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Fabrice Bourland, Le diable du Crystal Palace

Un roman policier historique qui se passe à Londres en 1936, à la veille du grand incendie du Crystal Palace, ce grand hall d’exposition de 563 m de long en fonte et verre plat, construit pour l’Exposition universelle de 1851. L’intrigue commence par la visite d’une jeune femme chlorotique, Anne Grey, qui vient solliciter un duo de détectives pour retrouver son fiancé Frédéric, disparu depuis plusieurs jours. Ce duo est celui d’Andrew Singleton et de James Trelawney, garçons célibataires dans la trentaine, qui vivent en colocation chez une logeuse qui s’occupe du ménage et des repas. L’auteur s’est manifestement inspiré de Sherlock Holmes et de son compère Watson pour camper un Singleton cérébral et nul aux armes, flanqué d’un Trelawney athlétique et coureur de jupons. Mais les deux compères sont plus légers que les créatures de sir Arthur Conan Doyle.

Il n’empêche. L’exercice d’admiration de Bourland envers Conan Doyle ne s’arrête pas là. Il reprend en effet Le monde perdu, cette expédition de 1912 sur le haut plateau du Roraïma au Venezuela, où les savants découvrent des créatures préhistoriques conservées dans leur jus jusqu’à nos jours. Qu’à cela ne tienne, il faut que cela se passe à Londres en 1936. En effet, ledit Frédéric a été atterré, selon sa fiancée, par la lecture d’un entrefilet de journal sur la rencontre brutale d’un taxi avec un fauve qu’il croit échappé d’un zoo. Maigre indice, mais à creuser.

Le pigiste retrouvé, un Tintin en culotte de golf de 18 ans, a bien rencontré le chauffeur de taxi dans le bar où il a ses habitudes. Il a heurté l’animal, tombé du pont au-dessus, a vérifié qu’il était bien mort, et est allé téléphoner à la police. A son retour, la bête avait disparu, et une camionnette Morris Crowley a démarré en trombe. Il n’en sait pas plus. Non, il n’a pas rêvé, non il n’était pas saoul. Les détectives vont le voir, il confirme. Dès lors, énigme : sa description précise correspond à un tigre à dents de sabre, espèce disparue depuis 20 000 ans. Consulté, le Pr Rufus Winwood, zoologue du Museum d’histoire naturelle, avoue collecter des preuves d’animaux censés avoir disparu, mais attestés ici ou là sur la planète, à commencer par le « monstre » du Loch Ness. Mais c’est une impasse.

Jusqu’à ce qu’un autre article fasse état d’un « grand singe » aperçu dans Londres, près des voies de chemin de fer de la Southern Railway, qui relie le Crystal Palace à London Bridge. Il faut y aller voir. Trelawney doit écourter un rendez-vous galant dans un restau chic pour retrouver Singleton, aventuré dans les ruelles mal famées de l’East End. Un grognement, c’est la bête. Nue et velue, elle attaque. Trelawney, malgré sa force, est étranglé… jusqu’à ce que Singleton, tétanisé, trouve l’énergie enfin de tirer une balle avec le pistolet de son ami, tombé à terre. La bête est morte, vite l’emporter, la montrer au professeur.

Lequel déclare, enthousiaste, qu’il s’agit d’un Pithécanthrope Erectus (aujourd’hui on dit Homo Erectus), découvert par Eugène Dubois à Java en 1894. Mais en plein Londres, en plein XXe siècle ! En enquêtant au domicile de Frédéric, toujours pas reparu, un fragment de page de revue brûlé fait émerger alors une théorie farfelue et fantastique, mais bien dans l’imaginaire fin XIXe, celui de Jules Verne et d’Arthur Conan Doyle : la régression possible des êtres vivants à leur forme archaïque…

Singleton et Trelawney ne vont pas retrouver Frédéric, ni d’autres disparus, pas plus que le chat de la maison. Mais il vont mettre au jour le mécanisme d’une implacable vengeance qui utilise la science marginale pour un but dévoyé : la vengeance. Jusqu’à l’apparition du diable ! Un ptérodactyle d’il y a 150 millions d’années, haut d’1m50, au bec pointu muni de 90 dents, aux ailes membraneuses et aux griffes acérées – tout à fait la description des paranoïaques chrétiens médiévaux, reprise dans les films d’horreur yankees.

Il y a de l’action, un déroulement progressif de l’enquête, un thème original. Les personnages sont un peu falots, surtout si l’on a lu les aventures de Sherlock Holmes, mais avec une intrigue tirant plus sur le fantastique. Un bon roman de détective.

