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Auguste Le Breton, Du rififi chez les hommes

Auguste, fils de clown breton de Lesneven né en 1913, a été tôt orphelin de père à cause de la « grande » guerre, puis délaissé par sa mère. Envoyé en orphelinat, il s’évade à 11 ans ; envoyé en maison de correction, il est adulte avant l’âge et fréquente le Milieu. C’était sa belle époque, avec ses codes, ses rites et surtout son argot.

Monfort, surnommé le Breton par les voyous de Saint-Ouen, adapte la langue verte des truands au roman – évidemment « policier ». Il s’agit de macs, de casses, de jeu. Ces hommes, des « vrais » selon la locution du temps, parlent sec, en phrases courtes, calibrées comme des coups de feu ou des coups de poing. Auguste Le Breton, il le dit, écrit comme on boxe. Et cela reste un délice, bien meilleur que San Antonio, avec 20 pages de glossaire d’argot à la fin, une page d’écarts entre le gitan (pur arabe) et le manouche, le louchebem comme le verlan. C’est l’auteur qui introduit ce mot en français, il signifie parler à l’envers (ver lan). Il introduit aussi rififi.

L’histoire est banale dans le Milieu. Tony le Stéphanois sort de taule après cinq piges et ne reconnaît plus les rites des malfrats. Aucun respect pour l’ancien caïd : de petits marlous à la manque essaient de le doubler au poker. Il en descend un sans plus de cérémonie pour faire peur à l’autre. Tony n’a plus guère de temps, il est tubard. Avant de calancher, il veut réaliser un dernier coup, tout en douceur, avec intelligence. Il a encore des amis, Jo le Suédois et Mario le Rital. Ce dernier connaît un Italien fortiche en percement de coffre, César, non repéré par les flics français, et le fait venir en dur depuis la péninsule. Une grande bijouterie rue de la Paix, de nuit, fera l’affaire. Les flics en planque en Citroën 15 dans les petites rues alentour n’y verront que du feu. Pas moins de 250 millions (d’anciens francs) de joncaille et pierres. De quoi en récupérer environ 120 millions en beaux billets de Banque de France avec un fourgue levantin discret à Londres.

Sauf que, si le casse se déroule sans accroc et dans les temps, le petit Italien va commettre une erreur. Il sabre une pute macquées aux Sora, le trio de Bics qui tiennent le rade chic ; César est amoureux, il donne un diam d’une brique à la gonzesse qui l’a épongé. Ce qui attire l’attention des Sora. Cette erreur sera fatale au groupe et entraînera le petit garçon de Jo, Tonio, 5 ans, dans les griffes des Crouilles qui tiennent le haut du pavé dans certains quartiers. Ça va défourailler dans tous les coins au boukala et à la sten, les sulfateuses seront de sortie, il y aura des mises en carante, du raisiné par terre et des maravés, des tortures au razif. La Salmson S4E de Mario (2 300 cm³) va rugir. Les Troncs auront le taffe.

Entre temps, on va goder et fourrer, les lloumis à loilpé sont faites pour ça. Les femmes, en effet, dans cet univers, ne sont pas des hommes. Le rififi ne les concerne pas, sauf transgression des règles. Pire quand on s’attaque aux mouflets : dans le Milieu, ça ne se fait tout simplement pas. Balancer l’erreur est donc salubre, et le plus jeune des Crouilles, nerveux, drogué et alcoolique s’est condamné.

En 1955, Du rififi chez les hommes est adapté au cinéma par Jules Dassin. Prix de la mise en scène (ex-æquo) au Festival de Cannes 1955, Prix Méliès la même année. On n’y parle plus de Crouilles (à cause de la guerre d’Algérie) mais l’histoire est très proche.

Auguste Le Breton, Du rififi chez les hommes, 1953, Folio policier 1999, 280 pages, €9,50

DVD Jules Dassin, Du rififi chez les hommes, 1955, avec Jean Servais, Carl Möhner, Marie Sabouret, Robert Manuel, Janine Darcey, Gaumont 2009, 1h56, €12,35

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Lesneven et le musée du Léon

Lesneven, pour moi, est le fief médiéval de Galeran, le célèbre chevalier de Vivian Moore. Chrétien mais rationnel, Galeran de Lesneven ne se laisse pas posséder par les croyances au Malin et autres diableries : il enquête, il observe, il déduit. Et les malignités des hommes sont le plus souvent à dénoncer que les simagrées du Diable. Lesneven, entre Brest et la plage, est la capitale administrative, le centre géographique du pays Léon. Son peuplement est avéré depuis la haute antiquité, dès l’époque préhistorique, et même pré-sapiens. Les celtes Vénètes cèdent devant Jules César en 52 avant et le Léon devient un pagus de la Civitas des Osismes. On travaillait lors le fer, le verre et la terre.

