en os. Le pharaon est présenté tout jeune sous les traits du dieu Amon. Dans la salle du sous-sol, Horemheb est statufié devant Amon. Le dieu est pour lui comme un père, les deux mains touchant ses épaules, les yeux au loin. Un Aménophis III de granit rose montre un visage aux traits ronds, un torse plat, carré, rigide comme une sculpture du Troisième Reich. Parfois, la grandeur dégénère en caricature. En revanche, est présentée une délicieuse Mout aux seins pommés qui tient par l’épaule Amon. Elle a un doux profil nubien et une petite bouche mignonne. De Ramsès II reste un torse en albâtre presque transparent qui accentue son air de jeunesse éternelle ; les muscles sont à peine dessinés, comme s’il sortait de l’enfance – ou renaissait aux regards.

Nous cherchons ensuite le restaurant Jamboree, près de la mosquée, recommandé à la fois par Dji et par le guide du Routard. De par sa proximité religieuse, l’établissement ne sert aucun alcool, et nous devrons attendre pour assouvir notre éventuelle soif de bière. Tenu par des Anglais, il sert plus de plats internationaux (poulet frites, spaghettis bolognaises, pizzas, glaces) que de cuisine « orientale ». Je réussis quand même à trouver de la purée de sésame tahina en entrée, suivie d’une aubergine farcie aux poivrons et au fromage (malheureusement du… chedar !). Il aurait fallu aller là où vont les Égyptiens du cru.

Nous reprenons le petit bateau pour traverser le Nil et rejoindre la rive ouest. Les jeunes se battent pour attraper des clients, à 1 livre chacun la traversée. Ils font vivre en partie leur famille avec ces gains. Pour cinq autres livres, une bétaillère trouvée à l’embarcadère nous ramène à l’hôtel, où nous avons encore la force – ou la volonté ? – de boire une bière. Elle est la première depuis des jours ! Et, comme nous sommes bien ensembles, nous cherchons à retrouver l’atmosphère intime de la felouque en nous installant sur la terrasse de toit de l’hôtel.

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Déjeuner chez Toutankhamon avec Dji

Louxor, au nom évocateur de luxure et de vieil or, nous ne la verrons pas aujourd’hui. Après les formalités d’aéroport, un peu de bus plus tard, nous traversons le Nil en bateau. Les eaux vertes sont peu limoneuses mais fraîches, vivantes. Et nous voici hors des hordes, dans l’Égypte millénaire. D’un coup. C’est très dépaysant et même brutal : il suffit de passer le Nil. La rive que nous quittons est envahie par les bateaux de croisière, les trois-ponts du tourisme de masse. Sur l’autre rive vivent les paysans, les artisans, les petits bateaux à moteur et les felouques à la voile triangulaire racées comme des oiseaux lorsqu’elles fendent l’eau sous l’effet du vent.

felouque en egypte

Un panneau à l’entrée de la ville indiquait en anglais : « Welcome to the mother of civilisations ». Rien de moins. Il s’agit d’une idée reçue pour les touristes qui ne quittent pas les atmosphères climatisées. S’il est vrai que Chateaubriand pouvait encore croiser des enfants tout nus comme ils sont sur les fresques des temples il y a 4000 ou 5000 ans, ils sont aujourd’hui habillés et vont à l’école. Si la pyramide représente peut-être la base de l’architecture et si Moïse était peut-être égyptien, « les civilisations » comme les religions sont diverses de par le monde – elles ont surtout évolué. L’Égypte symbolise à la perfection le passage du nomadisme à la sédentarisation : le ciel y brûle et l’eau jaillit de la terre pour y faire pousser les plantes. Les Égyptiens affirment que leur histoire commence avec le règne d’Osiris. Ce dieu-roi a fait passer les tribus nomades de chasseurs et de pasteurs à l’agriculture par l’irrigation du désert, le travail des métaux et l’écriture pour administrer. Mais aujourd’hui l’industrialisation a remplacé l’agriculture et, dans les sociétés les plus avancées, l’information remplace déjà l’industrie. Le « modèle » égyptien reste une idée reçue des voyageurs snob du XIXème siècle.