Fabrice Bourland, Le diable du Crystal Palace, 2010, 10-18 Grands détectives, 276 pages, €4,67, e-book Kindle €11,99

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Arthur Conan Doyle, Étude en rouge

Arthur Doyle, qui ajoute le nom de son grand-père maternel Conan pour se différencier de son propre père, et devient « sir » par anoblissement du roi Édouard VII en 1902, après ses loyaux services sanitaires et historiques durant la guerre des Boers, accouche à 27 ans de son fils spirituel : Sherlock Holmes. Il apparaît pour la première fois dans cette « étude en rouge », où le sang autour de la victime égare l’enquête, alors que la vengeance du sang en est le mobile profond.

Ce court roman permet en quelques pages de faire la connaissance du Docteur Watson, le fidèle ami et associé, narrateur des exploits du « détective consultant », comme Holmes se fait appeler. Watson est médecin, retour d’Afghanistan où il a été sévèrement blessé, et en convalescence sans le sous à Londres. Il saute sur l’occasion que lui présente un ancien collègue de partager un appartement avec un excentrique, au 221b Baker Street, un salon et deux chambres à l’étage, cuisine et ménage faits par Mrs Hudson, la logeuse.

Quant à Sherlock, c’est un grand personnage émacié, 1m83, dont la raison est hypertrophiée, étouffant l’émotion. Laquelle affleure parfois, mais rarement, et sous contrôle. La fin XIXe est en effet à la Science et à ses excès rationnels du scientisme. Tout doit être explicable, il suffit de remonter aux causes pour en déduire les effets. Holmes a une méthode originale : faire l’inverse. Ce « raisonnement analytique », comme dit le détective, consiste à partir des faits bien observés, pour remonter leurs causes. C’est ainsi qu’il déduit que le Dr Watson est médecin, à cause du titre de docteur, ancien militaire blessé revenu d’Afghanistan par son maintien un peu raide, son bronzage des mains et du cou, son bras gauche maladroit et son teint émacié. Conan Doyle, lui-même docteur en médecine dès 1885, a gardé le souvenir de son maître de chirurgie à l’université d’Édimbourg le Dr Joseph Bell, qui prônait l’observation aiguë des indices et des symptômes.

Holmes est appelé par les détectives de Scotland Yard Lestrade et Gregson, qui sèchent sur un meurtre mystérieux commis sur un personnage bien mis dans une maison vide d’un sordide quartier de Londres, et pour lequel ils n’ont aucune piste. Le cadavre d’un Américain d’origine allemande, Enoch Drebber, est retrouvé mort sans blessure apparente, mais du sang autour de lui, avec le mot RACHE écrit au sang en capitales sur un mur. Querelle d’amour avec une certaine Rachel pour enjeu ? C’est ce que pense la police, avide de sauter sur la piste la plus simple. Pas du tout, raisonne Holmes, Rache veut dire en allemand « vengeance ». C’est donc un peu plus compliqué que cela.

Bien que peu lettré – il dit ne pas vouloir encombrer son cerveau, forcément limité, de connaissances qui ne lui sont pas utiles – Sherlock Holmes sait ouvrir son esprit à la culture et au monde. C’est ainsi que la seconde partie nous propulse en Amérique, où les Mormons commencent à faire parler d’eux. C’est une secte chrétienne guidée par un gourou machiste qui a un fil direct avec Dieu le Père (ainsi le fait-il croire à ses adeptes). Il prône la polygamie pour croître et multiplier, et ainsi affirmer sa puissance. Les femmes ne sont pour lui que des « génisses », et elles doivent prendre mari dès leur puberté. Une pièce rapportée à la tribu, découvert affamé et assoiffé dans le désert du Lac Salé, n’est pas de cet avis. Bien que réussissant en ses cultures, et respectant le culte, il n’envisage pas de confier sa fille adoptive Lucy, sauvée par lui tout enfant, à n’importe quel godelureau issu du patriarche. D’où rébellion, fuite et châtiment, mariage forcé, mort et vengeance. L’amoureux extérieur, Jefferson Hope que Lucy voulait épouser, mineur vigoureux et obstiné, traquera Drebber et son acolyte Strangerson dans les forêts et les villes de l’Amérique, les suivant jusqu’en Europe et à cet abouti du monde qu’est à cette époque la cité de Londres.

Au final, le criminel est un vengeur, justifié par Dieu lui-même qui fera sa propre justice. Holmes n’a fait que débrouiller l’écheveau. Quant aux Mormons, ils sont la préfiguration du monde futur de 1984 d’Orwell, ou de la Russie et de la Chine d’aujourd’hui, par leurs mœurs de surveillance généralisée et d’obéissance aveugle à la Norme, énoncée par un seul gourou. L’intolérance masque l’appétit de jouissance et de pouvoir. Staline, Xi, Poutine : même ligne. Ce pourquoi ce roman policier va bien au-delà de son intrigue : il met en scène une sociologie des hommes et les prémisses d’une police scientifique.