C’est au 5ème siècle après que débarquent les Bretons depuis l’Angleterre et l’Irlande. Ils sont chassés par les Romains, les guerres tribales et la démographie et trouvent en Armorique presque déserte un lieu sauvage et marin comme ils les aiment. Avec eux ils importent le christianisme. Comme les indigènes sont tièdes, ils surnomment le pays « pagan », qui signifie païen, tout en faisant référence au district romain. Des moines fondent des abbayes et des ermitages, dont saint Ronan, que figure une statue du 15ème siècle au musée de la ville. Ils sculptent les menhirs de croix chrétiennes et s’installent à l’écart des terres cultivées, sur les îles comme Enez Vraz ou dans les dunes, comme Keremma.

Arrivent les Vikings, souples et rusés, qui razzient en un éclair et pillent à qui mieux mieux les trésors religieux, quand ils ne violent pas nonnettes ou moinillons à l’occasion. Ils sont grands, blonds, forts et rabelaisiens, mais ils savent se battre et aimer ce qui est bon, comment vivre content. C’est un chef breton, Even, qui les vaincra à Rusneven en 937, comme quoi l’imaginaire de moine a délibérément grossi ses terreurs de scribe enjuponné. Il suffisait d’être sûr de soi et de saisir ses armes, plutôt que de crier au démon et de croire aux amulettes…

Lez ar Neven, la cour d’Even, devient la ville autour d’une motte castrale, la première citadelle. Elle est bien à l’intérieur des terres, au centre du pays, elle domine. Et devient vicomtat du Léon, évêché et siège de la sénéchaussée. La plupart des églises et chapelles du pays ont été rebâties au 15ème siècle, prenant le style Renaissance grâce aux liens maritimes avec l’Italie dès le siècle suivant. Châteaux et manoirs ne sont pas en reste, témoignant de la prospérité recouvrée après la guerre de Cent ans grâce au commerce et aux productions locales comme les chevaux, le beurre, les légumes et le lin. La ville d’aujourd’hui est capitale locale, surtout réputée pour son musée du Léon et pour ses locaux scolaires qui drainent la progéniture de toute la région après le primaire. D’où le fleurissement de clubs d’aïkido, de sport et de diverses sections socialistes.

Qui se souvient d’un enfant du pays, orphelin de la Grande guerre, qui s’évade à 11 ans pour aller combattre les Indiens d’Amérique ? Repris, le jeune Auguste Montfort est enfermé à 14 ans dans un bagne dit « d’éducation surveillée » où il apprendre l’argot et les tours des mauvais garçons. Il fera tous les métiers sur les pavés parisiens avant d’être résistant puis écrivain, sous le pseudonyme d’Auguste Le Breton. Mais oui ! ‘Razzia sur la chnouf’, c’est lui !

La place centrale est nommée du nom d’un général qui fut ambassadeur de France en Russie et ministre de la Guerre en 1871, le général Le Flo (1804-1887). La particularité de son parking est qu’il est parmi les rares à exiger encore l’usage du disque de stationnement plutôt que des tickets horodatés. Le syndicat d’initiatives est cependant fort au fait de cette originalité – et il vous donne un disque puisque plus personne n’en a plus !

Les maisons en granit datant du 17ème siècle forment à la place un décor séduisant, même si l’église n’est pas à la hauteur, purement utilitaire sauf son porche Renaissance, rescapé d’un édifice disparu. Les cloîtres sont réutilisés en collège ou en musée, comme celui du Léon, qui mérite à lui seul une visite de la ville.

Sis 12 rue de la Marne, il est établi dans le cloître de la Maison d’accueil des Ursulines et date du début 18ème. Il parcourt en sept salles l’histoire illustrée du Léon. Silex taillés paléolithiques (80 000 avant), silex polis néolithiques (6000 avant), sépultures collectives en allées couvertes, puis tumulus au Bronze (2500 avant) avec bijoux, poignards et poteries, stèles en granit au Fer (600 avant), dont certaines phalliques comme celle de saint Frégant, exposée. Des temps gallo-romains restent, outre des colonnes et des fragments de peintures murales, des monnaies, des statuettes de femme dites « Vénus », moulées en série, des poteries sigillées au vernis rouge brillant d’importation, des meules à grain locales en granit, une serrure en bronze, des poids… La période chrétienne inaugure les statues en bois de Vierge et de saints, des vêtements sacerdotaux du 17ème, des ciboires et calices, une Bible de l’abbaye des Anges de 1673.

Divers dessins, gravures et peintures rendent compte des paysages et de la vie du temps. Les tableaux de Mission de Xavier de Langlais (1946) ou de Jacques Jullien (vers 1920), des bois, une halle, une croix dessinés par Charles Corcuff, sont autant de visions romantiques des usages passés. Dans la salle des meubles et costumes, des mannequins de tous âges présentent la vêture de Kerlouan début 19ème et les diverses coiffes des femmes du Léon. Les costumes du dimanche des enfants sont particulièrement mignons. Les lits clos rappellent que le froid et l’humidité étaient le lot de la plupart des saisons dans ce pays.

Au total un petit musée qui ne nécessite pas des heures mais qui laisse des images fortes sur les existences d’avant. Cela dans un cadre placide, celui du cloître dont on peut explorer ensuite les arcades, ouvertes sur un jardin aux buissons de roses rouges au merveilleux silence.

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