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Yalta palais Vorontzov

Le soleil nous réveille, par la vitre dans notre chambre de trois ce matin. Trois comme la troïka obligatoire en communisme, vieille habitude de faire surveiller chacun des deux autres par le troisième. La plupart des chambres sont pour trois chez l’habitant, dans les pays ex-soviétiques. Il fera chaud dans la journée, plus de 35° selon la babouchka Assia. Elle nous a préparé un petit-déjeuner comme pour aller travailler aux champs, soucieuse de ne pas nous voir mourir de faim. Elle nous offre des œufs frits aux oignons et tomates, l’habituelle salade de tomates et concombre à l’aneth frais, du fromage, des biscuits, sans compter le pain, le beurre, la confiture, le miel. Son café « à la turque » est très doux.

Assia vivait en Russie auparavant. En 1944, petite fille, elle fut chassée avec sa famille tatare à Tachkent. Elle s’y est mariée, a construit une maison là-bas, y a eu trois enfants et cinq petits-enfants. Son mari et elle sont passés par l’Allemagne de l’est durant deux ans avant de revenir s’établir ici, illégalement, avec d’autres Tatars sur un terrain libre.

yalta palais vorontsov

Nous la quittons avec nos bagages pour aller visiter ce matin le palais Vorontzov, un joli bâtiment classique qui domine de haut la mer. Vorontzov était un général qui avait choisi la fidélité au tsar en place contre Catherine II. Il fut emprisonné après la victoire de Catherine, mais quatre jours seulement tant était grande sa popularité. Pour l’éloigner, on le nomma ambassadeur à Londres. Son fils, né dans la capitale britannique, s’est marié à Paris avec une riche polonaise et est revenu en Russie avec la première fortune du pays. Vorontzov descend du duc de Malborough, tout comme Churchill.

yalta palais vorontsov jardins

On raconte d’ailleurs que, lors de la conférence de Yalta en 1945, Churchill a exigé d’être logé au palais Vorontzov, « en souvenir de son ancêtre », plaida-t-il. Après quelque résistance, mais n’ayant aucun prétexte valable pour le lui refuser d’office, satisfaction lui fut donnée. Le KGB, qui surveillait tout le monde, mais de l’extérieur du bâtiment couvert par l’immunité diplomatique, fut très étonné d’entendre frapper des coups réguliers chaque nuit, à l’intérieur du palais. Quand Churchill quitta les lieux, les agents retrouvèrent des trous dans les murs, sans savoir à quoi ils correspondaient. L’histoire veut que le subtil Churchill ait récupéré là tout l’or des Vorontzov, dont il est parent. Il l’avait caché dans les doubles parois du palais avant leur fuite devant les Rouges, en 1918.

yalta palais vorontsov fille russe

Cette histoire est bien belle. Cette autre, que nous conte Natacha serait une autre histoire vraie. Le général Vorontzov avait fait le pari, avec le chef des Douanes du tsar, de passer en fraude des bijoux dans une cachette inviolable. Pari tenu. Il arrive donc lui-même à la douane avec un chariot plein de bagages, accompagné d’un petit chien qui jappe. Les douaniers, prévenus, fouillent tout le chargement, ne trouvent rien ; démontent la charrette, ne trouvent pas plus ; et le chien est là, dans leurs jambes, qui les agace et ils le chassent. Après avoir bien vérifié et revérifié, démonté tout ce qui pouvait se démonter, le chef des Douanes s’avoue vaincu. Il doit deux palais à celui qui est parvenu à le berner, mais il veut quand même comprendre. Vorontzov siffle, le petit chien reparaît : il porte une fausse fourrure qui le fait paraître plus gras et les bijoux sont caché dedans. Nul douanier n’avait porté attention à ce klebs hargneux qui tournait autour d’eux, bien en évidence.

yalta palais vorontsov lion

Nous ne visitons pas l’intérieur du palais car il y a trop la queue et c’est de peu d’intérêt. Mais le parc est superbe, s’étageant sur la pente, alternant une forêt d’essences diverses importées de partout avec des jardins rigoureux à la française. Un escalier aux lions inspirés de Venise rappelle que cet animal est l’emblème des Vorontzov. Ces lions-ci sont représentés dans diverses attitudes : endormi, éveillé, debout, rugissant et la griffe sur un globe. Plus le visiteur monte l’escalier, plus le lion est réveillé, prêt à défendre la place.

yalta palais vorontsov fontaine de pleurs

Une fontaine d’imitation turque, « la fontaine des pleurs » fait couler une eau pure goutte à goutte depuis le haut, qui remplit le premier petit bassin, se déverse globule après globule dans un second, et ainsi de suite jusqu’au dernier. Le tout rappelle les larmes et attendrit le cœur du passant. Les jardins sont plantés d’essences venues du monde entier souvent rares, araucarias, cèdres, chênes, marronniers. Ils sont parsemés de lacs artificiels « où nagent des singes », déclare Natacha en lisant librement le mot « cygnes ». Un chaos de pierres, savamment disposé, reconstitue un paysage « romantique » comme aimait à en imaginer l’époque. Un labyrinthe de lauriers rappelle la Crète et son Minotaure.

yalta palais vorontsov gamin russe

Les familles débarquées d’un bateau de croisière russe se font photographier devant les lions, à côté des fontaines, parmi les fleurs. Les femmes se font prendre dans les bosquets, les jeunes garçons grimpés sur un arbre ou caressant un fauve pétrifié. Les groupes portent une étiquette au nom de leur bateau sur leur chemise, ou sur leur short quand ils n’en portent pas. Je photographie un blondinet de dix ans particulièrement vif et coquet. Bermuda paille, sandales de cuir, la chemise ouverte, jaune à carreaux entourés de noir, un collier de perles de bois ovales brun et blanc au cou, une croix de bois léger au bout d’un long lacet noir qui lui bat le plexus, le bracelet-montre futuriste, il pourrait être un modèle pour la mode ou un jeune acteur de film.

yalta adolescente russe torse nu

Nous prenons le déjeuner non loin du palais, dans un restaurant qui ouvre sa terrasse ombragée sur la corniche qui y mène. Nous déjeunons d’une salade et d’un café. Dans une table non loin de nous déjeune une famille russe en vacances, typique du pays. Le père et la mère sont plus jeunes que moi mais paraissent usés par la vie et le labeur. Le fils de 16 ans est svelte et fringant, comme tous les garçons de cet âge, avec ce côté gentil de qui est plus éduqué et plus « raisonnable » que ses parents. La fille de 10 ans suit sans se poser de questions. La différence traditionnelle des sexes se manifeste à la sortie : « les hommes » vont à la plage, « les femmes » faire les boutiques. C’est cette attitude qui me fait dire être en présence de Russes moyens, sympathiques, pas très informés encore, restés traditionnels dans les mœurs. Le garçon a regardé plusieurs fois de notre côté et a commenté à ses parents ce qu’il comprenait de notre pays d’origine. Les touristes occidentaux sont rares en Ukraine et, sur les côtes de Crimée, le plus souvent Allemands ou Polonais. Il était intrigué par notre langue qu’il n’arrivait pas à situer.

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