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Thierry Maricourt, L’homme sous le réverbère

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L’homme sans qualités existe, l’auteur l’a rencontré. Il nous décrit son insignifiance, son existence sans aspérités. Il pourrait s’appeler Lambda car on ne lui connait pas de nom. Sauf que son faciès le fait surnommer « Bougnoul », même si la page 86 nous laisse penser que « sa lignée était d’ici depuis toujours, mais qu’importait, son allure physique était trompeuse. Il demeurait le Bougnoul du voisin et ne contestait pas ce rôle ».

Monsieur le « Bougnoul », tenancier d’une petite boutique d’épicerie-bazar de quartier ouverte de 6 à 23h, est un beau jour arrêté par la police, gyrophares scintillant et sirènes à plein tube. Il ne sait pas pourquoi, mais la police le sait, inversant la charge de la preuve. Il a été « dénoncé », par qui ? pour quoi ? il ne sait pas, mais se retrouve en prison.

Où il mène une vie simple et tranquille, anonyme. Au point qu’un jour il va regarder dans la camionnette de la buanderie… qui démarre. Et le voilà libre. Pour quoi faire ? retrouver qui ? il ne sait pas mais découvre une cabane au fond des bois où il passerait bien le reste de ses jours. Repéré, pisté, il est repris et se retrouve en prison sans plus savoir pourquoi.

Il s’adapte, postule pour tenir la bibliothèque où les détenus ne vont que pour avoir conversation, pas pour lire. Lui-même ne lit pas, faisant le minimum. Il se fait oublier après avoir briqué l’endroit, en détenu modèle. Au point qu’une visite d’une commission d’intellos le fait s’évader en les suivant simplement : personne ne l’a jamais remarqué.

Mais cette fois il va toquer à la porte d’une ancienne voisine infirmière, aux deux petits enfants, qui vit seule et lui a jeté un regard intéressé. Il fait la cuisine, le ménage, aide aux devoirs les enfants. Il se fait oublier. Il est un anonyme dans une case, il remplit un rôle convenu, sans histoire.

Jusqu’à ce que l’usure détériore ses relations avec sa compagne. Il est trop lisse, comme un robot pensant. Il profite d’une soirée de carnaval pour quitter l’appartement et se retrouver dans la rue, masqué comme les autres – sans visage. Il suit les sans-abris et réussit à manger sans papiers. Nul ne fait attention…

Ce pourquoi il terminera sous un réverbère, après un casse foireux d’un compagnon de la dèche. Les flics venus emmener l’illettré qui ne savait pas qu’il existait un signal d’alarme ne s’intéresse pas à celui qui fait le guet sans intention, sous le réverbère.

D’un style qui rappelle Le Clézio des années soixante, ce roman de l’anonymat régénère l’absurde du Système. Chacun est réduit au numéro d’identité, à une fonction, à un rôle. Nul être ne peut plus exister par lui-même. « Il était là depuis si longtemps qu’il avait fini par ressembler aux autres habitants des lieux », dit la première phrase. Tout le roman en est le développement.

L’auteur est romancier, poète, essayiste, homme de théâtre, photographe, écrivain pour la jeunesse – après avoir été ouvrier d’imprimerie, bibliothécaire, libraire, éditeur. Il est du peuple, élevé à La Courneuve et ayant publié l’Histoire de la littérature libertaire en France et le Dictionnaire des auteurs prolétariens. Il a l’analyse au scalpel et le regard pessimiste des gens du nord, ayant écrit aussi le Dictionnaire du roman policier nordique et Les Vikings contre Hitler. Il touche à tout, par petites touches. Il dit vrai, sans insister. Cette légèreté même fait le poids de ce conte.