Crocodile a manger

Nous déjeunons chez Toutankhamon (c’est le nom du restaurant). Pas de crocodile au menu, il faudra attendre le retour en France pour en manger ! La viande a le goût entre dinde et thon, assez fade. Notre accompagnateur français nous y attend. Dji – comme disent les locaux – nous apparaît comme un homme d’âge mûr fatigué, en veston et chaussures de ville, au visage maigre et glabre lunetté de noir qui me rappelle celui de Jorge Luis Borges. Il parle avec des intonations choisies et n’a rien du look « routard » souvent de mise aux accompagnateurs français qui vivent à l’étranger. Dji est breton de Quimper élevé chez les Jésuites, il vit depuis plus de 25 ans dans les pays arabes et depuis 16 ans en Égypte. Il a acheté des felouques et est le prestataire pour ces circuits. Il vit dans un village non loin de Louxor, sur la rive ouest. Au premier abord, il a déjà l’oreille vissée à un téléphone portable ; nous le verrons souvent dans cette situation. Pour l’instant, il commande le repas : salade de tomates et citrons confits, poulet au curry et légumes en ragoût, crème de sésame, toutes ces spécialités du pays se retrouvent bientôt sur la table !

Il nous emmène ensuite à notre hôtel, l’Amenophès, au village de Medenit Habu. Il nous présente en passant aux deux colosses de Memnon en quartzite rouge, hauts de 10 m 60 sans le socle et qui représentent Amenophis III assis. Ils trônent, ils durent, d’une gravité inébranlable malgré les dégradations du temps. Ces colosses gardaient l’entrée d’un temple funéraire aujourd’hui complètement rasé et le vent ou la rosée les faisaient chanter aux temps grecs. Des champs sont cultivés tout autour. Ce qui nous frappe immédiatement ici est l’interpénétration de la vie paysanne et des ruines antiques. Les restes les plus anciens sont entourés de vie, intégrés au paysage quotidien. Il faut dire que si l’Égypte est étendue (997 000 km²), elle n’est qu’un long tube digestif dans un désert : seuls 55 000 km² sont habités le long du Nil (et dans quelques rares oasis). La population se concentre dans le grand Caire et dans le delta.

Nous déposons nos affaires dans les chambres et, face au temple de Ramsès III que nous visiterons plus tard, nous commençons à faire plus ample connaissance au café qui borde la place. Nous buvons… de l’eau gazeuse ou un Coca. Nous sommes ici dans un pays musulman, « sans alcool » officiellement. Tous les intégrismes aiment la prohibition ; la contrainte permet de mesurer leur pouvoir sur les masses. Le couple avec lequel nous sommes est particulièrement sympathique, encore amoureux après plus de quinze ans de fréquentation – ils se sont connus en terminale et ont deux petits enfants de 5 et 4 ans.

colosses de memnon

Le calcaire blond des murs du temple en face réfléchit la lumière. L’air un brin voilé donne au ciel une couleur translucide du plus bel effet. Je découvre le climat de l’Égypte, sa douceur sèche, sa lumière pastel, sa chaleur tempérée – tout en contrastes du aux forces opposées du fleuve et du désert ! Des enfants passent, œil noir, dents blanches, pieds nus. Ils rient et crient en vélo. Nous sommes en hiver, il fait 16°, ils sont très habillés. La galabieh grise qu’ils portent leur va bien au teint et à la silhouette, mais leur gêne l’entrejambe pour faire du vélo. L’Égypte connaît trois saisons, rythmées par le Nil. Autour du 19 juillet, quand Sirius apparaît dans le ciel au coucher du soleil, commence la crue. Quatre mois plus tard le Nil rentre dans son lit et débute la saison de croissance des plantes. La dernière saison, de mi-mars à mi-juillet, est celle de la sécheresse, de la gestion des réserves d’eau, et des récoltes.

Dji passe nous prendre alors que la lumière descend. Il nous mène au restaurant du soir par le chemin des écoliers. Ce ne sont que champs de cannes à sucre, carrés de blé en herbe, plantations de pommes de terre ou de fèves. Les maisons sont bâties de terre crue, des briques sèchent au soleil. Les femmes sont de sortie et les petites filles, pas sauvages, nous crient « hello ! » Les garçonnets nous accompagnent un bout de chemin, par curiosité. Dji est connu comme le loup blanc ici, il y habite, parle la langue couramment et il salue souvent l’un et l’autre.