Sir Arthur Conan Doyle, Étude en rouge (A Study in Scarlet), 1886, Livre de poche 1995, 147 pages, €5,30, e-book Kindle €1,99

Sir Arthur Conan Doyle, Sherlock Holmes coffret tome I et II, Gallimard Pléiade 2025, 2320 pages, €124,00

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El Salto de Angel

Nous nous levons facilement dans le petit jour brumeux car il est plus tard que tu ne penses – décalage horaire oblige. La favela a produit de la musique encore plus tôt, quelqu’un qui se levait avant l’aube, mais les rues sont désertes lorsque nous sortons : c’est dimanche. Nous allons petit-déjeuner dans une boulangerie-café qui se comme Flor da Castilla en souvenir de l’Espagne. Les croissants y sont des monstres, tout comme les pavés de bœuf hier. Il semble qu’au Nouveau monde tout se doit d’être gigantesque, symbole d’abondance, de nouveauté radicale. Mais le jambon qui accompagne les œufs est en boite : on ne produit pas de cochonnerie au Venezuela ; on ne produit pas grand-chose, d’ailleurs.

Sur la route de l’aéroport, domestique cette fois, un « accident » crée un bouchon. Les Latins sont particulièrement badauds et toutes les files ralentissent pour regarder avidement « le malheur ». Il n’y a de fait que des tôles froissées et de grandes discussions. Aucun blessé. Les badauds sont déçus, ce qui se sent parce qu’ils accélèrent aussitôt après. Dans les bennes des pick-up à l’américaine qui roulent vers la mer, des enfants sont le plus souvent assis. En débardeurs ou le torse nu à la poussière, ils rient de la vitesse. Ils vont sans doute à la plage, en pique-nique dominical – évidemment sans aucune ceinture de sécurité. Cela ne fait rien : s’ils ont un accident et meurent, on en refera d’autres.

A l’aéroport, une vitrine de librairie-kiosque présente toute une série de livres en espagnol sur les niños indigo. Je me demande de quelle race d’extra-terrestres il s’agit. Javier me dit qu’il s’agit de ces « nouveaux gamins aux pouvoirs de l’esprit plus évolués. » C’est très à la mode, ici en 2004, pas moins de quatre titres différents sur le sujet. Encore une fois, l’Amérique du sud est en retard. Je me souviens avoir lu des articles sur ces interrogations dans les années 1960 ! Nous ne connaissons plus en France que les numéros indigos, pas les gamins. En fait, il faut songer au télescopage des générations. Les enfants d’ici, comme ceux de l’Europe des années 1960, ont des parents encore élevés à la terre, devenus citadins depuis peu. Leurs enfants, eux, ont été complètement immergés dans la ville, confrontés très jeunes à toute cette modernité : télévision, jeux vidéo, ordinateurs, internet. Quoi de plus normal qu’ils n’aient pas la lenteur d’esprit de leurs parents, le côté emprunté de ceux qui doivent d’abord lire un manuel avant de toucher un matériel ? Les enfants « indigo » ne sont que les enfants du monde d’aujourd’hui. Je note d’ailleurs que le Venezuela n’est pas un pays très « littéraire » : l’anthologie de nouvelles sud-américaines que je lis, Les histoires d’amour de l’Amérique latine (Métailié 1992), rassemblées par Claude Couffon, grand traducteur des années 1970 et 80, mentionne des auteurs de l’Equateur et même du Paraguay mais aucun du Venezuela. Le pays produit-il plus de machos mineurs que de sensibles écrivains ?

Les caractères de l’enfant « indigo » sont relevés dans les livres. Il suffit de compter au moins sept indices de ce qui suit. Il mange peu ou est allergique à certains aliments. Il a un ami imaginaire avec qui il communique. Il présente des signes de déficit d’attention ou d’hyperactivité. Il apprend plutôt par l’expérience que par l’étude. Il peut mettre son attention sur plusieurs choses à la fois par exemple lire et regarder la télé. Il se lasse facilement, quand il a fait le tour d’un sujet, il passe à autre chose. Il est réfractaire à l’autorité. Il demande souvent « pourquoi ? ». S’il ne sent pas une attitude compréhensive de la part de son entourage, il peut être très introverti. Il se comporte comme un « petit adulte ». Il se sent  » étranger  » à son milieu. Il préfère la compagnie de plus grands. S’il a de l’énergie en surplus, il va la décharger à l’extérieur avec violence ou par les jeux vidéo. Bébé, il comprenait tout ce qu’on lui disait, il savait très bien communiquer par le regard avant de savoir parler. Ses capacités télépathiques sont développées, il « lit dans les pensées ». Emotionnellement, il présente une maturité au-delà de son âge. Il peut être perçu facilement comme un perturbateur en groupe car il a du charisme, il est leader. Il a une façon personnelle de faire les choses et ne se conforme pas à la norme Il a un fort sentiment de sa propre valeur qu’il va toujours garder à moins que l’entourage ne le modèle autrement. Ces caractéristiques sont extraites du livre de José Manuel Piedrefita Moreno, Enfants Indigo – la nouvelle génération, manuel pratique pour parents et éducateurs, aux éditions Vesica Piscis du Venezuela. Arthur Colin en France, dans L’Enfant indigo paru en 2003 préfère insister sur les « pouvoirs étranges » de ces nouveaux enfants « capables de distinguer les auras des gens, ou encore de lire dans leurs pensées ».