Thierry Maricourt, L’homme sous le réverbère, 2016, éditions Les soleils bleus, 130 pages, €14.00

Attachée de presse Guilaine Depis, 06 84 36 31 85 balustradecommunication@yahoo.com

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Pierre Thellier et Jacques Vallerand, Boussus 2 – Épaves

thellier-vallerand-boussus-2-epavesLes Boussus sont des bossus génétiques, considérés comme des parias ou des « bougnouls ». Nous sommes jetés dans une époque chimérique pas très loin de la nôtre, dans un pays inventé très proche du nôtre, ce département de Somme qui borde la Manche dans la province picarde de Pluie-Cordiale. La « première époque » campait le décor, imaginatif, et tricotait le thème, plutôt actuel : comment intégrer l’étrange ou l’étranger – surtout lorsqu’il sort de vous ? Car les Boussus sont des variations génétiques, pas des immigrés.

Cette « seconde époque » (autrement dit le tome 2) développe cet univers particulier, une véritable invention des auteurs. Cela dans un style varié, alliant descriptions sèches, scènes dialoguées, répliques en alexandrins de base, extrait de journal. Mais l’histoire continue à n’avancer qu’à allure d’escargot. Le lecteur, au bout du deuxième tome, en saura un peu plus qu’à la fin du premier, mais tout juste. Que deviennent Ariane et son bébé à naître ? On sait tout juste qu’ils ont dérivé sur une barque maniée par le vigoureux et bizarre docteur Téléman et que, transis de froidure, ils ont été recueillis par un bateau nommé Interlope qui les attendait. Pourquoi ? Pour quelle destination ? Mystère. Peut-être le tome 4 ou le 8 nous le dira-t-il ? A ce train-là…

En revanche, par les yeux et le mobile enregistreur de l’ex-ami de Téléman Adjinvar (un vrai immigré, celui-là), nous pénétrons un peu plus avant dans les arcanes de la nouvelle société d’Errance (pseudo pour la France) : une administration emberlificotée dans son jargon administratif qui masque, sous la pseudo-neutralité du vocabulaire technocratique, un profond « racisme » (le mot n’est pas trop fort) pour tous ceux qui dévient de la norme : qu’ils soient jeunes, marginaux, délinquants, boussus ou simplement aptes aux idées personnelles. Les flics sont aussi cons qu’en vrai, les directeurs et autres fonctionnaires aussi faux-culs qu’à l’ère soviétique (ou qu’à la Sécurité sociale), les « civistes » aussi beaufs nature-chasse-pêche-et-traditions que les nervis bas-du-front national. A lire ces pages de caricature hilarante, le lecteur se réjouit.

Bon, mais le tome 1 avait laissé entrevoir une particularité des boussus qui ne reparaît guère : la télépathie. Elle est mise ici entre parenthèses, ou presque, les transmissions qui ont lieu en italiques (à lecture malaisée) n’aboutissant à rien.

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Le thème sans conteste original de la série qui commence, servi souvent par un style enjoué qui accroche (malgré quelques complaisances alexandrines ou lyriques un peu importunes), manque de construction et surtout de mouvement. Après 222 + 347 pages, nous ne sommes guère plus avancés sur les protagonistes et leur psychologie… Certes, il y a beaucoup à dire de cet univers que chacun découvre avec les auteurs ; certes, c’est le fils d’Ariane devenu vieillard qui parle, bien longtemps après, en s’appuyant sur les documents qu’il a pu rassembler. Mais tout cela fait un peu feuilleton pour presse antique, pas thriller d’anticipation pour notre siècle de l’immédiat.

Le tome 3, déjà rédigé mais non encore publié semble-t-il, devrait nous en apprendre un peu plus sur une bestiole bizarre nommée réduve… qui existe en vrai ! Elle serait peut-être vecteur de l’épidémie de mutations génétiques. Une belle invention, si cela se confirme ! Est-ce un futur possible ? Malgré les imperfections, nous nous sommes pris à nous attacher aux personnages, à l’histoire, à l’avenir de cette série qui se déroule à son rythme, non sans circonlocutions ni multiplication d’acteurs. Mais aller un tantinet plus vite qu’au rythme du flâneur ne saurait nuire au lecteur, au contraire !

Pierre Thellier et Jacques Vallerand, Boussus 2 – Épaves, 2016, éditions Les soleils bleus, 347 pages, €21.00

Chronique de la Première époque (tome 1) sur ce blog

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