Dans la conversation, nous apprenons qu’il a vécu plusieurs années au Maroc. Il a retrouvé dans les pays arabes cette vie familiale qu’il a connu en Bretagne dans son enfance à la ferme, les grandes tablées, la famille élargie. Dji a vécu aussi la dureté des relations entre bandes de garçons à Fès, plus ou moins abandonnés et livrés à eux-mêmes. Il est fasciné par la vie arabe, cette fraternité mâle émotive et toujours adolescente d’une société à l’origine guerrière. Les femmes en sont absentes, cantonnées à la tente ou à la maison, bonnes à reproduire les mâles. C’est avec les garçons que l’on échange des idées, fume des cigarettes, ou épanche sa tendresse. Il y a du moine en Dji – la terre d’Égypte n’était-elle pas la terre d’élection de la vie érémitique ? On se souvient de Macaire le Copte. Cette recherche de fraternité, cette indifférence à l’argent et aux biens matériels, cette capacité à attirer et à rendre de l’émotion autour de lui, ont quelque chose de monastique.

egypte hotel medenit habu

Le restaurant El Ghezira se trouve dans une ruelle qui ne paie pas de mine. Mais sa terrasse au troisième étage donne une large vue sur le Nil et sur les temples illuminés de l’autre côté du fleuve. Selon Dji, François Mitterrand venait souvent en Égypte parce qu’il aurait été « initié » aux mystères égyptiens ; il venait méditer devant les symboles. Franc-maçonnerie ? Si Jacques Mitterrand, son frère, fut un temps Grand Maître du Grand Orient de France, François ne semble pas y avoir appartenu. Il en a peut-être eu la tentation pour se faire des relations, mais aussi parce que la franc-maçonnerie est avant tout rationaliste, républicaine et positiviste. Elle vise à perfectionner l’être humain par la connaissance des symboles pour mieux comprendre le monde, et par la solidarité du travail. Née des corporations d’architectes et de bâtisseurs du moyen-âge, la maçonnerie mesure la connaissance à l’aide du calcul, de la règle et du compas. Elle voit le monde régi par des lois cosmiques, organisatrices du chaos, que l’initiation permet de connaître. François Mitterrand était d’évidence un être religieux. Avide découvreur de la Bible depuis que sa mère lui en faisait lecture durant son enfance, il n’a pas de réponse sur l’existence d’un dieu. Dans l’univers égyptien, « la découverte du Livre des Morts (est) ce qui lui importe le plus », écrit son biographe Jean Lacouture. Il a voulu apprendre à mourir dignement. Ses derniers voyages ont été pour Venise et pour Assouan. Il aurait voulu jucher sa tombe sur le Mont Beuvray, près des druides. Mystère ? Sans doute pas. Interrogation ? Sûrement. Cette quête très humaine, malgré sa position politique que l’on peut juger différemment selon ses opinions et la morale, suffit à le rendre sympathique.

La cuisine du restaurant ce soir ressemble à celle du midi ; elle est à base de crudités, de ragoût de légumes, de pommes de terre sauce tomate, de riz, de boulettes en sauce et de poulet grillé. Les crudités peuvent être consommées sans craindre la turista, bien connue des voyageurs en Égypte. Les malades sont tous en fait sur les bateaux du Nil où l’on sort des frigos les crudités pour le buffet, avant de rentrer les restes pour les resservir plus tard, ainsi que nous l’explique Dji. Nous pouvons prendre de la bière, fabriquée en Égypte (pourtant pays musulman…) ; elle est légère, bonne sous ce climat.

Nous rentrons à l’hôtel en bétaillère, ce taxi-brousse bâché où l’on monte à 12 dans la benne. Nous nous couchons tôt, après avoir contemplé un moment Orion, Cassiopée et la Grande Ourse depuis la terrasse sur le toit de l’hôtel. L’étoile polaire surplombe la colline calcaire creusée de tombes.

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