Nous prenons un antique DC 9 d’Aeropostal, la compagnie intérieure qui commémore par son nom le franchissement des Andes par les pionniers de l’aviation obstinés à faire passer le courrier. Je suis assis à côté d’un Anglais qui vit depuis treize ans aux Etats-Unis où il travaille dans les mines. Depuis Denver, Colorado, il vient au Venezuela pour deux semaines, avant d’aller au Canada, puis ailleurs encore. Il prépare en même temps un MBA pour devenir directeur. Et le voici qui lit un livre sur l’éthique des affaires où les chapitres évoquent le darwinisme social et les idées de Marx. Il m’avoue que c’est pour lui de l’hébreu qu’il ingurgite comme un pensum. Il n’est pas, comme nous Français élevés dans les années 70, qui sommes tombés dans le marxisme étant petits.

Nous ne quittons l’avion à Puerto Ordaz que pour en prendre un autre, un tout petit Cessna 206 à cinq places, cette fois. Nous allons dans le sud, par-delà les llanos, cet océan d’herbes géantes qui va des Andes à l’Orénoque, par-delà les affluents du fleuve immenses et les lacs. Pas de piste, ou presque – et il faudrait des jours. L’avion saute par-dessus tous ces obstacles. Nous survolons le rio Paragua, puis le Caroni.

Ils sont beaux vus d’en haut, brillants et dessinés comme des rubans. Les eaux paraissent noires ou brunes et les petites îles ocres. Nous survolons un bon moment un gigantesque lac intérieur, à l’échelle du pays : l’embalse de Guri. Un barrage produit de l’électricité à l’une de ses extrémités, là où un rio violent vient s’y jeter. Suit la selva monotone, moutonnant de vert printemps. Quelques têtes mauves d’arbres fleuris tranchent sur les nuances du vert. Parfois, un rio jaune d’or serpente entre les arbres avec des paresses de serpent qui se love.

El Salto de Angel – le saut de l’ange – est une cascade célèbre qui tombe de haut. Elle est la plus grande du monde, 979 m ! Son nom vient en fait du nom de famille de l’aviateur américain qui l’a découverte. Jimmy Angel, chercheur d’or, a posé son avion en panne sur le plateau au sommet en 1937. Notre avion vrombit en piquant sur la chute, amorce un virage sur l’aile qui fait tourner la tête, revient en une longue boucle pour que l’on prenne la photo sous un autre angle. La chevelure d’eau blanche s’effile sur le roc d’un noir-brun. En bas, autour, s’étend la forêt, la sempiternelle forêt impénétrable, inexplorée. Nous sommes entrés dans la région des tepuys, ces vastes plateaux anciens de grès érodé, taillés comme des falaises au-dessus de la jungle et plats comme des tables à leur sommet. Ce sont les restes d’un massif précambrien qui évoquent Le monde perdu, le roman d’Arthur Conan Doyle paru en 1912.

L’air, plus chaud sur les roches durant la journée, crée des turbulences qui font sauter l’avion et bondir l’estomac. La piste du minuscule aéroport en pleine jungle est écrasée de chaleur.

La CIA, sur son site web accessible au public, relève 373 aéroports au Venezuela, dont 246 sans piste goudronnée, dont encore 97 « de 914 à 1523 m » (conversion des pieds) : nous venons d’atterrir sur l’un de ceux-là, celui de Canaïma. Sous les paillotes qui bordent l’unique piste – bien trop longue pour les petits Cessna – femmes et enfants indiens, au nez en bec de faucon, vendent aux touristes des colifichets artisanaux. L’énorme gardien du parc ne nous permet pas de pénétrer à l’ombre sans avoir dûment acquitté la taxe d’entrée dans le parc National du Canaïma. Il est gros et ressemble à un crapaud.

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